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L’expulsion d’un terroriste algérien débattue devant la CEDH

Monsieur M. a été condamné en 2015 par le tribunal correctionnel de Paris à une peine de sept ans d’emprisonnement, et à une interdiction définitive du territoire française. Alors qu’il devait être expulsé à l’issue de sa peine, en mars, il a saisi la CEDH en urgence d’un recours suspensif, arguant être menacé par l’État Algérien de traitements contraires à l’article 3 de la Convention, qui interdit les actes de torture, les traitements inhumains et dégradants. La France s’y oppose. À l’avenir, la question risque de se poser à maintes reprises, lorsque des ressortissants algériens condamnés pour terrorisme sortiront de détention.

par Julien Mucchiellile 24 janvier 2019

Le 31 octobre 2017 à Strasbourg, Emmanuel Macron, président, a dit : « Faire prévaloir les droits de l’homme est un combat qui doit être mené jusque dans les relations diplomatiques », aux juges de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Le 22 janvier 2019, à la cinquième section de la même cour, François Alabrune, directeur des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, a déclaré : « La présente affaire s’inscrit dans un contexte sensible qui est celui de la lutte contre le terrorisme, une menace bien réelle pour de nombreux États du Conseil de l’Europe. » C’est une affaire dans laquelle un homme condamné pour des faits de terrorisme, craint d’être exposé à un traitement contraire aux droits de l’homme protégés par la Convention.

Ali M., 33 ans, ressortissant algérien interpellé en 2013 et condamné en 2015 par la justice française pour association de malfaiteur terroriste, peine assortie d’une interdiction définitive du territoire français. En application de cette interdiction, le préfet de la Loire a édicté, le 21 février 2018, une décision fixant le pays à destination duquel il serait libéré – car Ali M. serait libéré le 14 mars 2018 – qui est l’Algérie. Là-bas, Ali M. craint pour sa sécurité, en raison de ses activités terroristes passées, et des méthodes brutales selon lui employées par les autorités de son pays.

Ali M. fait un référé-liberté le 5 mars, rejeté le 8 mars. Il saisit alors la CEDH d’un recours en urgence le 12 mars 2018, qui suspend l’effet de la décision d’expulsion, sollicitant de l’État français qu’il réponde à la question suivante : « Les autorités françaises sont-elles en mesure d’obtenir des autorités algériennes des garanties précises permettant de s’assurer que le requérant ne serait pas soumis à des traitements contraires aux droits protégés par la Convention après son arrivée dans ce pays, y compris la possibilité pour les membres du personnel diplomatique français de visiter régulièrement le requérant ? »

La situation juridique est délicate pour l’État français, qui, à cette question, ne peut répondre « oui », car il n’a pas été obtenu de la part des autorités algériennes les garanties spécifiques expressément mentionnées dans la question. Pour la Cour, il s’agit de décider si la France doit conserver sur son territoire, pour le protéger, un homme qu’elle a condamné par le passé pour des faits de terrorisme.

Le requérant, dont la demande d’asile formulée en mars a été rejetée (confirmée par la CNDA), expose un contexte algérien qui apparaît défavorable à sa personne. L’Algérie, disent ses avocats, torture. « Certaines personnes tortures, et cela existe parce que le système le permet », dit Me Thomas Fourrey. Cela ressort des travaux du groupe de travail sur l’examen périodique universel du Conseil des droits de l’homme des Nations unies qui, en 2012, relayait des signalements de cas de torture dans des lieux de détention, notamment pour des faits de terrorisme. Amnesty International fait le même constat en 2015, ainsi que le département d’État américain en 2016. Sur cette base, disent les avocats du requérant, la CEDH a rendu un arrêt M. A. contre France, le 1er février 2018 (Dalloz actualité, 13 févr. 2018, obs. H. Diaz isset(node/189077) ? node/189077 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>189077), qui traite d’un cas d’espèce proche de celui d’Ali M., qui estime que « au moment de son renvoi en Algérie, il existait un risque réel et sérieux qu’il soit exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention. » Or, pour Me Yannis Lantheaume, « rien ne justifie de faire du mal à un être humain, de le tourmenter, de l’humilier. La réponse au terrorisme ne peut être qu’entourée par le droit. »

Leur client, disent-ils, de part sa situation, sera inquiété par les autorités. Pour cela, ils se fondent sur la notoriété de son affaire, sa médiatisation, et sur l’impossibilité manifeste que l’Algérie ait pu ignorer une procédure terroriste à l’encontre de son ressortissant. En outre, ajoute Me Thomas Fourrey, Ali M. était proche de plusieurs membres éminents d’AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique), et notamment d’importants membres algériens, ce qui ne peut avoir pour effet que d’aiguiser l’intérêt des autorités algériennes, notamment du département de surveillance et de sécurité (DSS), pour la personne d’Ali M. « Il est évident que l’Algérie souhaite entendre, voire poursuivre Ali M., et l’absence de casier judiciaire et de mandat d’arrêt à son encontre » n’infirme en rien cet argument, souligne-t-il.

Le gouvernement craint que, si la cour accède à la demande du requérant, cela signifierait l’établissement d’une présomption générale de risque de torture pour tous les Algériens condamnés pour terrorisme et, partant, l’impossibilité future de les expulser. François Alabrune en appelle même à « l’acceptabilité sociale » : c’est dire si l’enjeu est énorme, et le sujet, délicat.

Le gouvernement demande à la Cour de faire une appréciation stricte de ses critères d’application de l’article 3 de la Convention, c’est-à-dire qu’il soit prouvé qu’il existe dans le pays « accueillant », une « situation générale de violence, une caractéristique propre à l’intéressé ou une combinaison des deux », qui pourraient l’exposer à des actes de torture, un traitement inhumain ou dégradant. Or, François Alabrune observe que depuis la période 2007-2016, qui est la période examinée dans l’arrêt M.A. contre France de février 2018, la situation en Algérie a évolué de manière positive, on le sait de source gouvernementale et par des rapports d’ONG, qui, selon les citations prononcées à l’audience, n’a pas décelé de torture depuis 2017. En outre, un comité des droits de l’homme, opérationnel depuis 2017, œuvre efficacement à la promotion des droits de l’homme jusque dans les geôles les plus sordides. C’est ainsi que les terroristes ne sont plus « systématiquement » exposés à la torture. Le requérant ne peut donc soutenir qu’il appartient à un groupe systématiquement exposé à la torture. Sur ce point, Me Lantheaume répond : « Parle-t-on de la même chose ? Ma question n’est pas de dire que la torture est systématique, mais qu’il existe un risque. »

S’agissant des circonstances qui lui sont propres, le requérant se fonde sur les arrêts Daoudi (2009) et M. A. contre France, qui ont bloqué les expulsions, se contentant de rappeler le caractère public de sa condamnation. Pour le gouvernement, c’est insuffisant. Déjà, le droit algérien encadre l’action de la police, rappelle-t-il, et si la garde à vue peut être portée à douze jours en matière de terrorisme, le mis en cause possède des droits qui sont mis en œuvre (la garde à vue doit être renouvelée par le procureur toutes les 48 heures, le gardé peut prévenir un proche ou un avocat et voir un médecin à l’issue de la mesure). En outre, il ne fournit aucun document attestant d’une menace actuelle et personnelle, ses craintes ne sont donc pas fondées, ses allégations ne sont pas sérieuses.

Pourquoi ne pas avoir « transigé », ne pas avoir tenté d’obtenir de garanties spéciales de l’Algérie, comme la CEDH s’en satisferait ? « Cette démarche peut être perçue comme une remise en cause de la souveraineté », admet le représentant du gouvernement. « L’intégrité physique de Monsieur M. a été sacrifiée sur l’autel des relations diplomatiques avec un pays ami », reproche Me Lantheaume.

La Cour devrait rendre son arrêt dans le courant du 1er semestre, mais pourrait ne pas examiner le fond : le gouvernement a soulevé l’irrecevabilité de la requête, les recours nationaux n’ayant pas été épuisés. Ali M. n’avait pas déposé de demande d’asile avant de saisir la Cour de Strasbourg.