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L’encouragement de la Cour de justice à éclipser l’intervention du juge pénal pour sauver la procédure

Pour la Cour de justice de l’Union européenne, le droit de l’Union ne s’oppose pas, en principe, à l’interdiction faite au juge national de relever d’office une violation de l’obligation d’informer rapidement un suspect de son droit de garder le silence.

par Hélène Christodouloule 17 juillet 2023

Depuis quelques années, le droit de se taire ne cesse de monter en puissance. Ainsi, il se retrouve au sein d’un contentieux riche, intéressant même la Cour de justice de l’Union européenne. Cette fois, il est question, en apparence, de se concentrer sur les incidences procédurales d’une notification tardive du droit au silence durant une mesure de garde à vue, mais en réalité, la Cour s’interroge, plus largement, sur les conditions entourant la recevabilité de la requête en nullité portant sur cette violation à l’aune de la directive 2012/13/UE, relative au droit à l’information. Il en ressort que le droit de l’Union ne s’oppose pas, en principe, à l’interdiction faite au juge national de relever d’office une violation de l’obligation d’informer rapidement un suspect de son droit de garder le silence.

Notification tardive des droits lors d’une garde à vue en France

Dans la soirée du 22 mars 2021, deux individus ont été interpellés et arrêtés en flagrant délit de vol de carburant par des agents de police judiciaire français.

Les deux suspects ont fait l’objet d’une mesure de garde à vue durant laquelle la notification de leurs droits a été tardive. Le tribunal correctionnel saisi de ces faits a estimé que des propos auto-incriminants avaient été recueillis, au début de la mesure, sans que les deux suspects se soient vu informer de leurs droits de se taire en violation de l’article 63-1 du code de procédure pénale, lequel est directement issu de la transposition des articles 3 et 4 de la directive 2012/13/UE, du 22 mai 2012 (ci-après, directive droit à l’information). Ainsi, selon les juges du fond, le droit de ne pas s’incriminer soi-même aurait été transgressé. Dès lors, la garde à vue, la fouille concomitante du véhicule et tous les actes qui en découlaient devaient, en principe, être annulés (§ 19 de l’arrêt commenté).

En l’absence d’instruction préparatoire, les exceptions de nullité de procédure doivent être soulevées par la personne concernée ou son avocat in limite litis, devant le tribunal correctionnel, à la lumière de l’article 385 du code de procédure pénale tel qu’interprété par la jurisprudence (§ 21 de l’arrêt commenté ; v. infra). Pour autant, il ressort des éléments de l’arrêt qu’aucune requête n’a été formulée avant toute défense au fond et le juge pénal, au regard du droit national, s’est retrouvé dans l’impossibilité de soulever d’office la nullité pour pallier la négligence des parties. La juridiction nationale s’interroge alors quant à la conventionnalité de cette disposition en avançant deux arguments : d’une part, en visant l’arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE 14 déc. 1995, Peterbroeck, aff. C-312/93, AJDA 1996. 273, chron. H. Chavrier, E. Honorat et G. de Bergues ) lequel aurait considéré que le juge ne peut pas interdire d’office l’examen de la comptabilité d’un acte national avec le droit de l’Union, lorsque l’irrégularité n’a pas été invoquée dans un certain délai par le justiciable (§ 23 de l’arrêt commenté) ; d’autre part, en appliquant à la matière pénale la jurisprudence propre aux clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs imposant au juge interne d’examiner d’office les violations de ces exigences (§ 24 de l’arrêt commenté).

Ainsi, le tribunal correctionnel a posé, à la Cour de justice, une question préjudicielle afin de savoir si l’interdiction pour le juge du fond de relever d’office la violation d’une exigence procédurale telle que celle, prévue aux articles 3 et 4 de la directive 2012/13/UE, d’informer rapidement les suspects et personnes poursuivies de leur droit de garder le silence demeure conforme au droit de l’Union (§ 22 de l’arrêt commenté).

Les juges luxembourgeois, réunis en grande chambre, ont rendu, le 22 juin 2023, un arrêt conforme aux conclusions de l’avocat général présentées quelques mois auparavant (§ 89). Les articles 3 et 4 de la directive 2012/13/UE – imposant la notification rapide notamment du droit de garder le silence – ainsi que l’article 8, paragraphe 2, dudit texte – reconnaissant, quant à lui, le droit de contester la défaillance des autorités compétentes en la matière – lus à la lumière des articles 47 et 48 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ne sont pas violés par le droit français. En effet, l’ensemble de ces dispositions ne s’oppose pas à une « règlementation nationale » ne permettant pas au juge pénal de relever d’office, aux fins de l’annulation de la procédure, la violation de l’obligation incombant aux autorités compétentes d’informer rapidement les suspects ou les personnes poursuivies de leur droit de se...

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