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L’ENM, sujet d’intérêt national, selon EDM

Le garde des Sceaux a proposé lundi la nomination d’une avocate, vice-bâtonnière du barreau de Paris, Nathalie Roret, à la direction de l’École nationale de la magistrature (ENM). À défaut d’une réforme, Éric Dupond-Moretti veut « rompre avec des traditions surannées » sans toutefois dévoiler la feuille de route de la future directrice.

par Pierre-Antoine Souchardle 22 septembre 2020

Femme et avocate à la tête de l’ENM, c’est une double première. Depuis sa création en 1958, l’école a toujours été dirigée par un magistrat, de genre masculin. Choisir une avocate pour diriger l’école qui forme les magistrats, voilà qui est disruptif. C’est encore dans l’air du temps.

« Quel est le message que veut faire passer le ministre ? » s’interroge l’ancien procureur général près la Cour de cassation, Jean-Claude Marin. « La question m’interroge. Est-ce à dire qu’il n’y a pas dans la magistrature de femme apte à diriger l’école ? Est-ce un signe donné aux avocats que l’école sera plus conforme à leurs attentes ? »

Lorsqu’il était avocat, Éric Dupond-Moretti plaidait pour la suppression de l’ENM et la remplacer par une école de formation commune des magistrats et avocats. « J’ai exprimé depuis longtemps l’idée que ce corporatisme, qui éloigne la justice des citoyens, prenait corps pour une part à l’école nationale de la magistrature », a déclaré lundi matin celui qui depuis a enfilé les habits de garde des Sceaux.

L’heure est donc à l’ouverture. Et au contradictoire. « L’ouverture c’est d’abord rompre avec des traditions surannées, c’est rompre avec la tentation du vase clos et de l’entre-soi », a poursuivi le ministre. Si, a-t-il reconnu, des efforts ont déjà été faits ces dernières années, il faut encore forcer l’huis de cette forteresse, « vivier de la justice de demain ».

Quitte à faire grincer les gonds. « L’ouverture c’est encore, renforcer l’apprentissage chez les futurs magistrats, d’une vraie culture du contradictoire, étant ici rappelé que la justice ne peut se forger que dans le contradictoire ».

Des propos provocateurs qui ne pouvaient que faire réagir les deux principales organisations syndicales. « Le ministre procède par affirmations dénuées de fondements. C’est déplorable d’avoir un discours aussi démagogique sur un sujet aussi important », tempête Céline Parisot, la présidente de l’Union syndicale des magistrats (USM).

« C’est un coup de comm. Une mesure symbolique, quasi cosmétique. Le ministre n’aura pas le temps de réformer l’ordonnance de 1958 [relative au statut de la magistrature, ndlr] », relativise Nils Monsarrat, secrétaire national du Syndicat de la magistrature (SM). « La justice n’appartient pas aux magistrats », rappelle le secrétaire national dont l’organisation n’est pas opposée à la nomination d’un non-magistrat.

Les deux syndicats s’accordent à dire que cette désignation intervient à point nommé pour détourner l’attention sur la polémique concernant l’enquête disciplinaire sur trois magistrats du parquet national financier.

Cette nomination est un « signal fort. Une femme et une avocate », souligne Jean-Claude Marin. Elle intervient « dans un contexte qui s’est tendu au fil des ans », regrette l’ancien procureur général, pour qui les « magistrats sont avec les avocats les éléments d’un puzzle dont chacun est indispensable », affirme-t-il.

Quoi qu’il en soit, personne ne connaît pour l’instant la feuille de route de Mme Roret. Le ministre a juste donné l’impulsion. Pour la suite, « rien ne sera fait sans un dialogue indispensable et constructif avec le conseil d’administration, le conseil pédagogique et l’ensemble du corps enseignant », a-t-il indiqué. Le conseil d’administration de l’école est présidé par la première présidente de la Cour de cassation, Chantal Arens, et vice-présidé par le procureur général François Molins.

Dans un communiqué, dont chaque mot a été pesé au trébuchet, les personnels de l’ENM prennent acte de la nomination de Mme Roret. Ils soulignent « que la formation des magistrats privilégie et entretient au quotidien les échanges interprofessionnels avec l’ensemble de leurs partenaires, au premier rang desquels les avocats, en formation initiale comme en formation continue ».

L’ENM « est une école de dialogue et de débats contradictoires sur les grands enjeux sociétaux, et d’ouverture sur le monde […] ouverte aux autres professions, qui composent un quart de ses publics en formation continue, et multiplie les partenariats avec les écoles de formation des barreaux, celles de la fonction publique, les universités, et les autres instituts de formation pour former des professionnels amenés à travailler ensemble ».

Les conférences nationales des premiers présidents (dont le président, Xavier Ronsin, est un ancien directeur de l’ENM) et des procureurs généraux, dans un communiqué conjoint, se sont « réjouis » du choix de Me Roret tout en « s’inquiétant » des « propos inutilement polémiques du garde des Sceaux sur la prétendue « culture de l’entre soi », « du vase clos » ou des « traditions surannées ». Ils s’interrogent « sur la finalité de tels propos qui divisent et stigmatisent au lieu de réunir et de construire ».

Me Roret n’a pas répondu à nos sollicitations. Sur Twitter, hier, elle a déclaré « mesurer l’honneur qui m’est fait par Éric Dupond-Moretti en proposant mon nom à Emmanuel Macron pour prendre la direction de l’ENM France. Je le vis comme une mission majeure dans l’intérêt de la justice et des justiciables qui permettra de renforcer le lien entre avocats et magistrats ».