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Article

L’impact de la déclaration de délaissement unilatéral sur le parent non délaissant
L’impact de la déclaration de délaissement unilatéral sur le parent non délaissant
La Cour de cassation vient de rendre deux avis concernant les conditions et les conséquences d’une déclaration de délaissement parental qui ne frappe que l’un des deux parents.
par Marion Cottetle 12 juillet 2019

À l’occasion de la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant, la déclaration judiciaire de délaissement parental a remplacé l’ancienne déclaration d’abandon. Cette mesure entretient des liens étroits avec d’autres mécanismes de protection de l’enfant qui peuvent la compléter, tels que la délégation forcée de l’autorité parentale ou l’admission de l’enfant en qualité de pupille de l’État. Elle peut également être un préalable à l’adoption plénière de l’enfant. Elle peut donc avoir des conséquences sur l’exercice de l’autorité parentale ou sur son attribution, voire sur le lien de filiation entre le parent délaissant et l’enfant.
Or l’article 381-2, alinéa 4, du code civil précise que le délaissement parental peut être déclaré à l’endroit des deux parents ou d’un seul. C’est précisément l’hypothèse du délaissement unilatéral qui a donné lieu à une saisine pour avis de la Cour de cassation, par le tribunal de grande instance de Cherbourg. La haute juridiction a été interrogée sur les conditions de la déclaration de délaissement unilatéral, puis sur les conséquences que pourrait avoir une telle déclaration sur l’admission de l’enfant comme pupille de l’État, sur son adoptabilité, et sur la possibilité d’une délégation d’autorité parentale.
Les conditions de la déclaration de délaissement parental unilatéral
Deux questions étaient soumises à la Cour de cassation. La première, qui était la question principale, portait sur le point de savoir si le parent non délaissant doit avoir perdu son autorité parentale ou remis volontairement l’enfant au service de l’aide sociale à l’enfance en vue de son admission en qualité de pupille de l’État pour que le délaissement parental puisse être déclaré à l’égard du parent délaissant. La Cour de cassation apporte une réponse négative à cette interrogation, fondée sur une lecture stricte des textes régissant la déclaration judiciaire de délaissement parental (C. civ., art. 381-1 et 381-2). La loi ne subordonne pas la déclaration de délaissement unilatéral à la perte de l’autorité parentale par le parent non délaissant ou à une remise volontaire, par celui-ci, de l’enfant au service de l’aide sociale à l’enfance en vue de son admission en qualité de pupille de l’État. En conséquence, il n’y a pas lieu d’ajouter une condition que la loi ne prévoit pas. Seule doit être retenue la condition posée par le texte, à savoir celle qui tient à l’absence de relations nécessaires à l’éducation ou au développement de l’enfant, entre celui-ci et le parent délaissant.
Cette première réponse apporte deux enseignements. D’abord, le délaissement peut être déclaré à l’égard d’un seul parent, indépendamment de la situation et du comportement de l’autre parent. Cette solution, induite par la lettre de l’article 381-2 du code civil, tranche avec celle qui était retenue sous l’empire de l’ancienne procédure de déclaration d’abandon : l’article 350 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi du 14 mars 2016, ne prévoyait pas la possibilité d’une déclaration d’abandon unilatérale. La jurisprudence avait alors estimé que l’enfant devait avoir été délaissé par ses deux parents pour être déclaré abandonné (Civ. 1re, 6 mai 2003, n° 01-10.849, Dalloz jurisprudence). Tel n’est donc plus le cas aujourd’hui, en matière de déclaration de délaissement.
Ensuite, les conditions de la déclaration de délaissement ne doivent pas être confondues avec celles de l’admission d’un enfant en qualité de pupille de l’État, quand bien même la seconde peut être une conséquence de la première. Il semble en effet que la question posée par le tribunal de grande instance de Cherbourg soit inspirée des conditions posées par l’article L. 224-4 du code de l’action sociale et des familles pour l’admission d’un enfant en qualité de pupille de l’État. La Cour de cassation a donc rappelé à juste titre que ces conditions (retrait de l’autorité parentale ou remise de l’enfant en vue de son admission comme pupille) n’étaient pas requises en matière de délaissement parental.
La seconde question posée au sujet de la déclaration de délaissement (question subsidiaire n° 9) était celle de savoir si l’intérêt supérieur de l’enfant peut justifier que le juge refuse de déclarer le délaissement parental, alors même que les conditions en sont réunies. Le juge conserve-t-il une marge d’appréciation ? La question peut paraître surprenante, dans la mesure où, comme le rappelle la Cour de cassation, la procédure de déclaration de délaissement a été elle-même conçue dans l’intérêt de l’enfant. La réunion des conditions posées par le texte garantit donc, en principe, le respect de cet objectif : l’enfant qui n’a pu entretenir avec son parent les relations nécessaires à son éducation ou à son développement pendant l’année qui précède l’introduction de la requête a généralement intérêt à voir le délaissement parental prononcé.
Pour autant, la question peut être soulevée en théorie. La Cour de cassation y répond, sans surprise, que l’intérêt supérieur de l’enfant peut justifier, exceptionnellement, que le délaissement parental ne soit pas prononcé. Cette solution n’est pas nouvelle puisqu’elle a déjà été retenue en matière de déclaration judiciaire d’abandon (Civ. 1re, 3 déc. 2014, n° 13-24.268, Bull. civ. I, n° 202, dans une espèce dans laquelle la déclaration d’abandon aurait eu pour effet de rendre l’enfant adoptable et de le confronter à une séparation douloureuse avec sa famille d’accueil, chez laquelle il vivait depuis son plus jeune âge, Dalloz actualité, 16 déc. 2014, obs. R. Mésa ; ibid. 649, obs. M. Douchy-Oudot
; ibid. 1919, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire
; AJ fam. 2015. 60, obs. P. Salvage-Gerest
; RTD civ. 2015. 118, obs. J. Hauser
). Elle est fondée sur l’article 3, § 1, de la Convention de New York du 20 novembre 1989, qui érige l’intérêt supérieur de l’enfant en considération primordiale et dont la Cour de cassation rappelle la valeur supralégislative et l’applicabilité directe devant les juridictions françaises. Reste que l’intérêt de l’enfant sera certainement apprécié différemment par les juges du fond à la lumière des réponses apportées par la Cour de cassation aux autres questions posées, qui concernent les effets de la déclaration judiciaire de délaissement unilatéral.
Les conséquences de la déclaration de délaissement parental unilatéral
La déclaration de délaissement peut avoir plusieurs incidences sur l’enfant : elle figure parmi les cas pouvant aboutir à l’admission de l’enfant comme pupille de l’État (CASF, art. L. 224-4, 6°) ou bien à l’adoption plénière de l’enfant (C. civ., art. 347, 3°), sans oublier qu’elle implique nécessairement une délégation forcée de l’autorité parentale (C. civ., art. 381-2, al. 5). Cependant, les différents textes s’abstiennent de préciser si ces options sont ouvertes en cas de délaissement par les deux parents ou par un seul. C’est justement tout l’objet des questions subsidiaires nos 1 à 8 posées par le tribunal de grande instance de Cherbourg.
S’agissant d’abord de la qualité de pupille de l’État, la question a été posée de savoir si la déclaration de délaissement unilatéral peut conduire à l’attribution de cette qualité, alors même que le second parent, non privé de l’autorité parentale, n’a pas remis volontairement l’enfant au service de l’aide sociale à l’enfance en vue de son admission en qualité de pupille (question subsidiaire n° 1). De fait, l’article L. 224-4, du code de l’action sociale et des familles vise « les enfants recueillis par le service de l’aide sociale à l’enfance en application des articles 381-1 et 381-2 du code civil » sans distinguer selon qu’ils ont été recueillis à la suite d’une déclaration de délaissement unilatéral ou bilatéral. Une lecture stricte des textes aurait pu conduire à considérer que, par application de la maxime ubi lex non distinguit, l’enfant peut être admis comme pupille de l’État en toute hypothèse, qu’il ait été déclaré délaissé par l’un seul de ses parents ou par les deux.
Ce n’est toutefois pas l’interprétation que la Cour de cassation a choisi de retenir. Après avoir relevé que les textes ne distinguent pas selon que le délaissement concerne les deux parents ou un seul, la Cour a raisonné en fonction des conséquences de l’admission d’un enfant en qualité de pupille de l’État. Elle a ainsi souligné que cette admission entraîne l’ouverture d’une tutelle et la perte des droits parentaux et qu’elle rend l’enfant adoptable (C. civ., art. 347, 2°) – autant de mesures qui constitueraient une atteinte grave « aux droits du parent non délaissant ». Dès lors, parce qu’elle estime que « la déclaration judiciaire de délaissement parental unilatérale ne peut avoir pour effet de priver de ses droits parentaux le parent non délaissant », la Cour de cassation est d’avis que les articles L. 224-4, 6°, et L. 224-8, I, du code de l’action sociale et des familles doivent être interprétés en ce sens qu’ils « n’autorisent pas l’admission en qualité de pupille de l’État d’un enfant, dont la filiation est établie à l’égard de ses deux parents, lorsque le délaissement parental est déclaré judiciairement à l’endroit d’un seul parent et que l’autre parent, non privé de l’autorité parentale, n’a pas remis volontairement l’enfant au service de l’aide sociale à l’enfance en vue de cette admission ».
Il en résulte que l’admission d’un enfant en qualité de pupille de l’État suppose que l’enfant se trouve, à l’égard de ses deux parents, dans l’une des situations visées par l’article L. 224-4 du code de l’action sociale et des familles. Le délaissement parental unilatéral ne suffit donc pas à déclencher la procédure d’admission de l’enfant en qualité de pupille de L’État. La défaillance de l’un seul des parents ne saurait rejaillir sur l’autre au point de le priver de ses droits parentaux, ou même de sa filiation.
S’agissant ensuite de l’adoptabilité de l’enfant déclaré délaissé, l’avis de la Cour de cassation s’inscrit dans la même logique. Le tribunal de grande instance de Cherbourg a posé, sur ce point, la question de savoir si l’article 347, 3°, du code civil autorise l’adoption d’un enfant dont la filiation est établie à l’égard de ses deux parents, lorsque le délaissement parental est déclaré judiciairement à l’endroit d’un seul parent et que l’autre parent non privé de l’autorité parentale n’a pas donné son consentement (question subsidiaire n° 4). La difficulté est la même qu’au sujet de statut de pupille de l’État : le texte visé fait de la déclaration de délaissement une cause d’adoptabilité de l’enfant, sans distinguer selon que le délaissement concerne les deux parents ou l’un d’entre eux seulement. La réponse apportée par la Cour de cassation est du même ordre, mais elle trouve une assise textuelle dans l’article 348 du code civil. Ce texte exige le consentement des deux parents à l’adoption de l’enfant, sauf impossibilité de manifester sa volonté ou perte des droits d’autorité parentale. Dès lors, la haute juridiction est d’avis que, « si le délaissement parental concerne un seul parent, le consentement à l’adoption de l’autre parent, qui n’est pas privé de ses droits d’autorité parentale, doit être recueilli ».
Il faut donc combiner les articles 347 et 348 du code civil, pour considérer que le délaissement unilatéral ne prive pas le parent non délaissant de son droit de consentir (donc de s’opposer) à l’adoption de son enfant. La solution est cohérente : si la défaillance d’un seul parent ne doit pas priver l’autre de ses droits parentaux, a fortiori, ne saurait-elle conduire à le priver de son lien de filiation avec l’enfant. Pour autant, le parent non délaissant sera nécessairement impacté, dans une certaine mesure, par le comportement de l’autre parent.
S’agissant enfin de la délégation d’autorité parentale, elle est prévue par l’article 381-2, alinéa 5, du code civil comme une conséquence de déclaration de délaissement : le texte dispose que, « lorsqu’il déclare l’enfant délaissé, le tribunal délègue par la même décision l’autorité parentale sur l’enfant à la personne, à l’établissement ou au service départemental de l’aide sociale à l’enfance qui a recueilli l’enfant ou à qui ce dernier a été confié ». Partant, le tribunal de Cherbourg a posé la question de savoir si la délégation prévue par ce texte porte uniquement sur les prérogatives appartenant au parent délaissant, en cas de délaissement unilatéral (question subsidiaire n° 5). La réponse apportée par la Cour de cassation est, là encore, cohérente avec sa position sur les points précédents : la délégation de l’autorité parentale ne peut porter que sur les prérogatives appartenant au parent délaissant, laissant subsister les droits de l’autre parent, non délaissant.
Cette réponse l’a conduite à examiner les questions subsidiaires corrélatives (nos 7 et 8) : l’exercice conjoint de l’autorité parentale entre le délégataire et le parent non délaissant requiert-il l’accord de ce dernier ? Un éventuel refus pourrait-il alors aboutir à une délégation totale de l’autorité parentale ? Ces questions ont été déclarées irrecevables par la Cour de cassation dans l’un des litiges examinés (avis n° 19-70.007), au motif qu’elles ne commandaient pas l’issue du litige soumis au tribunal de grande instance de Cherbourg puisqu’une délégation totale de l’autorité parentale avait déjà été prononcée au profit du service de l’aide sociale à l’enfance dans cette espèce. En revanche, dans l’autre litige ayant donné lieu aux mêmes interrogations (avis n° 19-70.008), la Cour de cassation s’est prononcée sur ces questions.
Elle a estimé que l’accord exprès du parent non délaissant n’était pas requis, dans la mesure où le partage de l’exercice de l’autorité parentale est imposé par le texte, qui ne prévoit pas la nécessité d’un accord. En réalité, l’article 381-2 du code civil ne vise que la délégation de l’autorité parentale et non son partage. Mais l’effet de la déclaration de délaissement unilatéral conduit nécessairement à une délégation-partage : l’exercice de l’autorité parentale par le parent délaissant doit être délégué, tandis que le parent non délaissant conserve l’exercice de ses droits. Il y a donc, mécaniquement, un partage de l’exercice.
Au regard des textes régissant la délégation de l’autorité parentale, la question pouvait légitimement se poser de savoir si l’accord du parent non délaissant était requis pour un partage. En effet, l’article 377-1, alinéa 2, du code civil, qui concerne la délégation-partage, précise que le partage nécessite l’accord du ou des parents en tant qu’ils exercent l’autorité parentale. En parallèle, la délégation forcée de l’autorité parentale (sans accord des parents), organisée par l’article 377, alinéa 2, du même code n’emporte pas un partage de l’autorité, mais simplement un transfert de tout ou partie des prérogatives qui y sont attachées. Autrement dit, d’après ces textes, ou bien l’exercice de l’autorité parentale est transféré d’office, sans accord des parents, ou bien il est partagé, sous réserve de l’accord des parents qui l’exercent.
La Cour de cassation a estimé que l’article 377-1, alinéa 2, du code civil, qui prévoit l’accord du parent exerçant l’autorité pour une délégation-partage, ne s’applique pas à l’hypothèse de la délégation-partage consécutive à une déclaration de délaissement unilatéral : « à la différence de l’article 377-1, alinéa 2, du code civil qui […] prévoit l’accord du ou des parents qui exercent l’autorité parentale, cet accord n’est pas prévu par l’article 381-2, alinéa 5, du code civil ». Elle en déduit que le partage de l’exercice de l’autorité parentale entre le délégataire et le parent non délaissant, s’il exerce l’autorité parentale, ne requiert pas l’accord de ce dernier.
Autrement dit, bien que l’article 381-2 du code civil ne le prévoie pas expressément, l’interprétation retenue par la Cour de cassation conduit à reconnaître une hypothèse de délégation-partage forcée de l’autorité parentale en cas de déclaration de délaissement parental unilatéral.
Conclusion
À travers ces avis du 19 juin 2019, la Cour de cassation ménage un juste équilibre entre les intérêts du parent non délaissant et ceux de l’enfant victime du délaissement de l’un de ses parents.
D’un coté, les droits du parent non délaissant sont préservés : l’enfant délaissé par l’un de ses parents ne sera pas automatiquement admis en qualité de pupille de l’État ni rendu adoptable. Les droits découlant de l’autorité parentale, tout comme le lien de filiation lui-même, sont donc préservés à l’égard du parent non défaillant.
D’un autre côté, le parent non délaissant va subir les conséquences du comportement de l’autre parent : quelle que soit son attitude, il ne pourra s’opposer ni à ce que l’enfant soit déclaré délaissé par le parent défaillant ni à ce que les prérogatives du parent délaissant soient transférées à la personne, à l’établissement ou au service départemental de l’aide sociale à l’enfance qui a recueilli l’enfant ou à qui ce dernier a été confié. Il devra donc, d’office, partager l’exercice de l’autorité parentale avec un tiers.