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L’émulation paralysée – Retour sur l’affaire Nintendo vs Tropic Haze pour l’émulateur Yuzu

Le 28 février dernier, la société Nintendo a annoncé intenter une action contre Tropic Haze, l’entreprise derrière Yuzu, un émulateur de la console Nintendo Switch. Quelques heures seulement après une annonce de l’équipe de développement qui laissait étonnamment présager de sa volonté d’aller au contentieux, un accord a été trouvé entre les parties dans la nuit du 4 au 5 mars, accord validé le 6 mars par un juge de Rhode Island. La transaction prévoit notamment le paiement de 2,4 millions de dollars de dommages-intérêts, mais également la fermeture de l’émulateur, la transmission du nom de domaine qui hébergeait celui-ci à Nintendo, la suppression des dispositifs de contournement et la remise des dispositifs physiques à l’entreprise de jeux vidéo. Une décision rare, sur plusieurs plans, qui invite à la réflexion sur le statut de l’émulation.

Un peu de technique…

L’émulation est la simulation, rendue possible par un programme informatique, d’une console depuis une machine, souvent un ordinateur, plus moderne. Le programme réplique en quelque sorte la console ancienne, sans pour autant utiliser directement cette dernière. C’est un outil souvent très prisé des joueurs, notamment parce qu’il permet de (re)jouer à d’anciens titres de jeux vidéo qui ne fonctionnent plus sur les machines plus récentes. C’est ainsi qu’a été créé, en 2018, l’émulateur Yuzu, qui permet de simuler la console Nintendo Switch, sortie en 2017 et toujours largement vendue (même si la nouvelle génération, la Switch 2, pourrait arriver cette année). L’émulateur permettait donc de jouer à des jeux disponibles sur la Nintendo Switch par le recours à des Roms (acronyme de Read-online memory, l’expression renvoyant à des fichiers contenant des jeux extraits et originairement jouables sur consoles). Cette possibilité n’était d’ailleurs pas limitée aux titres anciens – ce qui n’aurait pas changé grand-chose du point de vue de la qualification mais aurait pu avoir une incidence notamment quant à la détermination du montant des dommages-intérêts – mais s’étendait à une hypothèse bien différente ; ainsi par exemple, certains titres étaient accessibles et jouables sur Yuzu dès avant la sortie officielle du titre, comme ce fut le cas il y a quelques mois avec le leak de The legend of Zelda, Tears of the Kingdom. L’émulateur indiquait comment obtenir certains titres, dont ce dernier, derrière un paywall, ce qui signifie que les utilisateurs qui payaient obtenaient davantage de contenus, même si les Roms n’étaient pas directement fournis par Tropic Haze. C’est toutefois sans doute ce dernier point qui a non seulement attiré l’attention de la société Nintendo, mais également été à l’origine de sa volonté de mettre un terme à ce comportement. L’entreprise a donc annoncé, le 28 février dernier, intenter une action fondée sur son droit d’auteur (sur le terrain du copyright américain).

Contournement des mesures techniques de protection

Plus spécifiquement, c’est le contournement des mesures techniques de protection qui est reproché aux développeurs de l’émulateur. Et Nintendo est coutumière des actions notamment sur ce fondement (v. surtout, CJUE 23 janv. 2014, Nintendo, aff. C-355/12, Nintendo (Sté) c/ PC Box (Sté), D. 2014. 272 ; ibid. 2078, obs. P. Sirinelli ; JAC 2014, n° 11, p. 12, obs. E. Scaramozzino ; RTD com. 2014. 108, chron. F. Pollaud-Dulian ; Propr. intell. 2014, n° 51, p. 176, obs. J.-M. Bruguière). De manière synthétique, les mesures techniques de protection peuvent être définies comme des verrous numériques qui limitent – voire paralysent – certaines utilisations d’œuvres. Une entreprise, titulaire de droits sur des consoles ou des jeux vidéo (comme dans d’autres industries culturelles d’ailleurs), peut ainsi faire le choix d’apposer de tels verrous techniques pour empêcher que ses œuvres – logicielles ou relevant du droit commun – ne puissent faire l’objet de certaines utilisations.

En droit français comme en droit américain, les...

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