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L’avocat désigné au titre de l’aide juridictionnelle peut travailler gratuitement

L’avocat, qui avait été désigné au titre de l’aide juridictionnelle, n’ayant pas mené sa mission jusqu’à son terme, ne pouvait prétendre à la perception d’honoraires s’il n’était pas justifié que sa cliente avait renoncé rétroactivement au bénéfice de l’aide juridictionnelle.

par Jean-Denis Pellierle 9 juillet 2018

L’avocat désigné au titre de l’aide juridictionnelle peut être amené à travailler gratuitement s’il n’est pas allé jusqu’au terme de sa mission. Tel est le message délivré par la deuxième chambre civile dans un arrêt du 14 juin 2018. En l’espèce, une dame avait confié à un avocat la défense de ses intérêts dans une procédure de divorce pour laquelle elle avait obtenu l’aide juridictionnelle. Mais, en cours d’instance, celle-ci l’avait déchargé de la défense de ses intérêts et l’avocat avait alors demandé au Bâtonnier de l’ordre des avocats de fixer le montant de ses honoraires à la somme de 2 603 €.

Le premier Président de la cour d’appel de Bordeaux, dans une ordonnance du 8 novembre 2016, avait fixé à une certaine somme les honoraires dus à l’avocat, au motif que sa cliente l’avait dessaisi avant la fin de la procédure et que l’avocat, qui ne pourra obtenir aucune indemnité au titre de l’aide juridictionnelle, était fondé à réclamer le paiement de ses prestations au temps passé.

L’ordonnance est cependant cassée, au visa des articles 32 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et 103 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 : « Qu’en statuant ainsi, alors que l’avocat, qui avait été désigné au titre de l’aide juridictionnelle, n’ayant pas mené sa mission jusqu’à son terme, ne pouvait prétendre à la perception d’honoraires s’il n’était pas justifié que sa cliente avait renoncé rétroactivement au bénéfice de l’aide juridictionnelle, le premier président a violé les textes susvisés ».

À première vue, la présente décision peut surprendre le lecteur qui aura pris connaissance de l’arrêt rendu par la même chambre de la Cour de cassation le même jour (Civ. 2e, 14 juin 2018, n° 17-19.709, Dalloz actualité, 20 juin 2018, obs. J.-D. Pellier isset(node/191211) ? node/191211 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>191211). Celle-ci a décidé, au visa de l’article 10, alinéas 3 et 4, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, « qu’il résulte de ce texte que le défaut de signature d’une convention ne prive pas l’avocat du droit de percevoir pour ses diligences, dès lors que celles-ci sont établies, des honoraires qui sont alors fixés en tenant compte, selon les usages, de la situation de fortune du client, de la difficulté de l’affaire, des frais exposés par l’avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci ». Ce faisant, la Cour régulatrice affirmait clairement le droit de l’avocat à être rémunéré pour le travail accompli et ce, en dépit de l’absence de convention d’honoraires écrite.

Au contraire, l’arrêt sous commentaire aboutit potentiellement à une absence de rémunération de l’avocat ayant pourtant consacré un certain temps au dossier et accompli un certain nombre de diligences, avant d’être déchargé par son client. La solution peut certes se recommander des textes visés par la Cour : selon l’article 32 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, « La contribution due au titre de l’aide juridictionnelle totale à l’auxiliaire de justice est exclusive de toute autre rémunération, sous réserve des dispositions de l’article 36. Toute stipulation contraire est réputée non écrite ». Et l’article 103 du décret du 19 décembre 1991 portant application de cette loi précise que « Lorsqu’un avocat désigné ou choisi au titre de l’aide juridictionnelle est, en cours de procédure, remplacé au même titre pour raison légitime par un autre avocat, il n’est dû qu’une seule contribution de l’État. Cette contribution est versée au second avocat, à charge pour lui de la partager avec le premier dans une proportion qui, à défaut d’accord, est fixée par le bâtonnier. Dans le cas où les avocats n’appartiennent pas au même barreau, la décision est prise conjointement par les bâtonniers des barreaux intéressés. Les mêmes règles sont applicables lorsque le remplacement a lieu au cours de pourparlers transactionnels » (V. à ce sujet, V. H. Ader, A. Damien, T. Wickers, S. Bortoluzzi et D. Piau, Règles de la profession d’avocat, Dalloz Action 2018-2019, nos 751.191 s.). Cette solution est au demeurant très protectrice du client, dont le revirement ne saurait être interprété comme valant renonciation à l’aide juridictionnelle. La jurisprudence a d’ailleurs déjà eu l’occasion de se prononcer en ce sens (Civ. 2e, 3 juill. 2008, n° 07-13.036, D. 2008. 2086 ; Civ. 1re, 1er juin 1999, n° 96-20.406, D. 1999. 197 . V. égal. Aix-en-Provence, 20 janv. 2010, n° 09/12203).

Mais il n’en demeure pas moins que la décision de la Cour de cassation fait peser sur l’avocat le risque d’une absence de rémunération, ce qu’il est permis de regretter, surtout en des temps où les clients peuvent avoir tendance à changer d’avocat avec une facilité déconcertante pour celui-ci et sans se soucier de sa rémunération, alors même que des diligences ont été accomplies. Cette décision est d’autant plus sévère que le client n’a pas l’obligation d’informer son avocat de ce qu’il bénéficie de l’aide juridictionnelle (Civ. 2e, 6 juin 2013, n° 12-20.361, D. 2013. 1486 ).

On observera cependant que le présent arrêt ne remet certainement pas en cause la jurisprudence selon laquelle l’avocat peut réclamer les honoraires se rapportant à des diligences intervenues avant la demande d’aide juridictionnelles (Civ. 2e, 15 oct. 2009, n° 08-19.532 ; 24 mai 2006, n° 04-15.129 ; 22 sept. 2005, n° 04-16.117 ; Civ. 1re, 22 mai 2001, n° 98-14.738, D. 2002. 852 , obs. B. Blanchard . V. égal. Civ. 2e, 27 mars 2003, n° 02-10.592, Civ. 2e, 27 mars 2003, n° 02-10.592, D. 2003. 1075 , précisant que ce droit existe peu important que les diligences de l’avocat « se rapportassent à l’instance pour laquelle l’aide juridictionnelle avait été ensuite accordée et que la provision eût été versée le jour de cette demande »).

Il faut donc retenir que la demande d’aide juridictionnelle apparaît comme un couperet empêchant l’avocat de réclamer la rémunération de son travail au client. Mais il ne s’agit pas là du seul écueil rencontré par l’avocat lorsque celui-ci intervient au titre de l’aide juridictionnelle.