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L’État condamné à indemniser des enfants victimes des pollutions de l’air

Le 16 juin 2023, le Tribunal administratif de Paris a condamné l’État à indemniser des enfants victimes de la pollution de l’air. Sur la base des résultats d’une expertise ordonnée par jugement avant-dire droit, et en s’appuyant sur l’interprétation, par la CJUE, de la directive 2008/50/CE, le tribunal a reconnu un lien de causalité entre la pollution de l’air et les dommages corporels des victimes. Malgré une indemnisation symbolique, cette décision constitue le premier cas de réparation des préjudices subis par des particuliers liés à la pollution de l’air.

Par deux décisions du 16 juin 2023, le Tribunal administratif de Paris reconnaît la responsabilité de l’État du fait de troubles respiratoires subis par des enfants en raison de sa carence fautive en matière de lutte contre la pollution atmosphérique.

Dans cette affaire, les requérants, parents d’enfants en bas âge et anciennement résidents à Paris, imputent les maladies respiratoires contractées par leurs filles mineures à la pollution atmosphérique en Île-de-France.

À la suite d’une réclamation indemnitaire adressée au ministre de la Transition écologique et solidaire et au préfet de police les 3 et 30 octobre 2020, les requérants ont déposé une requête introductive d’instance devant le Tribunal administratif de Paris aux fins d’engager la responsabilité de l’État du fait des préjudices subis par leurs filles.

Par un jugement avant-dire droit en date du 7 février 2022, le tribunal juge que l’État a effectivement commis une faute et ordonne une expertise afin d’évaluer les conséquences des dépassements des seuils de concentration de gaz polluants sur la santé des requérants.

En se fondant sur les résultats de cette expertise, il reconnaît, pour la première fois, l’existence d’un lien de causalité entre les périodes de dépassements des limites de concentration des polluants dans l’air et les dommages corporels et condamne l’État à indemniser le préjudice corporel des requérants.

Les conséquences des obligations incombant à l’État en matière de pollution de l’air

Les décisions commentées sont le résultat de l’influence du droit de l’Union européenne en matière de pollution atmosphérique. Elles précisent également le fondement de responsabilité de l’État dans ce domaine.

L’influence du droit de l’Union européenne

La présente affaire s’inscrit dans un contexte jurisprudentiel particulièrement dense, qui s’étale sur plusieurs années, encadré par le droit dérivé de l’Union, et influencé par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne.

En l’espèce, les requérants estiment que la carence de l’État en matière de lutte contre la pollution atmosphérique est constitutive d’une faute de nature à engager sa responsabilité. Ils font valoir que les mesures adoptées n’ont pas permis que les périodes de dépassement des valeurs limites de concentration de polluants dans l’atmosphère de la région Île-de-France soient les plus courtes possibles.

Pour répondre à ces prétentions, les décisions commentées se fondent principalement sur l’interprétation, par la CJUE, des dispositions issues du traité sur l’Union européenne et de la directive 2008/50/CE du 21 mai 2008 concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe.

Pour rappel, en 2014, dans l’affaire ClientEarth (CJUE 19 nov. 2014, aff. C-404/13, D. 2014. 2409 ; ibid. 2015. 312, entretien M. Hautereau-Boutonnet et È. Truilhé-Marengo ), la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que l’élaboration d’un plan relatif à la qualité de l’air conforme ne suffisait pas à satisfaire les obligations d’un État membre au regard de la directive 2008/50/CE, notamment ses articles 13 et 23. Elle a précisé que les juridictions nationales devaient prendre toute mesure nécessaire pour assurer le respect de la directive.

En 2015, le Conseil d’État a résisté, en jugeant que les dépassements des seuils de concentration en polluants ne suffisent pas pour déclarer l’illégalité d’un tel plan. Il a également affirmé que ne pèse sur l’administration, en matière de pollution atmosphérique, qu’une obligation de moyen (CE 10 juin 2015, n° 369428, AJDA 2015. 2066 ).

Cependant, la Cour de justice revient sur cette question, le 5 avril 2017 (aff. C-488/15) et le 22 février 2018 (aff. C-336/16), et réaffirme que l’obligation de ne pas dépasser lesdits seuils constitue bien une obligation de résultat pour les États membres. Ces décisions obligent le Conseil d’État à revenir sur sa position de 2015 (CE 12 juill. 2017, n° 394254, Dalloz actualité, 17 juill. 2017, obs. M.-C. de Montecler ; Lebon 229 ; AJDA 2018. 167 , note A. Perrin et M. Deffairi ; ibid. 2017. 1426 ; D. 2017. 1474, et les obs. ; RFDA 2017. 1135, note A. Van Lang ; RTD eur. 2018. 392, obs. A. Bouveresse ).

Cette fois, le juge, en s’appuyant non seulement sur le franchissement des limites mais également sur la durée de ce franchissement – qui apportait la preuve de la déficience des plans adoptés – demande à l’État de prendre toutes les mesures nécessaires pour élaborer un plan de qualité de l’air répondant à ces exigences – sans explicitement reconnaître d’obligation de résultat.

En octobre 2019, la CJUE a constaté que la France n’avait manifestement pas adopté, en temps utile, des mesures appropriées permettant d’assurer un délai de dépassement qui soit le plus court possible et condamne la France pour non-respect de la directive (CJUE, 7e ch., 24 oct. 2019, aff. C-636/18, Dalloz actualité, 29 oct. 2019, obs. T. Coustet ; ibid., 29 oct. 2019, obs. M.-C. de Montecler ; AJDA 2019. 2154 ; D. 2019. 2092, et les obs. ; ibid. 2240, entretien E. Truilhé ; ibid. 2020. 1012, obs. V. Monteillet et G. Leray ).

En juillet 2020, le Conseil d’État a prononcé à l’encontre de l’État une astreinte d’un montant « record » de 10 M € si celui-ci ne justifiait pas, dans un délai de six mois, avoir exécuté la décision du 17 juillet 2017 (CE 10 juill. 2020, n° 428409, Association Les amis de la terre France, Dalloz actualité, 16 juill. 2020, obs. J.-M. Pastor ; Lebon 289 avec les concl. ; AJDA 2020. 1447 ; ibid. 1776 , chron. C. Malverti et C. Beaufils ; D. 2021. 1004, obs. G. Leray et V. Monteillet ; JA 2021, n° 632, p. 33, étude S. Damarey ; RFDA 2020. 818, concl. S. Hoynck ; RTD civ. 2021. 199, obs. P. Théry ; RTD eur. 2021. 481, obs. D. Ritleng ). Le 4 août 2021, le Conseil d’État condamnait l’État à payer une première astreinte de 10 millions d’euros pour le premier semestre de l’année 2021, observant que les seuils limites restaient dépassés dans cinq zones.

Outre le contentieux de la qualité de l’air, le contentieux climatique a également connu d’importants développements dans les dernières années. Ces deux contentieux distincts s’inscrivent désormais dans une logique commune.

En effet, en novembre 2020, le Conseil d’État a demandé au gouvernement de justifier, dans un délai de trois mois, du caractère suffisant des mesures prises pour respecter la trajectoire de baisse des émissions de GES prévue pour 2030 (CE 19 nov. 2020, n° 427301, Dalloz actualité, 27 nov. 2020, obs. C. Collin ; Lebon ; AJDA 2021. 217 ; ibid. 2115 ; ibid. 2020. 2287 ; ibid. 2021. 2115, note H. Delzangles ; D. 2020. 2292, et les obs. ; ibid. 2021. 923, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; ibid. 1004, obs. G. Leray et V. Monteillet ; RFDA 2021. 747, note A. Van Lang, A. Perrin et M. Deffairi ; RTD eur. 2021. 484, obs. D. Ritleng ). Le 1er juillet, il a enjoint au gouvernement de prendre avant le 31 mars 2022 les mesures nécessaires pour atteindre ledit objectif (CE 1er juill. 2021, n° 427301, Dalloz actualité, 2 juill. 2021, obs. J.-M. Pastor ; Lebon avec les concl. ; AJDA 2021. 1413 ; ibid. 2115 , note H. Delzangles ; D. 2021. 1287, et les obs. ; ibid. 2022. 963, obs. V. Monteillet et G. Leray ; RFDA 2021. 777, concl. S. Hoynck ; RTD eur. 2022. 600, obs. P. Thieffry ). Le 10 mai 2023, le Conseil d’État a conclu que sa précédente décision n’avait pas été mise en œuvre, et a adressé une nouvelle injonction au gouvernement de prendre, avant le 30 juin 2024, toutes les mesures nécessaires à l’objectif de réduction des émissions de 40 % en 2030 (CE 10 mai 2023, n° 467982, Dalloz actualité, 17 mai 2023, obs. J.-M. Pastor ; Grande-Synthe (Cne) et autres, Lebon ; AJDA 2023. 919 ; ibid. 1081, tribune B. Seiller ).

Enfin, en mars 2019, quatre associations ont introduit un recours devant le Tribunal administratif de Paris pour obtenir la condamnation de l’État à réparer leur préjudice moral et le préjudice écologique subi.

Le 3 février 2021, le tribunal a exigé que l’État répare le préjudice écologique causé. Le 14 octobre 2021, il a confirmé la persistance du préjudice à hauteur de 15 Mt CO2eq malgré une réduction significative des émissions en 2020, et a ordonné au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour compenser les émissions restantes du premier budget carbone (TA Paris, 14 oct. 2021, n° 1904967, Dalloz actualité, 18 oct. 2021, obs. J.-M. Pastor ; AJDA 2022. 929 , note R....

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