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L’IA Act déjà obsolète face aux IA de nouvelle génération ? L’exemple de ChatGPT

Alors que les États membres de l’Union européenne viennent à peine d’approuver l’orientation générale du Conseil sur la proposition de règlement sur l’intelligence artificielle, cette approbation est déjà mise à l’épreuve par la mise en ligne concomitante d’une IA générative à présentation « humanisée » de nouvelle génération, l’agent conversationnel ChatGPT.

La proposition initiale de règlement sur l’intelligence artificielle (RIA), publiée le 21 avril 2021, par la Commission européenne (COM(2021) 206 final), a pour objectif, dans une logique de sécurisation préventive contre les risques pour la santé, la sécurité et les droits fondamentaux, inhérents aux systèmes d’intelligence artificielle (systèmes d’IA), de consacrer et de réglementer trois niveaux de risques : les risques inacceptables, les hauts risques, les risques acceptables. Les systèmes d’IA présentant des risques inacceptables sont prohibés ; les systèmes d’IA à haut risque sont assortis d’un certain nombre d’obligations de diligence à la charge des développeurs, des utilisateurs professionnels et des autres acteurs de la chaînes de valeur des SIA, obligations dont la violation pourra être sanctionnée par diverses sanctions aux rangs desquelles des amendes administratives. Les systèmes d’IA présentant des risques acceptables ne sont assortis d’aucunes obligations de diligence particulières, sauf des obligations de transparence, dans certaines hypothèses spécifiques qu’elles partagent avec les autres systèmes d’IA (interaction avec l’humain, reconnaissance émotionnelle, catégorisation biométrique, deep fake). Le futur RIA a, en outre, vocation à être complété par une proposition de directive sur la responsabilité civile extra-contractuelle en matière d’intelligence artificielle qui a été publiée par la Commission européenne le 28 septembre 2022 (Proposition de directive relative à l’adaptation des règles en matière de responsabilité civile extracontractuelle au domaine de l’intelligence artificielle [Directive sur la responsabilité en matière d’IA], COM/2022/496 final, 28 sept. 2022), dans le cadre d’un paquet législatif relatif à la responsabilité civile, et qui a pour objectif de réglementer les règles probatoires inhérentes à la mise en œuvre d’une responsabilité civile pour faute en cas de réalisation d’un dommage causé par un SIA.

Les États membres de l’UE ont approuvé l’orientation générale du Conseil sur cette proposition de règlement, lors du Conseil « Transports, télécommunications et énergie » qui s’est tenu le 6 décembre 2022. Les États membres ont envisagé, dans leur orientation générale, un certain nombre de modifications substantielles qui vont principalement dans le sens de l’allègement du dispositif initialement proposé par la Commission européenne en vue de responsabiliser au moyen d’un certain nombre d’obligations de diligence les développeurs, les utilisateurs professionnels de SIA, ainsi que les autres acteurs de la chaîne de valeur des SIA. Au-delà de cet allègement, il convient de noter que le Conseil propose de préciser le concept d’identification biométrique à distance et d’amender les définitions des concepts centraux du RIA.

Cette orientation générale établit la position provisoire du Conseil sur cette proposition et sert de base pour préparer les négociations avec le Parlement européen qui n’a pas encore, pour sa part, procédé à l’adoption définitive des amendements à ladite proposition. La présidence Suédoise du Conseil qui a débuté son mandat au 1er janvier 2023 a néanmoins d’ores et déjà annoncé qu’elle entend débuter sous son mandat les trilogues sur la négociation du RIA, ce qui permettrait d’espérer une version définitive du texte à la fin de l’année 2023, sous présidence espagnole.

Cette orientation générale intervient au moment précis où la start-up OpenAI vient de rendre accessible gratuitement au public un agent conversationnel de nouvelle génération, l’IA à usage général, générative de contenus textuels des plus variés, ChatGPT (Generative Pre-trained Transformer) qui aurait atteint, selon les dires de l’un de ses dirigeants, Sam Altman, dès le 5 décembre 2022, soit en moins de quinze jours d’accès, le million d’utilisateurs. Il semble, au regard des premiers articles sur le sujet, que la start-up OpenAI a été créée en 2016 à l’initiative d’Elon Musk, le dirigeant, entre autres entreprises, de Tesla, SpaceX et Twitter et d’anciens ingénieurs de Google, a été financée, à compter de 2019, à hauteur d’un milliard de dollars par l’entreprise Microsoft pour le développement de ChatGPT, est sur le point de faire l’objet d’un investissement complémentaire de 10 milliards de dollars par cette même entreprise (A. Piquard, OpenAI : dans la tête des créateurs de ChatGPT, Le Monde, 21 janvier 2023) et utilise une technologie de réseaux de neurones développée par l’entreprise Google (B. Teinturier, Bernhard Rieder : « Les grands médias font de l’IA un instrument un peu magique », AOC, 21 janv. 2023). Il semble, en outre, que ChatGPT est d’ores et déjà utilisé depuis 2020 comme un service s’intégrant au sein des services de cloud computing à destination des professionnels proposés par l’entreprise Microsoft et pourrait être utilisé à l’avenir par cette même entreprise pour améliorer son moteur de recherche « Bing », afin de concurrencer le moteur de recherche « Google » (A. Piquard, Intelligence artificielle : Microsoft prêt à investir davantage dans la pépite OpenAI, Le Monde, 10 janv. 2023) qui agrège actuellement plus de 90 % des utilisateurs dans le monde.

Le chercheur néerlandais Bernhard Rieder, spécialiste de l’étude des Médias et de la culture numérique, précise, à propos de la technologie mobilisée au sein du logiciel ChatGPT : Elle « vise à entraîner en parallèle et simultanément des réseaux de neurones de manière quasi illimitée, décuplant la puissance de calcul en abolissant la frontière de la vitesse d’exécution de certaines tâches, puisqu’elles peuvent être conduites en parallèle. Dès lors, il devient possible de prendre en compte beaucoup plus de données, et de créer des réseaux de neurones moins focalisés sur une tâche spécifique. Profiter de cette innovation n’est cependant possible que pour une entreprise déjà pourvue de très grands centres de calcul, comme Google, déjà dotée de ces centres dédiés à une série d’autres choses, experte dans leur gestion et nantie de la capacité financière suffisante pour investir dans la construction de microprocesseurs dédiés à ce type d’architecture. Tout ceci exclut du marché les plus petites entreprises qui ne peuvent s’offrir cette infrastructure...

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