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L’obligation de mise en garde de l’agent immobilier contre le risque d’insolvabilité d’un acquéreur

L’agent immobilier ne justifiant pas avoir conseillé le vendeur d’un bien immobilier de l’intérêt de prendre des garanties suffisantes ou encore de l’avoir mis en garde contre les risques d’insolvabilité de l’acquéreur qu’il lui a présenté peut voir sa responsabilité contractuelle engagée.

par Elisabeth Botrelle 16 janvier 2020

L’exercice de la profession d’agent immobilier est strictement réglementé par la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970, dite « loi Hoguet », complétée par son décret d’application du 20 juillet 1972. L’article 3 de la loi a notamment exigé qu’il justifie d’une aptitude professionnelle, d’une garantie financière suffisante, de la souscription d’une assurance de responsabilité civile professionnelle et de l’obtention d’une carte professionnelle pour pouvoir intervenir. Il doit également respecter un certain nombre de règles protectrices pour ses clients, comme la rédaction préalable d’un écrit précisant la nature de sa mission, la durée du mandat ou encore les conditions de sa rémunération (v., par ex., M. Thioye, Droit des intermédiaires immobiliers, 2e éd., Lexisnexis, 2012, spéc. nos 483 s.). S’impose également à l’agent immobilier un certain nombre d’obligations. Envers son mandant, il se doit d’assurer une bonne exécution de la mission en faisant preuve de diligence et est tenu d’obligations d’information, de conseil et de mise en garde (v., par ex., L. Maupas, Le devoir d’information de l’agent immobilier, LPA 18 oct. 2007, n° 209, p. 4 s.). Dès lors, il engage sa responsabilité en cas de faute de sa part, sachant que les articles 1991 et 1992 du code civil, propres au mandat, le rappellent par ailleurs. La jurisprudence recèle de nombreux exemples de manquements des agents immobiliers à leurs obligations d’information, de conseil et de mise en garde et l’arrêt de cassation rendu par la première chambre civile le 11 décembre 2019, appelé à une large diffusion, en est une nouvelle illustration en s’inscrivant par conséquent dans un courant jurisprudentiel bien établi.

Rendu sous l’empire du droit des contrats antérieur à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, l’arrêt concerne un mandat de vendre un bien immobilier confié par un couple d’époux vendeurs à une agence immobilière. Par l’intermédiaire de l’agent immobilier, ce couple a signé en 2014 une promesse synallagmatique de vente avec un candidat acquéreur (ayant déclaré ne pas recourir à un emprunt pour l’acquisition du bien) mais, le jour de la réitération de la vente par acte authentique, l’acquéreur ne s’est pas présenté. Le lendemain, il s’est engagé à payer diverses sommes, à la fois aux vendeurs et à l’agent immobilier, sans pour autant exécuter cet engagement par la suite. Les vendeurs ont dès lors assigné en indemnisation l’acquéreur ainsi que l’agent immobilier. La cour d’appel d’Amiens, par un arrêt rendu en septembre 2018, a rejeté la demande en indemnisation dirigée contre l’agent immobilier en considérant que les vendeurs étaient tout d’abord au courant de la situation personnelle du candidat acquéreur (« âgé de 25 ans, célibataire, cariste magasinier » et ayant déclaré « ne pas avoir recours à un emprunt ») et l’avaient même acceptée (les éléments précédents figuraient dans la promesse synallagmatique de vente). En outre, pour les juges du fond, les vendeurs étaient « toujours demeurés libres de ne pas contracter s’ils estimaient que les garanties offertes [par le candidat acquéreur] n’étaient pas suffisantes ». Ils précisent enfin que l’agent immobilier « ne dispose pas de plus de moyens qu’un simple particulier pour contrôler la solvabilité réelle de l’acquéreur ». Après pourvoi formé par les vendeurs, la Cour de cassation décide de censurer l’arrêt d’appel au visa de l’article 1147 du code civil dans sa version antérieure à celle issue de l’ordonnance portant réforme du droit des contrats de 2016. Pour la Cour, l’agent immobilier « n’avait pas justifié avoir conseillé aux vendeurs de prendre des garanties ou les avoir mis en garde contre le risque d’insolvabilité de l’acquéreur qui leur avait été présenté ».

Comme indiqué précédemment, pèsent sur les agents immobiliers une obligation d’exécution avec diligence de leur mission ainsi qu’une obligation générale d’information, de conseil et de mise en garde. Plus précisément, l’obligation de mise en garde, sans doute plus originale que celles d’information ou de conseil, consiste à apporter une aide aux futurs contractants pour prendre la décision de contracter (ou non) en fonction de leurs besoins et conformément aux enjeux de l’opération ; elle peut même consister à les dissuader de contracter (M. Thioye, Droit des intermédiaires immobiliers, op. cit., spéc. n° 553, p. 220). Pour celle-ci, on imagine aisément qu’en pratique, il soit parfois difficile pour certains agents immobiliers de s’y tenir en ce que leur rémunération est tributaire de la réalisation de l’affaire pour laquelle ils sont intervenus (L. n° 70-9, art. 6), c’est-à-dire, la plupart du temps, par la signature de la promesse synallagmatique de vente (sauf lorsque les parties ont fait de la réitération de leurs consentements le jour de l’acte définitif un élément essentiel de leur engagement, v. Civ. 1re, 9 déc. 2010, n° 09-71.205, Bull. civ. I, n° 253 ; Dalloz actualité, 3 janv. 2011, obs. G. Forest ; D. 2011. 13 ; ibid. 622, chron. N. Auroy et C. Creton ; AJDI 2011. 553 , obs. M. Thioye ). Il faut donc savoir renoncer à la finalisation d’un contrat de location ou de vente dès lors que le potentiel contractant trouvé par l’agent immobilier ne semble pas présenter des garanties financières suffisantes pour pouvoir exécuter l’opération juridique à laquelle il s’engage ou, en tout cas, il faut que l’agent immobilier mette clairement en garde les propriétaires (bailleurs ou vendeurs) des risques encourus en passant l’opération et d’apporter la preuve de cette mise en garde.

Plus particulièrement et par le passé, la jurisprudence avait déjà donné des exemples de mise en œuvre de la responsabilité de l’agent immobilier en raison de l’insolvabilité du contractant ou plus précisément des risques d’insolvabilité que l’agent immobilier aurait dû pressentir, même si les exemples concernent plus volontiers le champ des baux (Civ. 1re, 28 mars 1984, n° 82-16.915, Bull. civ. I, n° 118 ; Civ. 3e, 12 juill. 2007, n° 06-15.243, AJDI 2007. 860 ; ibid. 793, point de vue V. Durand  : la Cour de cassation rappelle que l’agence immobilière disposait « d’éléments de nature à faire naître un doute sur la fiabilité » du preneur ; Civ. 1re, 19 mars 2009, n° 06-20.983, AJDI 2009. 738 , obs. M. Thioye  : « responsabilité de l’agence immobilière pour ne pas s’être assurée de la solvabilité du preneur » ; 16 nov. 2016, n° 15-23.790, AJDI 2017. 54 ; ibid. 367 , obs. M. Thioye  : « l’agent immobilier, négociateur d’une opération locative, est tenu, quelle que soit l’étendue de sa mission, de s’assurer de la solvabilité des candidats à la location à l’aide de vérifications sérieuses », réalisées dans les limites prévues par les textes) que la vente immobilière (Civ. 1re, 2 avr. 2009, n° 07-21.186, AJDI 2009. 739 , obs. M. Thioye  : responsabilité de l’agent immobilier non retenue en ce que l’agent immobilier avait justifié avoir convenablement exécuté son obligation d’information et de conseil). Dans l’arrêt commenté, il ne s’agit pas, pour la Cour de cassation d’imposer aux agents immobiliers de prédire l’avenir (et de deviner le non-respect de ses engagements financiers par le contractant présenté), comme les juges d’appel ont pu l’indiquer, mais d’alerter les clients d’un potentiel risque d’insolvabilité en raison, notamment, de certaines circonstances objectives du côté du candidat acquéreur (par exemple, lorsqu’il indique ne pas solliciter d’emprunt pour la conclusion de la vente immobilière, comme c’était le cas dans cette espèce). Par le passé, la Cour de cassation avait d’ailleurs imposé aux intermédiaires immobiliers de vérifier de manière sérieuse la « solvabilité, au moins apparente, d’un acheteur, d’un locataire ou d’un emprunteur » (P. Le Tourneau, Droit de la responsabilité et des contrats 2018-2019, Dalloz action, spéc. n° 3322.78, citant not. Com. 29 févr. 1972, n° 70-13.981, Bull. civ. V, n° 76). Il aurait fallu, dans le cas d’espèce soumis, au moins conseiller les vendeurs « de prendre des garanties », comme l’indique également la Cour de cassation, ce que l’agent immobilier n’était pas non plus en mesure de justifier. C’est à ce titre que s’explique la censure de l’arrêt d’appel par la Cour de cassation dans l’arrêt commenté. Les simples mentions dans la promesse synallagmatique de vente, de la situation personnelle de l’acquéreur (âge, travail, situation matrimoniale) et du fait qu’il n’allait pas recourir à un emprunt ne permettaient pas de s’assurer du respect tant de l’obligation de conseil préconisant de solliciter des garanties financières supplémentaires que du respect de l’obligation de mise en garde contre le risque d’insolvabilité de l’acquéreur présenté par l’agent immobilier. Rappelons aussi que la Cour de cassation a pu antérieurement indiquer que « celui qui est légalement ou contractuellement tenu d’une obligation particulière d’information [ou de conseil] doit [en vertu de l’ancien article 1315 du code civil, en vigueur à l’époque de l’espèce rendue] rapporter la preuve de l’exécution de cette obligation » (pour deux arrêts rendus en matière médicale, v. Civ. 1re, 25 févr. 1997, n° 94-19.685, Bull. civ. I, n° 75 ; D. 1997. 319 , obs. J. Penneau ; RDSS 1997. 288, obs. L. Dubouis ; RTD civ. 1997. 434, obs. P. Jourdain ; ibid. 924, obs. J. Mestre ; 17 févr. 1998, n° 95-21.715, Bull. civ. I, n° 67 ; D. 1998. 81 ; RTD civ. 1998. 681, obs. P. Jourdain ) sachant néanmoins, comme le rappelait un auteur, que, « si l’obligation de conseil est élevée au rang d’obligation de résultat en ce qui concerne le fait matériel de l’exécution, c’est-à-dire la fourniture concrète du conseil, elle constitue une obligation de moyens s’agissant de sa pertinence » (M. Thioye, obs. préc. ss Civ. 1re, 2 avr. 2009, n° 07-21.186, AJDI 2009. 739 ).

Plus globalement, au-delà des risques financiers tenant à l’insolvabilité éventuelle de l’acquéreur, comme c’était le cas dans l’espèce commentée, l’agent immobilier doit informer ses clients « des risques que comportait […] l’opération [projetée] » pour pouvoir notamment les conseiller sur les meilleurs moyens de les dépasser (Civ. 1re, 15 juill. 1999, n° 97-18.984, Bull. civ. I, n° 231 ; RDI 2000. 81, obs. D. Tomasin  : responsabilité de l’agent immobilier pour ne pas avoir averti la contractante de l’intérêt d’insérer une condition suspensive, concernant la levée de l’incertitude de la vente de son propre bien immobilier avant d’en acquérir un autre). Néanmoins, cette obligation peut être tempérée à deux points de vue. Tout d’abord, elle peut l’être en application de l’adage vigilantibus jura subventiunt (le droit vient en aide aux vigilants) qui impose aux interlocuteurs des agents immobiliers de faire preuve d’un minimum de prudence et de diligence (Civ. 3e, 26 févr. 2003, n° 01-12.750, Bull. civ. I, n° 53 ; AJDI 2003. 609 , obs. M. Thioye ; RDI 2003. 245, obs. F. G. Trébulle , en matière de vices cachés ; sur cet adage, v. aussi M. Thioye, op. cit., spéc. n° 555). Ensuite, pour la Cour de cassation, l’obligation qui pèse sur l’agent immobilier doit s’apprécier « en fonction des circonstances de la cause et, en particulier, de la volonté, de la situation et des connaissances des parties » (Civ. 1re, 10 févr. 1987, n° 85-14.435, Bull. civ. I, n° 43 ; RDI 1987. 364, obs. D. Tomasin). Malgré tout, plusieurs arrêts avaient déjà retenu la faute de l’agent immobilier de ne pas avoir suffisamment prévenu ses clients des risques juridiques d’une opération, comme le risque lié à l’absence de renouvellement d’un bail commercial (Civ. 1re, 11 juin 2002, n° 99-21.147, AJDI 2002. 551 ), le caractère inconstructible d’un terrain, la présence de servitudes sur le fonds ou encore sur les risques financiers de l’opération projetée (Civ. 1re, 10 févr. 1987, n° 85-14.435, préc., concernant la « disponibilité [de] fonds nécessaires à la réalisation effective de l’opération » ).