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L’extraordinaire histoire de l’article 750-1 du code de procédure civile : le rétablissement

Le décret n° 2023-357 du 11 mai 2023 rétablit l’article 750-1 du code de procédure civile, en précisant les conditions dans lesquelles l’indisponibilité du conciliateur de justice sera un motif légitime dispensant les parties de recourir au préalable amiable obligatoire devant le tribunal judiciaire.

L’histoire de l’article 750-1 du code de procédure civile est celle d’un exercice d’équilibriste. Marchant sur le fil tendu de la bonne administration de la justice, le pouvoir réglementaire tente de progresser en tenant dans une main la promotion des modes de résolution amiable des différends et dans l’autre le respect du droit au juge. Ce dernier a été consacré et est aujourd’hui protégé notamment par trois des plus grandes juridictions surmontant notre système judiciaire : la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et le Conseil constitutionnel. En effet, la prééminence du droit « ne se conçoit guère sans la possibilité d’accéder aux tribunaux » (CEDH 21 févr. 1975, Golder c. RU, série A, n° 18, § 34). Quant à la promotion des modes de résolution des différends, elle s’explique par les nombreux avantages de ceux-ci, en particulier pour les justiciables. Ceux qui parviendront à s’entendre bénéficieront d’une résolution plus rapide et de solutions amiables mieux acceptées et exécutées. Les autres auront un juge plus disponible. Ce dernier aspect n’a pas échappé aux pouvoirs publics qui y ont vu un moyen, parmi d’autres, de gestion des flux, nécessaire dans un contexte de crise de la justice installé maintenant depuis plusieurs dizaines d’années (H. Lafont et P. Meyer, Justice en miettes, PUF, 1980 ; J.-C. Soyer, Justice en perdition, Plon, 1982). Le problème est que les Français ne semblent pas prompts à s’emparer de l’amiable. Qu’à cela ne tienne. Les pouvoirs publics multiplient les incitations, diversifient les instruments de l’amiable et finissent par imposer sa recherche en amont du procès, comme cela avait déjà pu être le cas par le passé. C’est ainsi que la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 a prévu, dans son article 4, que la saisine du tribunal d’instance par déclaration – c’est-à-dire pour les litiges inférieurs à 4 000 € de – devait être précédée d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, à peine d’irrecevabilité que le juge pouvait prononcer d’office. Immédiatement, la question s’est posée de savoir si cette obligation ne contrevenait pas au principe fondamental d’accès au juge. Au regard des conditions posées par l’arrêt Momcilovic c. Croatie rendu le 26 mars 2015 par la CEDH, la loi évite l’écueil parce qu’elle poursuit un but légitime d’économie et d’efficacité judiciaire, que l’obstacle est temporaire, que le recours au conciliateur de justice est gratuit et interrompt la prescription et parce que la loi prévoit des exceptions au recours obligatoire à la conciliation.

Ragaillardi par cette première audace, le législateur a poursuivi son œuvre de réhabilitation du préalable amiable obligatoire. La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, entrée en vigueur le 1er janvier 2020, a élargi l’article 4 de la loi de 2016 et le décret d’application n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 en a tiré l’article 750-1 du code de procédure civile. Mais l’équilibre n’étant pas parfait, l’article a été annulé avant d’être rétabli par le décret du 11 mars 2023.

L’adoption puis l’annulation de l’article 750-1 du code de procédure civile

L’article 750-1 du code de procédure civile a instauré un préalable amiable obligatoire cherchant à préserver le principe fondamental d’accès au juge. Mais ce dernier n’étant pas suffisamment protégé, l’article 750-1 a été annulé.

La délicate construction d’un préalable amiable obligatoire

En réécrivant l’article 4 de la loi de 2016, la loi du 23 mars 2019 a élargi le domaine de recours au préalable amiable obligatoire, mais aussi les modes amiables envisageables, ce que le décret du 11 décembre 2019 a repris et développé dans l’article 750-1 du code de procédure civile. Selon ce dernier, le préalable amiable s’impose pour toutes les demandes inférieures à 5 000  et les demandes relatives aux conflits de voisinage. La formule issue de la loi du 23 mars 2019 a pu interroger. Le décret du 11 décembre 2019 l’a précisé en opérant, au sein de l’article 750-1, un renvoi au code de l’organisation judiciaire. Il s’agit notamment de l’action en bornage, des actions relatives à la distance pour les plantations ou l’élagage d’arbres ou de haies… pour lesquelles il est naturel de recourir à l’amiable, les parties étant amenées à rester en contact, après la résolution du conflit. Il était toutefois étonnant que les troubles anormaux du voisinage n’aient pas été initialement envisagés. Le décret n° 2022-245 du 22 février 2022 a complété l’article 750-1 en ce sens. Concernant les modes amiables pouvant être mis en œuvre, la médiation et la procédure participative viennent s’ajouter à la conciliation par un conciliateur de justice. Cela était indispensable car les seuls conciliateurs de justice, bénévoles, ne pouvaient faire face à l’augmentation de contentieux visés.

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