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L’insaisissable procès des époux Fillon

François Fillon, sa femme, Penelope Fillon, et son ancien suppléant parlementaire, Marc Joulaud, comparaissent, à des degrés divers, pour détournement de fonds publics par personne chargée d’une mission de service public, complicité et recel de ce même délit, complicité et recel d’abus de biens sociaux et déclaration mensongère à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).

par Marine Babonneaule 6 mars 2020

Nathalie Gavarino interroge infatigablement Penelope et François Fillon. Avec une patience héroïque, la présidente de la 32e chambre du tribunal de Paris, cherche à débusquer le « concret » dans le travail « immatériel » et essentiellement « oral » de Penelope Fillon. L’un n’excluant pas l’autre, pour la défense. La magistrate s’étonne parfois – elle retire ses lunettes et écarquille les yeux – des réponses des époux Fillon. Ce procès a de quoi laisser perplexe. S’il est évident que Mme Fillon ne travaillait pas comme une esclave, qu’elle était fort bien rémunérée (en 2002, par exemple, elle percevait 5 200 € net, en 2012, 3 450 € net avec des ruptures de contrats qui, à chaque fois et c’était l’habitude à l’Assemblée, incluaient des congés payés pris mais non déclarés), il est tout aussi évident qu’elle « collaborait » avec son mari. Était-elle la simple « représentante de son mari », une espèce de statut traditionnel d’épouse du maire que l’on viendrait voir pour que ses doléances soient transmises au décideur occupé ? Était-elle une collaboratrice « essentielle » – comme l’affirme la défense – au travail du député, maire, président de région et ministre Fillon ? Comment prouver qu’une personne n’a pas travaillé quand il est presqu’impossible de connaître le périmètre de son emploi ? Les deux parties peuvent aisément défendre leurs propres points de vue. François Fillon a-t-il tort de brandir au visage du parquet l’indépendance du mandat de parlementaire et la séparation des pouvoirs ? Au milieu, une partie civile, l’Assemblée nationale, qui veut récupérer son million et qui, sentant peut-être l’inconvenance de sa demande, ne dit pas un mot depuis le début du procès.

Après les explications des époux Fillon les premiers jours du procès, au tour du troisième prévenu. Marc Joulaud a été le député suppléant de François Fillon lorsque ce dernier était nommé ministre des Affaires sociales du gouvernement Raffarin, entre 2002 et 2007. À la barre, cet homme de 53 ans né à Sablé-sur-Sarthe, lui-même assistant parlementaire de François Fillon entre 1992 et 1995 et élu maire de Sablé en 2008, raconte : « En 2002, François Fillon voulait un suppléant plus jeune, qui soit de la région pour s’intégrer dans la vie politique locale. […] Une fois l’élection gagnée, il me fait savoir qu’il veut maintenir la collaboration avec son épouse, qu’il veut une équipe soudée à trois ». Marc Joulaud ne s’occupe pas du contrat de Penelope Fillon, qui prévoit un salaire mensuel net de 5 200 € (pour un crédit budgétaire de 7 569 €). C’est François Fillon qui le signe, qui le transmet à la fidèle secrétaire de Sablé Sylvie Fourmont qui, interrogée mercredi 4 mars, dira que « c’était un confort d’être validé par Penelope ». « Pourquoi ce n’est pas vous qui signez ce contrat ? C’est vous l’employeur, non ? », feint de s’étonner Nathalie Gavarino. « Celui qui a la légitimité, c’est l’élu, c’est le patron, pas le suppléant ». Pas un mot sur le montant du salaire de Mme Fillon, qui absorbe 80 % de l’enveloppe consacrée aux collaborateurs ? Rien non plus sur le fait qu’il soit, lui, indemnisé 5 000 € (sans compter les IRFM), soit moins que Penelope Fillon ? « Tout cela a été fixé conformément aux règles de l’Assemblée nationale », répond le prévenu sèchement.

« Comment deux personnes timides peuvent-elles aller conquérir le terrain ? »

Pour 5 200 € net par mois, que fait son assistante parlementaire, interroge le tribunal. « On a un objectif central, un fil rouge de notre collaboration : c’est garder la circonscription. […] Nous sommes deux à la tenir. Je suis à l’époque élu depuis seulement un an à Sablé, Mme Fillon est installée à Sablé depuis 20 ans [Penelope Fillon se partage à l’époque entre Paris et la Sarthe, ndlr]. Sa première mission : me faire connaître, me donner une visibilité, faire ma promotion, me présenter à la population, au réseau qui est le sien. Son deuxième rôle : être présente dans la circonscription, entretenir des liens, être le réceptacle des doléances et de continuer à gérer le courrier. Elle fait le lien entre moi et son mari, car il doit avoir l’œil sur ce qui se passe. Elle m’assiste à des visites, elle me représente à un certain nombre de manifestations, on partage ensemble nos indications. Elle fait le lien avec la cellule locale du ministère ». Ils se voient en fin de semaine à Sablé ou à Paris quand il y vient. Le revoilà, un peu, le poste « immatériel » d’assistante parlementaire. Sans ordinateur, sans bureau, comment faisait-elle « concrètement pour travailler » ?

La lancinante interrogation de la présidente du tribunal ne lasse pas. Les réponses davantage. « Son travail, c’était un travail de présence sur le terrain, pour me faire rencontrer des personnes, un travail de notoriété ». Nathalie Gavarino demande « des exemples précis » de cet « apport immatériel ». « Par exemple, répond posément Marc Joulaud, quand je suis invité à une remise de médailles, on organise les choses ensemble, […] elle me raconte le parcours de la personne en question. Quand je fais mon discours, j’enrichis d’éléments qu’elle m’a donnés ». Et puis, la gestion du courrier était en partie dévolue à Penelope Fillon, comme lorsque son mari était député. « Elle me donnait des orientations pour y répondre ». « Pouvez-vous nous donner des exemples d’orientations concrets ? ». Une mutation au sein de l’Éducation nationale, une médaille, un problème de versement de subventions, la légitimité ou pas de donner une aide à telle association ou à tel musée. Le concret, il faudra s’en passer aussi parce que les archives de Sablé ont été en partie détruites, le grenier de la mairie étant devenu « dangereux ». François Fillon abonde dans le sens de son ancien suppléant. « Le travail de Penelope permettait de conforter notre implantation » dans la Sarthe. Et « elle n’a jamais dit que c’était la collaboratrice de son mari, tout le monde savait le travail qu’elle faisait, je respecte sa discrétion », avait conclu Sylvie Fourmont. Justement, Aurélien Létocart, l’un des deux procureurs du parquet national financier (PNF), se lève, approche du micro et demande à Marc Joulaud : « Vous êtes décrit, par des témoins, comme extrêmement timide, et Penelope Fillon est décrite comme discrète. Comment cet attelage fonctionne-t-il ? Comment deux personnes timides peuvent-elles aller conquérir le terrain ? ». La salle, remplie de citoyens et de journalistes, sourit. « Un caractère qui a toujours été le mien. […] Avec le temps, on progresse », estime le prévenu. 

« Je ne voulais pas déranger »

La défense veut incarner « l’immatérialité » du travail de Penelope Fillon. Pour cela, jeudi 5 mars, une trentaine d’attestations, versées au dossier juste avant le début du procès, vont être lues et commentées par les époux Fillon. Cela agace Bruno Nataf et Aurélien Létocart, les deux habiles magistrats du PNF, qui trouvent la ficelle un peu grosse. « Vous avez eu les fuites dans la presse, nous avons la stratégie », cingle l’avocat de François Fillon, Antonin Lévy. C’est le collaborateur de ce dernier, Me Joris Monin de Flaugergues , qui procède à la présentation des témoignages « spontanés » de journalistes, de préfets, de proches et d’élus locaux. Il le fait avec une certaine pertinence. Extraits : « le contact, c’était Penelope Filllon », « c’est avec Penelope que se réglaient les inévitables questions d’agenda », « sa présence était plus de l’ordre du devoir que du plaisir », « il ne fait aucun doute que Mme Fillon a œuvré dans la carrière de son mari », pour le projet d’accueil d’une résidence « Mme Fillon a participé aux réunions », « elle était très à l’écoute, elle l’a toujours soutenu », « on sait tous qu’elle organisait » le comice agricole… Il est 11h40, l’audience a débuté à 9h, Me Monin de Flaugergues ne s’arrête plus, comme ragaillardi par son inventaire. L’admission de Mme Pichon à la maison de retraite ? Sans l’intervention de Mme Fillon, Mme Pichon n’y aurait pas eu sa place car, oui, la femme de François Fillon était « le relais privilégié » du député (du maire, du ministre…), elle avait « une place essentielle », c’était « une excellente conseillère ». « C’est lui et elle qui travaillaient ». Bref, résume François Fillon à la barre, « c’est un choix commun dont on assume toujours toutes les conséquences ». Les procureurs n’ont aucune question à poser. La stratégie n’est pas réservée au camp de la défense. De toute façon, François Fillon leur tourne ostensiblement le dos.

À la Revue des Deux Mondes, l’histoire est plus simple. Penelope et François Fillon sont jugés pour recel et complicité d’abus de biens sociaux, « pour des prestations fictives ou surévaluées ». En 2012, il quitte Matignon, Penelope Fillon, diplômée en littérature française, veut travailler dans le domaine qui la passionne depuis toujours, la littérature. « C’était le moment de faire autre chose », dit-elle au tribunal. Son mari a un réseau important, il contacte le président de la société Fimalac, Marc Ladreit de Lacharrière, propriétaire de la Revue. C’est conclu : Penelope Fillon sera embauchée comme « conseiller littéraire » pour 5 000 € brut par mois, soit un total de 135 000 €. Sa mission : réfléchir au moyen de développer les ventes d’une revue dont chutaient. Il est évident que le fait que M. Ladreit de Lacharrière, « MLL », ait reconnu, et ait condamné dans le cadre d’une CRPC, le caractère « fictif » du contrat ne facilite pas la défense. Elle ne signait pas de son nom, d’ailleurs. Pourquoi ? « Par discrétion, je ne voulais pas gêner mon mari si mon travail était épouvantable », explique faiblement Penelope Fillon. Elle le reconnaît, « le salaire, que je n’ai pas négocié, était généreux ». À la barre, elle ne sait pas dire la périodicité de la revue ni le nombre de lecteurs ou d’abonnés. Elle n’a d’ailleurs fait aucune proposition de « réflexions ».

La présidente Nathalie Gavarino s’étonne encore, avec flegme. Penelope Fillon « avait peur de déranger » MLL qu’elle voyait une heure par mois. « J’aurais dû, oui, j’aurais dû… j’espérais toujours et puis je repoussais », elle était « reconnaissante ». « Dans votre contrat, il est clairement stipulé que vous étiez encouragée à faire des propositions, vous aviez le mail de MLL et vous n’avez jamais rien dit ? Vous aviez lu votre contrat, pourtant, et vous êtes juriste, madame ! ». Presque inaudible, la prévenue répond. « C’est un défaut de caractère, je n’ai pas osé. Je pense que M. Ladreit savait que je voulais un vrai travail mais je ne voulais pas le mettre en difficultés par rapport au rédacteur en chef ». Rédacteur en chef qui, pendant l’instruction, est « tombé de sa chaise » en découvrant le salaire de « Penelope Clarke ». Elle écrit des « notes critiques » aussi. Onze, dont deux non publiées. Des textes d’une page ou d’un paragraphe, cela dépend. Elle n’a en général aucun retour de la rédaction – « je me disais que c’était parce que ça convenait » – et ne s’étonne pas qu’on ne lui demande pas des « notes » supplémentaires. En 2013, elle commence néanmoins à sentir « le malaise ».

À la même époque, Penelope Fillon perçoit 3 450 € net de l’Assemblée nationale, étant à nouveau l’assistante parlementaire de son mari, élu député de Paris.

Les débats reprennent lundi 9 mars.

 

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