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L’entrepreneur de travaux publics peut être un voisin occasionnel

En application du principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal du voisinage, l’entrepreneur, y compris de travaux publics, est responsable de plein droit pour avoir provoqué un dommage, nonobstant le fait que l’origine de celui-ci, causé par un véhicule, soit située sur le domaine public. 

par Camille Dreveaule 3 décembre 2018

Cet arrêt ne manquera pas d’être abondamment commenté. La Cour de cassation conforte sa position quant à l’application de la théorie des troubles anormaux du voisinage aux constructeurs mais de manière inédite, à propos d’un entrepreneur en travaux publics. En l’espèce, lors de l’exécution de travaux d’aménagement de voirie, une conduite de gaz avait été arrachée, provoquant une explosion suivie d’un incendie endommageant gravement un immeuble. Son propriétaire avait obtenu que soit engagée de plein droit la responsabilité de l’entreprise à qui ces travaux avaient été confiés. La haute juridiction confirme la décision d’appel au motif que « l’entrepreneur, y compris de travaux publics, est responsable de plein droit pour avoir exercé une activité en relation directe avec le trouble anormal causé, nonobstant le fait que l’origine du dommage, causé par un véhicule, soit située sur le domaine public ».

L’intérêt de cet arrêt réside notamment dans les moyens soulevés en vain par l’auteur du pourvoi.

Le pourvoi prétend que seuls le propriétaire ou le bénéficiaire d’un titre l’autorisant à occuper ou à exploiter un immeuble peuvent être responsables, de plein droit, d’un trouble anormal du voisinage ; à l’exclusion de l’entrepreneur qui n’occupe l’immeuble que pour les besoins de sa mission. Il s’inspire largement du projet de réforme du droit de la responsabilité civile présenté le 17 avril 2017. Rejetant cet argument, la Cour de cassation maintient une acception large du « voisin », selon laquelle les causes de l’occupation du fonds d’où émanent les troubles n’a pas d’incidence. Peu importe que leur auteur soit pourvu ou non d’un titre et la nature de ce titre. Sa présence sur le fonds peut n’être qu’occasionnelle et sans lien avec la jouissance du terrain. Il n’est pas exigé une « relation stable de voisinage » (Civ. 3e, 22 juin 2005, n° 03-20.068, D. 2006. 40 , note J.-P. Karila ; AJDI 2005. 858 ; RDI 2005. 330, obs. E. Gavin-Millan-Oosterlynck ; ibid. 339 et les obs. ; ibid. 2006. 251, étude P. Malinvaud ; RTD civ. 2005. 788, obs. P. Jourdain ) ou encore « une relation qui présente un caractère continu ou répétitif » (arrêt commenté). L’absence de prise en compte du titre d’occupation permet aux juges d’étendre leur jurisprudence aux troubles provenant du domaine public (encore que pourrait se poser la question de la compétence du juge judiciaire).

Le pourvoi engageait par ailleurs la Cour de cassation à poursuivre l’évolution jurisprudentielle amorcée, soulevant qu’elle avait « abandonné » la « notion de voisin occasionnel » dans ses arrêts précédents. Cette allégation doit être nuancée. En 2005, elle a retenu la responsabilité du « voisin occasionnel », ouvrant la possibilité d’engager celle de tout protagoniste d’un chantier (Civ. 3e, 22 juin 2005, n° 03-20.068, préc. ; à noter que cette expression se retrouve dans des arrêts postérieurs Civ. 3e, 21 mai 2008, n° 07-13.769, D. 2008. 1550, obs. S. Bigot de la Touanne ; ibid. 2458, obs. B. Mallet-Bricout et N. Reboul-Maupin ; ibid. 2894, obs. P. Brun et P. Jourdain ; RDI 2008. 345, obs. P. Malinvaud ; ibid. 546, obs. E. Gavin-Millan-Oosterlynck ; RTD civ. 2008. 496, obs. P. Jourdain ; Civ. 2e, 25 oct. 2018, n° 17-25.732, Dalloz jurisprudence). Puis, la Cour de cassation a intégré un critère d’imputation en retenant la responsabilité du seul « voisin auteur du trouble » (Civ. 3e, 21 mai 2008, n° 07-13.769, préc.). Depuis 2011, la Cour de cassation exige « une relation de cause directe entre les troubles subis et les missions respectivement confiées aux constructeurs » (Civ. 3e, 9 févr. 2011, n° 09-71.570 , D. 2011. 2298, obs. B. Mallet-Bricout et N. Reboul-Maupin ; RDI 2011. 227, obs. P. Malinvaud ; RTD civ. 2011. 361, obs. P. Jourdain , 19 oct. 2011, nos 10-15.303 et 10-15.810, RDI 2011. 631, obs. P. Malinvaud ; 19 mai 2016, n° 15-16.248, RDI 2017. 86, obs. H. Périnet-Marquet ) comme le confirme le présent arrêt.

Enfin, l’entrepreneur reprochait à la cour d’appel d’avoir rejeté son recours en garantie contre la société qui avait posé les canalisations alors qu’elle les aurait suffisamment signalées et contre GRDF pour lui avoir fourni des plans dépourvus de cotes de niveaux. Absente des débats s’agissant de l’indemnisation de la victime, la faute des intervenants permet de répartir le poids définitif de la dette. L’entrepreneur condamné à réparer le préjudice doit agir contre ses cotraitants sur le fondement de la responsabilité de droit commun. En l’espèce, le recours de l’entrepreneur avait été rejeté au motif que le sinistre n’était dû qu’à ses propres manquements. Les fautes commises par ce dernier (absence de vérification des plans et utilisation de moyens inadaptés au regard des préconisations) étaient la cause exclusive du sinistre.