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L’intelligence artificielle à la Cour de cassation : les cas d’usage

Dans un rapport d’avril 2025, un groupe de travail institué au sein de la Cour de cassation présente diverses utilisations, ou « cas d’usage », de l’intelligence artificielle, qui pourraient être instaurées pour l’aider à exercer son office juridictionnel et normatif. Structuration et enrichissement de divers documents dont le mémoire ampliatif, exploitation automatisée des écritures des parties, aide à la recherche et exploitation des bases de données documentaires, aide à la rédaction et autres outils d’assistance du greffe : nombreuses sont les applications envisagées et évaluées.

Vers une Cour de cassation 2.0 ? C’est en tout cas l’objet de ce rapport que de projeter la Cour de cassation dans l’avenir technologique et, plus spécifiquement, le futur numérique. Après diverses mises en garde – qui ne doivent pas être tenues pour des mises en garde d’usage ou de façade – et la présentation des critères d’évaluation des cas d’usage à possiblement instaurer à la Cour de cassation (v. M. Clément-Fontaine, Vers une gouvernance encadrée de l’IA dans la justice française, Dalloz actualité, 19 juin 2025), le groupe de travail entre dans le « dur » en présentant et évaluant les utilisations possibles et, pour certaines, souhaitables, de l’intelligence artificielle à la Cour de cassation de demain, non sans en avoir au préalable exclu une notable : l’aide à la prise de décision.

Cas d’usage exclu : aide à la prise de décision

« Il est apparu que les magistrats de la Cour de cassation, experts dans les matières qu’ils traitent et dans la technique de cassation, ne sont pas en recherche d’aide à la prise de décision » (Rapport, p. 22). C’est possiblement la partie la plus importante du rapport, qui conjure d’une phrase toutes les craintes que peuvent nourrir un certain nombre d’universitaires et praticiens : nul à la Cour de cassation n’entend renoncer à son office. D’aucuns pouvaient effectivement craindre le développement d’un système d’intelligence artificielle qui permettrait non seulement de simplifier l’office juridictionnel, en proposant une cassation ou rejet du pourvoi, mais aussi l’office normatif, en proposant une solution à la question de droit posée. Cette utilisation possible de l’intelligence artificielle est d’emblée exclue et l’on ajoutera qu’elle est véritablement exclue, en ce sens qu’elle ne reparaît pas en sous-ordre, ou de façon déguisée, dans les autres cas d’usage exposés. Il apparaît très nettement, à la lecture du rapport, que le personnel de la Cour de cassation – greffe et magistrats – est en demande de certaines utilisations pratiques de l’intelligence artificielle, non pas destinées à simplifier la prise de décision elle-même, mais les phases amont et aval de la prise de décision, en commençant par la structuration et l’enrichissement des documents.

Structuration et enrichissement des documents

La vie d’un pourvoi en cassation est à bien des égards jalonnée toujours de la même façon : mémoire ampliatif, rapport, avis, etc. En l’état, ces documents sont certes généralement structurés – en témoignent les avis et rapports parfois mis en ligne en complément d’un arrêt. En revanche, il est rare que ces documents soient enrichis, notamment par l’incrustation de liens hypertextes. En clair, lorsque l’un de ces documents, par exemple le mémoire ampliatif, cite un article du code civil, le personnel qui en prend connaissance à la Cour – en vue de l’orientation ou du traitement du pourvoi – doit en prendre manuellement connaissance, de façon artisanale dirait-on, en se rendant sur Légifrance puis en recherchant le texte en question, dans sa version vigoureusement pertinente. C’est une besogne que tout juriste connaît.

Il y a là, assurément, une utilisation possible et souhaitable de l’IA à la Cour de cassation, qui permettrait d’enrichir automatiquement un texte donné. Il suffirait alors, pour la personne en prenant connaissance, de cliquer sur le lien hypertexte incrusté pour prendre connaissance, qui d’un arrêt, qui d’une loi, qui d’un règlement européen, etc.

Très justement, le groupe de travail, tout en soulignant le caractère faisable et souhaitable d’un tel cas d’usage, met en exergue une difficulté qu’il faudra au mieux surmonter techniquement et au moins conserver à l’esprit : l’enrichissement automatique pourrait conduire à renvoyer à un texte dans une version non vigoureusement pertinente (par ex., telle loi en vigueur au moment de l’enrichissement, alors même qu’une précédente version devrait être préférée au regard du droit transitoire). À quoi on ajoutera que certaines difficultés techniques adviendront inévitablement et qu’il conviendra de conjurer, autant que faire se peut : par exemple, il n’est pas inhabituel qu’un même pourvoi – pourvu d’un numéro unique – fasse l’objet de plusieurs décisions (par ex., lorsqu’une chambre recueille officiellement l’avis d’une autre en application de l’art. 1015-1 c. pr. civ., l’arrêt sollicitant l’avis, l’avis lui-même et l’arrêt statuant sur le pourvoi ont pour référence le même numéro de pourvoi ; c’est encore le cas lorsqu’est décidé un renvoi en chambre mixte mixte ou assemblée plénière).

Sous ces vagues réserves, qui en sont à peine, il va de soi qu’un tel cas d’usage ne pose aucune difficulté et est ô combien souhaitable, à la Cour de cassation comme ailleurs, étant du reste souligné qu’il n’y a strictement aucun intérêt intellectuel, pour un juriste, à devoir rechercher de façon besogneuse le texte ou la jurisprudence dont il est littéralement question dans un document (il devrait d’ailleurs être de bonne pratique d’incruster toujours un lien hypertexte lorsque c’est possible, ce que les éditeurs font depuis longtemps relativement à leur propre écosystème de données).

L’exploitation des écritures des parties

Un autre grand cas d’usage envisagé a trait à l’exploitation des écritures des parties. Il en regroupe en réalité quatre, qui intéressent le traitement des pourvois par le Service de documentation, des études et du rapport (SDER), la détection de connexité entre pourvois, la première analyse du dossier par les chambres et la cartographie du litige. Prenons les dans l’ordre.

Traitement des pourvois par le SDER

En matière civile, les pourvois entrants font l’objet d’une orientation vers les différentes chambres de la Cour de cassation par le SDER. La tâche, herculéenne et sans doute aliénante, est déjà numériquement assistée,...

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