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L’exécution de son legs par l’héritier légataire à titre particulier

Si, en application de l’article 724 du code civil, l’héritier réservataire est saisi de plein droit des biens du défunt et se trouve en possession de toute l’hérédité à dater du jour du décès, cette saisine et cette possession ne valent pas, en elles-mêmes, commencement d’exécution du testament dont est gratifié cet héritier.

par Vincent Brémondle 22 novembre 2017

L’héritier légataire est un personnage singulier du droit successoral. Investi par la loi et par la volonté du défunt, ses droits et ses prérogatives soulèvent des interrogations. En l’espèce, le de cujus laissait pour lui succéder ses quatre enfants, dont l’un était gratifié, par testament olographe, d’un legs à titre particulier portant sur un immeuble parisien et un terrain en province. Pendant près de dix ans, la succession demeure en l’état d’indivision, l’héritier légataire ayant la jouissance exclusive du bien légué, à la suite, semble-t-il, d’un accord avec ses cohéritiers coïndivisaires. Au décès de l’un d’entre eux, son héritier assigne les coïndivisaires survivants en partage de la succession. À l’occasion de la liquidation de cette succession, l’exception de nullité du testament olographe instituant l’un des héritiers légataire particulier est soulevée par les cohéritiers et cette nullité est prononcée par les juges du fond. L’héritier légataire se pourvoit en cassation en arguant que la prise de possession du legs, quand bien même procéderait-elle de la saisine légale qu’il détenait en sa qualité d’héritier, constituait un acte d’exécution du legs, éteignant la faculté d’invoquer l’exception de nullité (règle aujourd’hui consacrée par l’article 1185 du code civil qui dispose que « l’exception de nullité ne se prescrit pas si elle se rapporte à un contrat qui n’a reçu aucune exécution »), le délai de prescription pour soulever la nullité du testament étant expiré. Le pourvoi est rejeté par la première chambre civile qui juge, dans un arrêt rendu le 25 octobre 2017 (n° 16-24.766) que, « si, en application de l’article 724 du code civil, l’héritier réservataire est saisi de plein droit des biens du défunt et se trouve en possession de toute l’hérédité à dater du jour du décès, cette saisine et cette possession ne valent pas, en elles-mêmes, commencement d’exécution du testament dont est gratifié cet héritier ». De sorte que, le testament n’ayant pas été exécuté, l’exception de nullité de ce dernier pouvait être soulevée par les autres héritiers.

L’idée poursuivie par cette solution apparaît assez claire. Les héritiers ne doivent pas supporter les conséquences de leur inaction (ne pas agir en nullité du testament avant l’expiration du délai de prescription) en présence d’un cohéritier légataire qui, sciemment, entretient le doute sur le titre par lequel il appréhende le bien légué (est-ce en qualité d’héritier légal ou de légataire qu’il occupe privativement le bien légué ?). En quelque sorte, par analogie avec le droit des biens, sa possession est équivoque et ne peut donc produire les effets attachés à celle-ci, en l’occurrence constituer un acte d’exécution du testament. Cette équivocité ressortait des faits de l’espèce, notamment en ce que le légataire avait accepté de représenter ses cohéritiers lors d’une assemblée générale de copropriété relative au bien légué, ce qui conduisait à admettre qu’il ne s’en considérait pas comme le propriétaire exclusif. Cela illustre le fait que la délivrance, induite par la saisine, ne coïncide pas nécessairement avec la possession : « on ne doit pas, en effet, confondre faculté de se mettre en possession de l’hérédité et mise en possession effective des biens qui la composent » (F. Terré, Y. Lequette et S. Gaudemet, Les successions. Les libéralités, 4e éd., Dalloz, coll. « Précis », n° 798). En l’espèce, l’héritier légataire, au regard de son comportement, n’avait la possession que d’une fraction indivise du bien, non de sa totalité.

Dès lors, si l’on comprend le dessein poursuivi, encore faut-il qu’il soit juridiquement fondé. À cet égard, la question des prérogatives de l’héritier légataire, si elle n’est pas tranchée par les textes (en particulier l’art. 724 c. civ. distingue la situation des héritiers légaux de celles des légataires, sans envisager celle de l’héritier légataire), a été, en revanche, abordée à de nombreuses reprises par la Cour de cassation.

Ainsi, la Cour de cassation a estimé, à plusieurs reprises, que l’héritier saisi de plein droit et qui, donc, est en possession de l’hérédité est dispensé de demander la délivrance du legs en raison du caractère indivisible de la saisine ; la solution semble logique au regard du fait que cette dernière n’a pour but que de transférer la possession du bien légué à son bénéficiaire. La Cour de cassation, mettant un terme à une opposition doctrinale, en déduit tout particulièrement que le droit du légataire à la totalité des fruits de la chose léguée remonte au jour de l’ouverture de la succession, en vertu de la saisine légale fixée au même jour (pour un legs particulier attribué à un héritier réservataire, v. Civ. 1re, 24 nov. 1969, Bull. civ. I, n° 361 ; JCP 1970. II. 16506, note Dagot ; DS 1970. 164, note Dedieu ; Gaz. Pal. 1970. 1. 170 ; 31 mars 1971, Bull. civ. I, n° 119 ; DS 1971. Somm. 204) : « chacun des héritiers légitimes étant saisi de l’universalité de l’hérédité, est, en vertu de cette saisine légale, en possession de toute l’hérédité », et ce, quelle que soit la qualité de réservataire ou de non-réservataire de l’héritier, et quelle que soit la nature des droits – pleine propriété, usufruit ou nue-propriété – constituant la vocation légale de l’héritier (ainsi, pour le conjoint survivant, à l’époque où celui-ci n’était pas réservataire et avait une vocation légale en usufruit, v. Civ. 1re, 20 mars 1984, Bull. civ. I, n° 108 ; Defrénois 1984, art. 33432, p. 1503, n° 123, obs. G. Champenois ; RTD civ. 1984. 423, obs. J. Patarin). De même, l’héritier légataire, disposant de la jouissance immédiate du bien légué, ne peut être condamné à verser une indemnité d’occupation à l’indivision pour jouissance privative du bien (Civ. 1re, 2 juin 1987, Bull. civ. I, n° 181 ; Defrénois 1988, art. 34227, note A. Breton ; DS 1988. 137, note A. Breton).

Dès lors demeure une question discutée : celle de savoir si l’héritier légataire devait procéder à l’envoi en possession de son legs, afin que son titre, olographe ou mystique, soit vérifié aux termes de l’ancien article 1008 du code civil (abrogé à compter du 1er nov. 2017). La doctrine apparaissait divisée, certains dispensant de cette formalité les seuls légataires ayant la qualité d’héritier réservataire (v. not., RTD civ. 1985. 428, obs. J. Patarin), tandis que d’autres en dispensaient tous les héritiers légataires (v. en ce sens M.-A. Guerriero, L’héritier légataire, in Mélanges P. Hébraud, 1981, p. 441, n° 20 ; F. Terré, Y. Lequette et S. Gaudemet, op. cit., n° 792, qui émettent toutefois des doutes quant au bien-fondé de la solution, notamment au regard d’une carence textuelle). La jurisprudence, quant à elle, posait la règle contraire au sujet du légataire universel qui n’était pas en concurrence avec des héritiers réservataires : l’article 1008 « ne distingue pas suivant que le légataire universel a ou n’a pas la saisine ; la règle qu’il édicte s’impose à quiconque se réclame universellement d’un testament olographe, quelle que soit par ailleurs sa vocation héréditaire ; la nécessité du contrôle judiciaire par le président du tribunal se rattache à la nature du titre, testament olographe ou mystique, et non à la qualité personnelle du successible » (Paris, 16 déc. 1967, DS 1968. 572, note de la Marnierre ; Rouen, 16 déc. 1974, DS 1975. Somm. 56). La même règle devrait logiquement s’appliquer au légataire à titre particulier (v. en ce sens F. Terré, Y. Lequette et S. Gaudemet, op. cit., n° 792 ; M. Grimaldi, Successions, LexisNexis, 2001, n° 420). Ainsi, l’héritier légataire de l’affaire jugée le 25 octobre 2017 aurait vraisemblablement dû, pour initier l’exécution de son legs, demander l’envoi en possession du bien légué à ses cohéritiers. À compter de cette date, ces derniers ne pouvant ignorer le titre par lequel leur cohéritier prétend appréhender le bien litigieux  d’une part, le délai de prescription pour agir en nullité du testament contenant le legs aurait commencé à courir ; d’autre part, l’exception d’inexécution n’aurait plus pu être soulevée.

La situation est-elle différente aujourd’hui, après la réforme de la saisine et de l’envoi en possession par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 (v. D. 2017. Pan. 2119, obs. V. Brémond ) ? L’ancien article 1008 du code civil, imposant l’envoi en possession du légataire universel, en l’absence d’héritiers réservataires, institué par un testament mystique ou olographe, a été abrogé. Mais l’envoi en possession peut, désormais (à compter du 1er nov. 2017), être requis en cas d’opposition par tout intéressé dans le mois qui suivra la date du procès-verbal établi par le notaire qui a ouvert le testament (nouv. art. 1007). Il convient, vraisemblablement, d’imposer cette formalité, en cas de contestation par les héritiers (réservataires ou non), au cohéritier légataire universel, en raison de la nature fragile du titre qui l’a institué. A fortiori, ces règles ne devraient-elles pas s’appliquer à l’héritier légataire à titre particulier ?

La solution issue de cet arrêt du 25 octobre 2017 n’en soulève pas moins des questions. Dès lors que l’héritier légataire (qu’il soit en outre réservataire ne change pas la donne) est, légalement, en possession de toute l’hérédité, et donc du legs, comment peut-on alors lui reprocher de ne pas avoir demandé une mise en possession de son legs ? En outre, si la délivrance ne doit pas être confondue avec le paiement, c’est-à-dire l’exécution du legs, il n’en demeure pas moins qu’en présence d’un legs de choses déterminées (legs à titre particulier, certains legs à titre universel), le bien légué ne tombe pas dans l’indivision successorale de sorte qu’aucun partage n’est requis pour concrétiser les droits du légataire, si bien que le paiement accompagne bien souvent la délivrance (en ce sens, F. Terré, Y. Lequette et S. Gaudemet, op. cit., n° 815). Dès lors n’y avait-il pas eu, en l’espèce, exécution du legs ? S’il en a été jugé autrement, c’est vraisemblablement parce que la possession du légataire était équivoque au regard du titre en vertu duquel elle est exercée. En se soumettant aux règles de l’indivision, et donc en reconnaissant la propriété indivise de ses cohéritiers sur le bien litigieux, le légataire niait sa propriété exclusive sur celui-ci, et par conséquent l’existence de son legs. En définitive, la question n’était-elle pas davantage celle de l’acceptation par le légataire de son legs ?

Conseils pratiques : au regard des nombreuses incertitudes frappant l’héritier légataire, la prudence doit s’imposer. D’une part, les protagonistes – légataire et cohéritiers – ne doivent pas laisser s’enliser la situation en perpétuant une indivision successorale. D’autre part, le légataire doit requérir une reconnaissance expresse de la part de ses cohéritiers de l’existence de son droit exclusif sur le bien légué mettant fin à toute contestation de son titre.