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L’Office central pour la répression contre les violences aux personnes : thème majeur, moyens mineurs

Affaire Haenel, affaire Matzneff, affaire Epstein, disparitions de Sophie Le Tan, de Léa Petitgas… Quelques dossiers, médiatiques, parmi les dizaines de milliers reçus chaque année par l’Office central pour la répression contre les violences aux personnes (OCRVP), une structure dépendant de la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), et créée en 2006 pour « faire face à la recrudescence des atteintes graves aux personnes constatées ces dernières années », selon le ministère de l’Intérieur. Enjeu national prioritaire, cette activité exponentielle repose donc en partie sur le travail de cet office, soit 80 policiers et gendarmes rodés à l’art de l’enquête, de l’audition, et de l’analyse criminelle. 

par Anaïs Coignacle 6 mars 2020

L’affaire Haenel et le traitement judiciaire des plaintes pour agressions sexuelles

« Adèle Haenel a changé d’avis sur le traitement de la plainte depuis qu’elle a rencontré notre service qui est vraiment spécialisé dans les crimes sexuels sur mineurs », atteste la capitaine de police Véronique Béchu qui dirige le groupe central des mineurs victimes, l’un des six services opérationnels que compte l’Office central pour la répression contre les violences aux personnes (OCRVP). Début novembre 2019, à l’issue d’une grande enquête de Mediapart, l’actrice française accusait Christophe Ruggia de l’avoir agressée sexuellement et harcelée alors qu’elle était âgée de douze à quinze ans et qu’il la faisait tourner dans son film Les Diables (2002). Elle refusait alors de porter plainte. « Je n’ai jamais pensé à la justice parce qu’il y a une violence systémique qui est faite aux femmes dans le système judiciaire, expliquait-elle sur le plateau du magazine en ligne. (…) Il y a tellement de femmes qu’on envoie se faire broyer, soit par la façon dont on va récupérer leur plainte, soit dans la façon dont on va disséquer leur vie et porter le regard sur elles, la faute c’est elles. »

Quelques jours plus tard, le parquet portait plainte, estimant l’action publique nécessaire dans cette affaire. Une enquête pour agressions sexuelles sur mineure de moins de quinze ans par personne ayant autorité et pour harcèlement sexuel était confiée à l’OCRVP, en particulier à ce service, incitant Adèle Haenel a finalement déposer plainte à son tour. « La justice a fait un pas, j’en fais un », confiait-elle à Mediapart. « Mon dossier est maintenant traité de manière idéale, avec des gendarmes et des policiers attentifs et bienveillants. Je souhaite ce traitement à toutes les victimes », déclarait-elle dans une interview au New York Times, le 24 février, quatre jours avant son départ précipité au milieu de la 45e cérémonie des Césars alors que le prix de la meilleure réalisation était attribuée à Roman Polanski, accusé de viols par plusieurs femmes. Elle rappelait néanmoins, fidèle à sa ligne de départ : « on a un système judiciaire qui ne fait pas des violences faites aux femmes sa priorité », évoquant « les grandes difficultés qui jalonnent le parcours d’une femme victime de violences sexuelles ».

Me Emmanuel Daoud, avocat dans des affaires de viols et d’agressions sexuelles, et représentant d’ECPAT, ONG de lutte contre l’exploitation sexuelle d’enfants basée à Bangkok (Thaïlande) et partenaire de l’OCRVP, confirme : « On sait que ce n’est pas parce qu’une plainte est déposée qu’elle sera traitée. On sait qu’on va devoir relancer le parquet dix, quinze, vingt fois jusqu’à ce que ça bouge et quitte à énerver le procureur. On sait que ça sera lent, sauf quand les violences ont été constatées médico-légalement ou qu’il s’agit de mineurs qui le sont encore. Et on prépare nos clients à cette réalité qui ne doit pas être une fatalité ». Selon le pénaliste, chacun fait une « balance avantages / inconvénients pour savoir si cela vaut vraiment le coup. Les enquêteurs le font tous les jours pour tous les dossiers ». 

« Ce n’est pas que la justice ne veut pas, c’est qu’elle ne peut souvent pas, commente Véronique Béchu. Souvent les faits sont prescrits, les preuves matérielles manquent et la loi française est faîte de manière à ce que le doute profite à l’accusé ». L’affaire Haenel, très suivie, aura au moins permis de faire davantage connaître le travail de l’OCRVP. Et de le faire reconnaître, comme l’attestent ses avocats de la comédienne, Yann Le Bras et Anouck Michelin : « notre cliente s’est rendue compte qu’elle avait affaire à des policiers et des gendarmes extrêmement professionnels et disponibles. L’audition était programmée sur cinq heures et s’est finalement terminée à 3h du matin (soit une durée de 12 heures, ndlr) pour que tout soit dit et consigné d’un seul tenant ». Une manière d’éviter aux personnes qui se présentent comme victimes l’épreuve d’auditions séquencées et répétées à divers interlocuteurs, et de faciliter le travail des enquêteurs. « Ce qu’elle en retient c’est qu’ils savent de quoi ils parlent, ce sont des enquêteurs spécialisés et leurs questions, extrêmement pertinentes, permettent de réveiller des souvenirs, ajoute Me Le Bras. Ils lui ont par exemple demandé de se remémorer les odeurs lorsqu’elle se trouvait chez M. Ruggia ». Plus globalement : « ils créent un climat de confiance dans une sphère compliquée parce qu’intime qui permet d’avoir un tableau très précis et de trier entre les gens qui mentent, qui extrapolent, qui en rajoutent, et ceux qui ne mentent pas ». L’enquête est toujours en cours après trois auditions au sein de l’office et notamment une confrontation avec Christophe Ruggia. « L’enquête est parfaitement menée, étape par étape. Et Adèle Haenel bénéficie de l’accompagnement de son entourage, de son psy et de ses avocats ». La capitaine Béchu invite les victimes de violences sexuelles à « libérer la parole, pas forcément dans les médias mais par un service de police dédié ».

Sur 16 400 plaintes enregistrées en France, seulement 1 600 seront jugées en cour d’assises, soit plus de dix fois moins, rappelle le documentaire Elle l’a bien cherché, réalisé par Laetitia Ohnona qui a travaillé pendant sept ans sur les viols et leur traitement en France. (« 200 000 viols sont commis chaque année » en France, « deux femmes sur six ont été victimes de viol ou de tentative de viols dans leur vie »).

Une brigade en situation d’extrême sous-effectif

Deux chiffres, éloquents, suffisent à résumer la situation. Le groupe central des mineurs victimes est composé de treize enquêteurs. Chaque année, ils reçoivent 70 000 affaires à traiter. « En Angleterre nos homologues disposent d’un service de 250 personnes, les Néerlandais sont 130 alors qu’ils ont trois fois moins d’habitants que nous », rappellent la capitaine Béchu et son adjointe la capitaine Katie Steel. « Et heureusement que ces pays sont là dans certains dossiers pour nous aider sinon nous n’en aurions pas les moyens ». Cette unité, très autonome au sein de l’OCRVP, a pour mission la lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants en ligne autrement dit la pédopornographie sur internet – le critère du web étant le vecteur de saisine de l’office – ainsi que dans le cadre du tourisme.

La France est le troisième pays européen le plus concerné par ces enjeux derrière la Hollande et l’Allemagne, et avant l’Angleterre selon les enquêtrices. Du fait de son expertise, le groupe reçoit également les affaires médiatiques, sensibles ou d’enjeu international comme les affaires Haenel, Matzneff ou Epstein. Il est le seul compétent sur tout le territoire français. La brigade de protection des mineurs est, elle, compétente pour Paris et la petite couronne mais aussi pour des dossiers envoyés par la sûreté nationale (viols, incestes, fugues, bébés secoués…). C’est ce service qui a fait l’objet du film Polisse de Maïwenn (2011). Véronique Béchu y a exercé treize ans avant d’arriver à l’OCRVP : « dans le film, on voit tout le panel des affaires qu’on peut traiter mais il déforme quand même la réalité. La façon dont on s’adresse aux enfants, c’est pas du tout ça ». Pour le reste, tous les commissariats disposent d’une brigade de la protection de la famille et les départements d’une sûreté départementale avec des agents formés aux questions de mœurs. L’office a notamment monté des canevas d’audition pour les collègues en local. La libération de la parole depuis #Metoo, réelle selon les deux capitaines, semble impossible à endiguer par un service de treize agents qui gère également le Darknet, un réseau internet couvert et anonyme.

« On essaie d’identifier les producteurs qui filment et abusent d’enfants prépubères, c’est-à-dire de moins de dix ans, sinon il y a trop à faire », reconnaît le commissaire Philippe Guichard, le patron de l’office. De même, en matière de tourisme sexuel, les investigations sont ciblées en Asie du Sud-Est pour les mêmes raisons. « On essaie d’envoyer en local les dossiers plus classiques de détention et diffusion d’images pédopornographiques ou de sextorsion – le fait de solliciter un mineur par écran pour obtenir des images à but sexuel – », précisent les cheffes du service qui conservent notamment les dossiers avec un grand nombre de victimes, un même modus operandi, des auteurs présumés qui exercent une activité en lien avec des mineurs, et les dossiers à l’international. La coopération sur le sujet est totale à la différence d’autres domaines comme les homicides d’expatriés français tués à l’étrangers, l’un des cinq autres groupes opérationnels de l’OCRVP. « Les demandes d’entraide y sont régulièrement refusées, c’est de la diplomatie », souligne le commissaire. Alors qu’en matière de pédocriminalité, « pas de concurrence, tout le monde travaille main dans la main ». Quand un suspect de pédophilie est découvert dans un pays étranger, la communication est immédiate, grâce à Siena, la messagerie sécurisée d’Europol et d’Interpol, et les demandes d’autorisation exemptées, la protection de l’enfance étant l’enjeu principal et unanime. Les Français de l’OCRVP sont même considérés comme experts à l’international. Plusieurs fois par an ils se rendent en Inde, au Vietnam, au Sri Lanka, aux Philippines, en Thaïlande notamment, pour former leurs homologues aux cybertechniques d’enquête, sous pseudonyme, et ainsi resserrer la coopération internationale, y compris avec les ONG locales : « ce sont ces acteurs qui nous signalent les comportements inquiétants de Français à l’étranger ». En quelques années, certains pays ont changé leur législation et renforcé la répression sur ces thématiques. Les pédocriminels eux, s’adaptent. « Ils cherchent des pays très pauvres où ils peuvent être tranquilles. Les prochains sur la liste ce sont la Birmanie et le Bangladesh. »

Aujourd’hui, le nouvel enjeu concerne le live-streaming soit « l’achat de séquences spécifiques de viols d’enfants commandées en direct, explique le commissaire Guichard, souvent aux Philippines. Ça vaut autour de 50 $, là-bas c’est considérable. Les auteurs en commandent jusqu’à 50 ». Le 13 janvier, à Paris, le procès inédit sur le sujet de Stéphan L. se clôturait sur la condamnation de l’accusé à cinq ans d’emprisonnement pour « complicité d’agressions sexuelles sur mineurs » par instigation. Véronique Béchu et Katie Steel regrettent la qualification de complicité plutôt que celle d’auteur. « La peine est la même mais dans l’imaginaire collectif c’est moins grave, or c’est bien lui qui derrière son écran paie, choisit sur catalogue l’enfant et les sévices qu’il va subir ». Elles souhaitent une qualification spécifique suffisamment large pour intervenir dès les premiers échanges de mails et de vidéos.

« En France, ce n’est pas une infraction d’avoir des échanges afin d’obtenir une photo pornographique d’enfant alors que dans les pays anglo-saxons, c’est puni de quatorze ans de prison », assurent les enquêtrices. « Pas sûr que ça réponde aux principes fondamentaux de la procédure pénale », nuance Emmanuel Daoud. Le thème est encore nouveau, et la collaboration avec le parquet et les Philippines jeune en la matière ce qui ne fait que révéler davantage le manque de moyens du groupe central des mineurs victimes. « On parle de priorité nationale dans la lutte contre l’exploitation sexuelle des mineurs en France – et contre les violences faîtes aux femmes, ndlr – mais le manque d’effectif est criant par rapport à l’ampleur du sujet », déplore-t-on au groupe central des mineurs victimes. Un constat repris par Me Daoud et par Me Le Bras : « Si on considère que ça devient une thématique d’actualité, il va falloir faire de la comptabilité humaine ».

Un office ultraspécialisé composé d’enquêteurs et d’analystes

L’OCRVP a été créée par le décret du 6 mai 2006 sur les ruines de deux structures (l’OCDIP et la DNRAPB). Il est l’un des cinq offices centraux de la sous-direction de la lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière (SDLCODF) qui dépend donc de la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ). Il est d’ailleurs situé à Nanterre dans leurs locaux. L’OCRVP se compose de six groupes opérationnels et d’une plateforme d’appui. Le premier groupe concerne les homicides sans mobiles apparents. « On ne prend que les affaires extrêmement lourdes, jamais en début de parcours, et souvent en appui du service territorial compétent », explique le commissaire Guichard qui dirige l’office. Parmi ceux-là, un certain nombre de cold cases, ces fameux dossiers vieux de dix, quinze, vingt ans, jamais élucidés, jamais refermés. Le second groupe porte sur les disparitions criminelles ou inquiétantes ce qui correspond juridiquement à « un homicide sans corps découvert », avec là aussi beaucoup de vieux dossiers. Un autre groupe travaille sur les affaires en série, des meurtres ou des viols avec un mode opératoire ou des traces similaires. En ce moment, l’office travaille notamment sur le meurtre de l’étudiante Sophie Le Tan en Alsace et sur le parcours « sur les cinq dernières années » de son principal accusé, Jean-Marc Reiser, déjà acquitté dans une affaire de meurtre en 2001. Vient ensuite le groupe axé sur les homicides d’expatriés français tués à l’étranger : ici l’office œuvre en collaboration avec le service local étranger.

Il y a enfin le groupe des mineurs victimes, évoqué plus haut. Puis celui des dérives sectaires (Caimades), le seul en France à travailler à temps plein sur le sujet. La superintendante Lénaïg Le Baïl, précise que 40 % des signalements faits à la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) – supprimée par le gouvernement actuel – concernent des cas d’exercice illégal de la médecine. Par exemple, le cas Mercuri du nom d’un ostéopathe et guérisseur, mis en examen pour abus de faiblesse, escroquerie et exercice illégal de la médecine en 2018. La plupart sont émis par des proches des victimes sous emprise, plus rarement d’une ancienne victime sortie de l’emprise ou enfin du service central du renseignement territorial (SCRT). « On n’est pas là pour juger de la pertinence des croyances même si on doit s’intéresser au discours, nous on est là pour détecter d’éventuelles infractions pénales », affirme-t-elle. La loi About-Picard de juin 2001 sert de socle avec l’infraction d’abus de faiblesse de personnes en état de sujétion psychologique ou physique. Là encore, un gros travail d’audition est mené avec des canevas, un protocole prédéfinis pour mettre en lumière les processus d’emprise. Les dossiers courent sur plusieurs années, sont souvent menés seuls, parfois en cosaisine si des infractions connexes sont relevées, par exemple un service financier.

La plateforme d’appui est, elle, composée de différents services qui interviennent en soutien de ces groupes et de manière transversale. D’abord les psychocriminologues qui font du profilage et de l’assistance à audition. Ensuite, le groupe des relations internationales qui fait du rapprochement entre les cadavres découverts sous X et les disparitions de personnes. Certains sont spécialisés dans la téléphonie et les réseaux sociaux, « un incontournable dans toutes les enquêtes », précise le commissaire Guichard. Puis la plateforme d’analyse criminelle qui dépend de la DCPJ. Onze analystes sont chargés de la mise en œuvre du logiciel SALVAC (système d’analyse des liens de la violence associée aux crimes), développé par les autorités canadiennes et utilisé en France depuis 2002. Ce service autonome de l’OCRVP est une aide « pour tous les enquêteurs de France » qui consiste à faire du « rapprochement d’affaires », résume Gwladys Gouilliart, capitaine de police et cheffe du groupe. « C’est le seul outil du pays spécialisé dans les atteintes aux personnes, commun à la police et à la gendarmerie, et qui tient compte du comportement des agresseurs », explique-t-elle.

En somme « c’est un outil qui traque les prédateurs » de viols, d’agressions sexuelles, d’enlèvements, de crimes ou de tentatives, dans des cas où victimes et auteurs ne se connaissent apparemment pas, et où il n’y a pas de mobile apparent. 15 000 dossiers ont été intégrés dans la base, la moitié des auteurs sont identifiés. « Les premiers condamnés depuis la création du SALVAC commencent à sortir de prison et à recommencer. On a déjà réinscrit plein d’auteurs dans la base », s’alarme la responsable qui regrette que ce logiciel demeure méconnu. « 90 % du temps, nous sommes pro-actifs », souligne-t-elle. Ainsi, le service propose lui-même ses services aux collègues sur le territoire qui sont chargés d’une enquête. Il arrive que ceux-ci ne répondent pas favorablement comme c’est le cas pour le dossier Nordahl Lelandais, un ancien militaire accusé de meurtres et d’agressions sexuelles sur mineures de moins de quinze ans. « Une aberration », souffle-t-on à l’office. « Je ne dispose pas d’éléments explicatifs », abrège Gwladys Gouilliart.

Un directeur « à l’ancienne » et des cold cases

« Certains m’appellent le Maigret des années 2000 », lance le commissaire Philippe Guichard qui dirige l’OCRVP depuis six ans. « C’est le plus beau poste pour les personnes intéressées par les affaires de sang et de sexe », dit-il. Sa spécialité. « Ce que j’adore, c’est comprendre ce qui a pu se passer et envisager des hypothèses, trouver la bonne ». Inspecteur pendant onze ans, il a pris la tête d’un commissariat des Yvelines après avoir obtenu son examen de commissaire et a rejoint la brigade criminelle de Versailles avant de devenir chef de la division criminelle. L’Express a fait un portrait de ce « flic à l’ancienne » en mai 2018, insistant sur les dossiers qui l’ont marqué, en particulier celui d’Estelle Mouzin, une fillette de neuf ans disparue en 2003 en Seine-et-Marne. Aujourd’hui encore, il demeure l’un de ceux qui connaît le mieux l’affaire.

L’Office continue de travailler sur le sujet parmi d’autres cold cases. « Je pense que tous les dossiers sont sortables. Il faut y croire sinon pas la peine de faire ce métier », lance le breton qui a recouvert son bureau de tableaux de sa région. Lui pense que la médiatisation est toujours bonne à prendre : « il faut que le dossier ne tombe pas dans l’oubli », justifie-t-il. Alors il communique beaucoup avec les journalistes et n’hésite pas à relancer une affaire par le biais d’un reportage, d’un appel à témoins, d’un commentaire. « Les magistrats n’aiment pas ça, ils considèrent que c’est du viol du secret de l’instruction, mais un témoignage peut être très important », dit-il. Et de préciser, «  je ne révèle rien aux médias !  »

L’OCRVP creuse les pistes inexplorées, entend les trois voisins pas rencontrés sur une enquête de voisinage étendue à cent personnes, cherche des axes nouveaux, à coup de brainstormings, de réunions, de déplacements et un gros travail d’audition. « Aussi prestigieux soit le service d’enquête, il y a toujours des manques. Ils sont dans le tunnel, lancent la piste qu’ils estiment la plus sérieuse et quand ça ne marche pas, une autre affaire a déjà pris le pas, moins de gens travaillent sur la première ». Les dossiers les plus anciens remontent aux années 1980 comme celui de Sabine Dumont, une fillette enlevée et tuée dans l’Essonne en 1987. L’Office est saisi à différents moments de l’enquête, quand on estime que leur expertise et leur regard extérieurs peuvent faire avancer le dossier. Dans le cas de Sophie Le Tan, c’est la DCPJ qui a été saisie avec l’ensemble de ses services et offices. Idem dans l’affaire Léa Petitgas, une jeune nantaise disparue en décembre 2017. Il s’agit souvent de cosaisie avec les enquêteurs sur place qui sont la mémoire du dossier, le but étant d’intervenir en bonne intelligence.

« On n’arrive jamais dans une logique de préemption des dossiers ni pour prendre la gloire à leur place, assure la superintendante Lénaïg Le Bail. En général on travaille main dans la main et à l’initiative des gendarmes ou policiers sur place. Travailler avec des gens qui ne le souhaitent pas, ça ne sert à rien. » C’est moins vrai pour les cold cases où les premiers enquêteurs ont cessé d’investiguer. « La première chose qu’on regarde c’est l’état des scellés, dit-elle. L’évolution technique prouve que ça vaut toujours le coup de refaire des analyses ADN notamment ». Sur les dossiers d’ampleur, l’office demande des gels de données téléphoniques sur tout le territoire – très coûteux – qui peuvent aller de quelques heures à une journée. Par exemple, tous les appels en France le jour de la disparition d’Estelle Mouzin sont stockés.

« Il n’y a pas une chaîne où un jour se passe sans émission, sujet, documentaire sur une affaire de sang ou de sexe », relève le commissaire Guichard qui considère la communication comme « une partie du job ». En l’occurrence, cette semaine-là, il intervient à la Chancellerie, reçoit Gabriel Attal, le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Éducation nationale et de la jeunesse pour discuter de la cybercriminalité, participe à une réunion avec Alerte Enlèvement, une autre au parquet de Paris sur l’affaire Epstein, répond à une demande d’expertise d’industriels qui veulent développer des outils de gestion des affaires criminelles, rencontre Uber pour réfléchir à un moyen de pallier le phénomène des agressions par des chauffeurs, participe à une réunion de crise au ministère des Affaires étrangères, s’entretient avec des candidats à cinq postes ouverts au sein de l’Office, et répond à une interview du Monde, de Mediapart ou de l’émission Non élucidé. « Il faut bien que les Français sachent que la police n’est pas que la lutte contre les gilets jaunes mais aussi de l’investigation lourde, dit-il. Et qu’il n’existe pas un violeur ou un agresseur en liberté dont on ne s’occupe pas ». Ce qui, en l’état des moyens attribués à la police et à la justice, malgré tout leur professionnalisme, et si l’on en croit les témoignages de cet article, semble être un idéal loin d’être encore atteint.