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« L’inconsistance » du travail de Penelope Fillon sévèrement sanctionnée

François et Penelope Fillon poursuivis pour détournements de fonds publics et recel de ce délit – commis entre 1998 et 2002, 2006 et 2007, et 2012 et 2013 pour le premier et entre 2002 et 2007 pour le second –, complicité d’abus de biens sociaux et recel de ce délit en 2012 et 2013 ont été condamnés à cinq ans ferme dont trois avec sursis et trois ans avec sursis. Les conseils des prévenus ont annoncé faire appel de la décision.

par Marine Babonneaule 29 juin 2020

La présidente de la 32e chambre correctionnelle Nathalie Gavarino a fait les comptes : « Les salaires nets perçus par le couple Fillon s’élèvent à 737 713,27 €. « Sur une période de prévention cumulée de onze années, cela représente en moyenne 67 064 € par an et 5 588 € par mois. […] Le montant total (salaires bruts et charges patronales) a été évalué par les enquêteurs à 1 054 094 € pour les emplois de Mme Fillon comme assistante parlementaire de son mari ou de M. Joulaud. En 2006 et 2007, les emplois de Marie et Charles Fillon ont coûté au Sénat 101 607,33 €. Le montant du détournement de fonds public dont M. Fillon s’est rendu auteur ou complice est donc de 1 115 701,33 €. Quant au montant de l’abus de biens sociaux dont l’intéressé a été complice, il est évalué à 135 000 € ».

En quarante minutes, le jugement, lu à la vitesse de l’éclair, a d’abord rejeté les moyens soulevés par la défense sur une éventuelle prescription des faits. En raison du caractère dissimulé de l’infraction de détournement de fonds publics, cette dernière n’ayant été découverte que les 25 janvier 2017 et 1er février 2017 à la suite des révélations du Canard enchaîné, la mise en mouvement de l’action publique débute à cette date. La séparation des pouvoirs ensuite, argument sans cesse brandi par les avocats des époux Fillon, n’a pas non plus été retenue par le tribunal qui a estimé que les contrats d’assistants parlementaires étaient détachables du travail parlementaire sur lequel les juges ne portent aucun avis.

Sur le fond, le jugement est tranchant : le travail d’assistante parlementaire de Penelope Fillon, que ce soit auprès de son époux ou auprès de Marc Joulaud, était « inconsistant », avec une rémunération « sans proportion avec son activité ». « Le mécanisme » mis en place par François Fillon est toujours le même, a poursuivi le tribunal, il utilise les crédits parlementaires au maximum « pour rémunérer ses proches recrutés comme assistants et cela afin d’en tirer un bénéfice personnel ». Penelope Fillon a certes été un « soutien » de l’homme politique, du député, du sénateur Fillon – il « n’est pas contesté qu’elle s’intéressait à la circonscription » – mais son rôle s’est borné à transmettre le courrier – sans jamais le traiter –, à « participer à la vie locale » – sans rien de concret malgré la présentation en audience de dizaines d’attestations « imprécises » ressemblant davantage, pour Nathalie Gavarino, « à des observations non étayées ». Le recrutement de Penelope Fillon « n’obéissait à aucune logique », selon le tribunal. Les explications des uns et des autres ne « résistant pas à l’analyse ». Comme le poste d’assistante parlementaire auprès de Marc Joulaud, suppléant de François Fillon nommé alors premier ministre, qui n’est pas « davantage plausible ». Bref, madame Fillon, depuis les années 1980, n’a « jamais effectué de réelles prestations de travail » et les salaires versés étaient « des compléments de rémunération » pour François Fillon. « Monsieur et madame, en signant des contrats sans consistance, se sont rendus coupables de détournement de fonds publics et de recel ».

Concernant son travail de « conseiller littéraire » au sein de la Revue des deux mondes (pour 5 000 € brut par mois entre 2012 et 2013), le seul fait que Penelope Fillon « ait signé un contrat de travail d’assistante parlementaire à temps plein deux mois plus tard démontre que le poste était dénué de toute substance ». L’audience a permis de démontrer qu’il n’y avait « jamais eu aucune activité ». La présidente a rappelé que le propriétaire de Fimalac, Marc Ladreit de Lacharrière, condamné en 2018 dans le cadre d’une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité dans cette affaire, avait déclaré que la contrepartie n’était pas suffisante. C’était un poste « poste sans utilité », « rien ne venant démontrer un apport », sans parler « du caractère totalement atypique de son embauche ». Tous ces éléments, pour la justice, sont « des indicateurs de l’inconsistance du contrat de conseiller ». « En signant ce contrat aux prestations inexistantes », l’abus de biens sociaux est constitué. Et François Fillon, premier ministre, a été « à l’initiative de ce contrat », il a eu « un rôle déterminant dans cette embauche de complaisance ».

La déferlante continue. Deux des enfants du couple Fillon avaient également assisté leur père lorsqu’il était sénateur, entre 2005 et 2007. Si le travail effectué en 2005 par leur fille paraît crédible – elle est relaxée pour cette année-là –, les contrats signés par la suite sont apparus des coquilles vides, l’un étant stagiaire à temps plein dans un cabinet d’avocat (alors que le contrat d’assistante de sénateur était exclusif de toute activité rémunérée) et l’autre poursuivant de hautes études, des temps pleins apparaissent fictifs. Les salaires nets ont donc bénéficié à la famille, versés sur le compte joint des époux Fillon via le compte d’épargne des enfants. « François Fillon a sciemment utilisé ses enfants » a cinglé le tribunal. Ici aussi, le détournement de fonds publics est constitué. Des condamnations supérieures aux réquisitions du parquet.

« Pendant neuf ans, entre 1998 et 2007, François Fillon a élaboré et mis en place, au travers de l’emploi de son épouse et de ses enfants, soit par lui-même, soit par son suppléant, une organisation lui permettant de détourner à son profit personnel la quasi-totalité du crédit collaborateur mis à sa disposition par l’une ou l’autre des assemblées », a jugé le tribunal, ajoutant que François Fillon avait renouvelé les faits. Il a manqué à son devoir de probité, il aurait dû être, alors qu’il était parlementaire et chargé d’une mission de service public, puis premier ministre, « irréprochable » et « exemplaire ». L’ancien député a « fait prévaloir son intérêt personnel sur l’intérêt commun », il a « contribué à éroder la confiance que les citoyens placent dans ceux qu’ils élisent pour agir en leur nom, qui les représentent, et dans ceux qui les gouvernent ». François Fillon aurait dû percevoir « avec davantage d’acuité » l’exigence croissante d’exemplarité attendue des politiques.

Il a persisté, pendant toutes ses années, par le biais de postes de très haut niveau, « à mettre en œuvre un système lui permettant d’utiliser la quasi-totalité du crédit collaborateur qui était à sa disposition, sachant qu’il détournait ainsi des fonds publics de leur usage, et à compléter les revenus de son couple avec des fonds provenant d’abus de biens sociaux ».

Et son système de défense « révèle que François Fillon n’a pas procédé à une remise en question de son comportement ». À l’instar de Marc Joulaud, Penelope Fillon, si elle n’a pas été à l’initiative du détournement de fonds, « savait et a accepté en toute connaissance de cause ». « Elle ne pouvait ignorer », conclut le jugement.

À 14 heures, Nathalie Gavarino appelle les prévenus à la barre. Elle prévient que les sanctions vont être « sévères », notamment à l’encontre de François Fillon, pour qui « une peine d’emprisonnement d’un quantum élevé est indispensable ». François Fillon est condamné à cinq ans d’emprisonnement, dont trois avec sursis, 375 000 € d’amende, dix ans d’inéligibilité. Marc Joulaud est condamné à trois de prison avec sursis, 20 000 € d’amende et cinq ans d’inéligibilité. Enfin, Penelope Fillon est condamnée à trois de prison avec sursis, 375 000 € d’amende et deux ans d’inéligibilité.

Sur l’action civile, la 32e chambre a jugé qu’en « signant certaines prestations fictives », les trois prévenus étaient les seuls responsables du préjudice. L’Assemblée nationale n’a commis aucun manquement, la constitution de partie civile est recevable. Le tribunal condamne les époux Fillon à payer à l’Assemblée nationale 401 230 € au titre des dommages et intérêts. Marc Joulaud et Penelope Fillon sont condamnés solidairement à 679 989 €.

François Fillon est relaxé pour les faits de déclaration incomplète ou mensongère de sa situation patrimoniale (un prêt consenti par Marc Ladreit de Lacharrière de 50 000 € qui n’a pas été déclaré en 2014) à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) : le montant du prêt correspondait entre 4 et 5 % du patrimoine total de François Fillon, soit une part non substantielle de ce dernier.

Les époux Fillon, masqués, sont repartis rapidement après la lecture du jugement qui a semblé sonner la défense. Celle-ci fait appel de la décision.

 

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