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L’exécution du mandat d’arrêt européen en dehors du silence

Depuis quelques années, le droit de se taire ne cesse de monter en puissance et la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire a parachevé sa reconnaissance. Pour autant, il pourrait y avoir des oublis. En effet, sa notification n’a pas été systématisée, notamment dans le cadre de la procédure d’exécution du mandat d’arrêt européen, et la jurisprudence entérine, une nouvelle fois, ce choix du législateur, dans un arrêt en date du 5 décembre 2023.

Le 11 août 2022, les autorités judiciaires norvégiennes ont délivré un mandat d’arrêt européen contre un individu de nationalité norvégienne, en vue de poursuites pénales des chefs de violation des interdictions de séjour et de contacts et menaces envers son ancienne compagne, réprimés par le droit de cet État membre (art. 168, 266 et 263 du code pénal norvégien). Le 17 mars 2023, le procureur général lui a notifié l’émission d’un mandat d’arrêt européen à son encontre. À ce titre, il a déclaré ne pas consentir à sa remise (§§ 1, 2 et 3). La chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris l’a, toutefois, ordonnée dans un arrêt en date du 25 octobre 2023 (§ 6). La personne recherchée a alors formé un pourvoi en cassation. Elle avançait, d’une part, que l’article 695-30 du code de procédure pénale ainsi que l’interprétation qu’en fait la chambre criminelle, lesquels évincent la notification du droit de se taire dans le cadre de l’exécution du mandat d’arrêt européen, seraient contraires à la Constitution et devraient ainsi faire l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité (§ 6, 1°). Elle considérait, d’autre part, « que quelle que soit la procédure en cause », la méconnaissance de la notification du droit de se taire au cours des débats dans le cadre de l’instruction violerait les articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et de nombreuses dispositions issues du code de procédure pénale (§ 6, 2°).

Dès lors, dans le cadre de l’exécution d’un mandat d’arrêt européen, le droit de se taire doit-il être notifié ? Dans le cas contraire, qu’en serait-il de la constitutionnalité de l’article 695-30 du code de procédure pénale ?

Par un arrêt en date du 5 décembre 2023, la chambre criminelle répond par la négative et rejette ainsi le pourvoi. Elle considère qu’il n’y a pas lieu de saisir le Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à l’article 695-30 du code de procédure pénale (§§ 7 et 8). Elle ajoute que l’article 199 du code de procédure pénale, prévoyant depuis la loi du 22 décembre 2021 la notification du droit de se taire à la personne mise en examen devant la chambre de l’instruction, n’est pas applicable à la comparution, devant cette même juridiction, de la personne recherchée sur le fondement d’un mandat d’arrêt européen (§ 9). En outre, cette exigence n’est ni prévue par le législateur (§ 9), ni par la jurisprudence de la Cour de cassation, laquelle considère que « l’audition devant la chambre de l’instruction de la personne recherchée ne vise qu’à constater son identité, à recevoir ses observations sur le déroulement de la procédure dont elle fait l’objet, et à lui permettre de consentir ou non à sa remise, et non à la soumettre à un interrogatoire sur les faits objet du mandat d’arrêt » (§ 11). Autrement dit, quand elle « n’examine pas, à cette occasion, le bien-fondé d’une accusation en matière pénale », le droit de se taire n’a pas à être notifié (§ 12). En somme, la chambre criminelle refuse, sans l’expliciter, de saisir le Conseil constitutionnel, puis rappelle l’exclusion de la notification du droit de se taire en l’absence d’examen des charges.

Le refus de soumettre à l’examen du Conseil constitutionnel la question de la notification du droit de se taire

L’article 695-30 du code de procédure pénale porte sur la procédure d’exécution d’un mandat d’arrêt européen « lors de la comparution de la personne recherchée » devant la chambre de l’instruction, laquelle doit constater son identité et recueillir ses déclarations, dont il est dressé procès-verbal. Dès lors, « le ministère public et la personne recherchée sont entendus, cette dernière assistée, le cas échéant de son avocat et, s’il y a lieu, en présence d’un interprète ». Or la notification du droit de se taire n’est pas mentionnée aux côtés de ces deux autres droits de la défense. Ce silence est-il constitutionnel ? Cette question prioritaire de constitutionnalité avait été posée pour la première fois en 2014 puis en 2021. À ce titre, elle n’avait pas pu passer le filtre de la chambre criminelle, laquelle avait considéré que la question n’était pas nouvelle et qu’elle ne présentait pas, à l’évidence, un caractère sérieux. La chambre criminelle affirmait, en effet, que « l’absence de notification du droit de se taire dans cette phase de la procédure n’est pas contraire aux droits de la défense, et notamment au droit de la personne de ne pas contribuer à sa propre incrimination ni au principe d’égalité » (Crim. 6 janv. 2015, n° 14-87.893, RTD eur. 2016. 374-31, obs. B. Thellier de Poncheville ; 24 mars 2021, n° 21-81.361, §§ 9 et 10, Dalloz actualité, 9 avr. 2021, obs. L. Priou-Alibert ; AJ pénal 2021. 217 et les obs. ).

Plus récemment, le 13 novembre 2023, cette même question vient d’être transmise à la Cour de cassation....

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