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L’irréfragable présomption conventionnelle de contribution aux charges du mariage

La Cour de cassation réaffirme qu’une présomption conventionnelle de contribution aux charges du mariage peut être irréfragable. Elle empêche alors un époux prouver l’insuffisance de la participation de son conjoint aux charges du mariage et l’excès de sa propre contribution. Cette solution classique peut surprendre, tant au regard de l’évolution du droit des contrats sur la preuve que du caractère d’ordre public de l’article 214 du code civil récemment réaffirmé.

par Quentin Guiguet-Schieléle 17 décembre 2020

Il y a six mois la Cour de cassation avait reconnu qu’une présomption conventionnelle de contribution quotidienne aux charges du mariage est parfois une clause de non-recours ayant la portée d’une fin de non-recevoir pour le passé mais qu’elle ne peut empêcher un recours pour l’avenir (Civ. 1re, 13 mai 2020, FS-P+B, n° 19-11.444, Dalloz actualité, 18 juin 2020, obs. Q. Guiguet-Schielé ; D. 2020. 1173 ; ibid. 2190, chron. S. Robin-Raschel, X. Serrier, V. Champ, S. Vitse, C. Azar, E. Buat-Ménard, R. Le Cotty et A. Feydeau-Thieffry ; ibid. 2206, obs. S. Godechot-Patris et C. Grare-Didier ; AJ fam. 2020. 362, obs. J. Casey ; RJPF 2020/7, p. 23, obs. J. Dubarry ; JCP N 2020. 1171, obs. S. Bernard ; Gaz. Pal. 28 juill. 2020, p. 65 s., obs. S. Deville ; LEFP juill. 2020, p. 6, obs. N. Peterka ; Dr. fam. 2020/9, comm. 120, obs. S. Torricelli ; Defrénois 3 déc. 2020, n° 166j9, p. 34, obs. I. Dauriac ; Gaz. Pal. 6 oct. 2020, n° 388h4, p. 68, obs. É. Mulon ; LPA 20 juill. 2020, n° 154t9, p. 16, obs. E. Rançon). Cette nouvelle lecture de l’aménagement des conventions matrimoniales contraste avec l’arrêt rendu ce 18 novembre 2020, qui réaffirme une solution classique quant à la portée probatoire de cet aménagement controversé de la convention matrimoniale.

Deux époux mariés sous un régime de séparation de biens avaient stipulé une clause libellée en ce termes : « Les époux contribueront aux charges du mariage à proportion de leurs facultés respectives. Chacun d’eux sera réputé avoir fourni au jour le jour sa part contributive, en sorte qu’ils ne seront assujettis à aucun compte entre eux ni à retirer à ce sujet aucune quittance l’un de l’autre ». Au cours du mariage l’épouse avait remboursé sur ses deniers personnels l’emprunt contracté par le couple pour l’édification, sur un terrain appartenant à l’époux, d’une maison devenue par la suite le logement de la famille. À la suite du prononcé du divorce, des difficultés se sont élevées quant au règlement des intérêts patrimoniaux des parties. Dans ce cadre, l’ex-épouse sollicita le remboursement d’une somme de 74 723,19 € au titre d’une créance entre époux, demande qui fut accueillie par la cour d’appel de Nîmes le 20 février 2019. La motivation des juges du fond était cependant maladroite car, tout en reconnaissant le caractère irréfragable de la présomption énoncée par la clause, les magistrats nîmois ont estimé que cela n’empêchait pas un époux « de faire la démonstration de ce que sa participation a excédé ses facultés contributives » de sorte que « si la sur-contribution est démontrée, elle a pour effet de rendre la clause inefficace ». Elle suivait en cela une certaine doctrine selon laquelle le caractère irréfragable empêche uniquement de rapporter la preuve d’une sous-contribution et non celle d’une sur-contribution (v. infra).

Pourvoi est formé en cassation. Le moyen mettait en évidence la portée logique d’une présomption qualifiée d’irréfragable : elle « interdit aux époux de prouver que l’un ou l’autre d’entre eux ne se serait pas acquitté de son obligation » de sorte « qu’un époux ne peut se prétendre créancier de l’autre au titre du remboursement d’un emprunt bancaire contracté pour la construction du logement familial, lequel participe de l’exécution de l’obligation de contribuer aux charges du mariage ».

Ainsi la question posée à la Cour de cassation était-elle biaisée. Il ne s’agissait pas tant de s’interroger sur le caractère simple ou irréfragable de la présomption que sur les effets d’une présomption irréfragable. Une présomption conventionnelle irréfragable de contribution aux charges du mariage empêche-t-elle les époux de rapporter la preuve d’une sur-contribution et/ou d’une sous-contribution ?

L’arrêt d’appel est censuré au double visa des articles 214 et 1537 du code civil. En clarifiant la portée d’une présomption irréfragable de contribution aux charges du mariage, la première chambre civile de la Cour de cassation confirme nécessairement qu’une telle présomption est valable. Les juges du droit auraient pourtant pu saisir cette occasion pour condamner la pratique de telles clauses, qui sont à la fois contraires à l’impérativité de l’article 214 du code civil et à la prohibition des présomptions conventionnelles irréfragable. C’est tout l’inverse.

La Cour rappelle d’abord que les juges du fond sont souverains quant à l’interprétation de la portée de la présomption (v. déjà, Civ. 1re, 25 sept. 2013, n° 12-21.892, Bull. civ. I, n° 189 ; D. 2013. 2682 , note A. Molière ; ibid. 2014. 1342, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; ibid. 1905, obs. V. Brémond, M. Nicod et J. Revel ; AJ fam. 2013. 647, obs. P. Hilt ; RTD civ. 2013. 821, obs. J. Hauser ; ibid. 2014. 698, obs. B. Vareille ; ibid. 703, obs. B. Vareille ).

Elle précise ensuite la portée exacte d’une présomption irréfragable de contribution quotidienne aux charges du mariage : « un époux ne peut, au soutien d’une demande de créance, être admis à prouver l’insuffisance de la participation de son conjoint aux charges du mariage pas plus que l’excès de sa propre contribution ». Cette solution n’est pas inédite (Civ. 1re, 1er avr. 2015, n° 14-14.349, D. 2015. 864 ; ibid. 1408, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; ibid. 2094, obs. V. Brémond, M. Nicod et J. Revel ; ibid. 2016. 674, obs. M. Douchy-Oudot ; AJ fam. 2015. 297, obs. J. Casey ; RTD civ. 2015. 362, obs. J. Hauser ; ibid. 687, obs. B. Vareille ; 3 oct. 2018, n° 17-25.858, D. 2019. 910, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; AJ fam. 2018. 697, obs. J. Casey ; JCP N 2019. 1174, note A. Karm) mais c’est la première fois que la portée de la clause est décrite avec autant de précisions. La présomption ne porte pas uniquement sur l’exécution de l’obligation mais sur la mesure de celle-ci. Non-seulement les époux sont présumés avoir exécuté leur obligation légale, mais ils sont présumés l’avoir exécutée dans l’exacte mesure que leur impose la loi, c’est-à-dire à proportion de leurs facultés respectives. Aucun d’eux ne peut donc être considéré comme ayant trop ou trop peu contribué.

Outre cette précision qui transcende la distinction entre « sur » et « sous » contribution, la solution est classique, tant sur le pouvoir d’appréciation des juges du fond que sur la possibilité de stipuler une présomption irréfragable. Néanmoins l’on attendait beaucoup mieux de la Cour de cassation au regard notamment des nombreux commentaires doctrinaux de l’arrêt rendu le 13 mai dernier. La réaffirmation de cette solution apparaît problématique à plusieurs égards. Elle contredit l’évolution du droit des contrats sur la preuve (I). Elle sape gravement l’autorité de l’article 214 du code civil qui est pourtant un texte impératif (II). Elle doit être articulée avec la qualification de « clause de non-recours », qui semble pouvoir s’ajouter à celle de « présomption irréfragable » (III).

I - La contrariété au droit des contrats sur la preuve

Selon le nouvel article 1356 du code civil (ord. n° 2016-131 du 10 févr. 2016, art. 4), les contrats sur la preuve sont licites mais les parties ne peuvent ni contredire ni établir, au profit de l’une d’elles, de présomption...

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