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L’office du juge des référés face au licenciement du lanceur d’alerte

Le juge des référés, auquel il appartient, même en présence d’une contestation sérieuse, de mettre fin au trouble manifestement illicite que constitue la rupture d’un contrat de travail consécutive au signalement d’une alerte, doit apprécier si les éléments qui lui sont soumis permettent de présumer que le salarié a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime, ou qu’il a signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 et, dans l’affirmative, de rechercher si l’employeur rapporte la preuve que sa décision de licencier est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de ce salarié.

Il est une chose d’inscrire la protection du lanceur d’alerte dans la loi, il en est une autre d’assurer en pratique son respect. Licenciée après avoir signalé ce qu’elle considérait comme un crime ou un délit dans l’entreprise, et désormais privée de ses revenus, que pouvait faire la lanceuse d’alerte ?

Responsable de département dans l’une des sociétés du groupe Thalès, une salariée saisit le 24 mars 2019 le comité d’éthique du groupe pour signaler des faits susceptibles d’être qualifiés de corruption, lesquels mettaient en cause un des anciens salariés de la société Thalès SIX GTS. Le 20 février 2020, le comité d’éthique conclut à l’absence de situation contraire aux règles et principes éthiques. Le 13 mars 2020, la salariée fut convoquée à un entretien préalable, puis la notification de son licenciement lui fut notifiée le 27 mai 2020.

Imputant son licenciement à son alerte, la salariée saisit la juridiction prud’homale en référé afin d’obtenir la nullité de son licenciement et sa réintégration dans l’entreprise. Confirmant l’ordonnance rendue en première instance, la cour d’appel de Versailles rejeta ses demandes. Au soutien de son pourvoi en cassation, la salariée invoquait la violation des règles relatives à la protection des lanceurs d’alerte et notamment le non-respect de l’aménagement de la charge de la preuve par le juge des référés. En substance, pour l’auteure du pourvoi, dans un litige, y compris en référé, si le salarié présente des éléments laissant supposer l’existence d’un licenciement en lien avec l’alerte donnée, il appartient au juge de rechercher si l’employeur apporte des éléments objectifs étrangers à l’alerte de l’intéressée pour justifier sa décision.

La chambre sociale de la Cour de cassation devait prendre position sur l’office du juge des référés face au licenciement du lanceur d’alerte. La Maison des lanceurs d’alerte étant intervenue volontairement à l’instance et le Défenseur des droits ayant déposé des observations, la solution était pour le moins attendue.

Rappelant les règles légales relatives à la protection du lanceur d’alerte contre le licenciement, la chambre sociale retient une conception large de l’office du juge des référés, résolument protectrice des salariés endossant le difficile rôle de lanceur d’alerte.

La protection contre le licenciement du lanceur d’alerte

La protection « unifiée » (Rép. trav., Droit d’expression des salariés, par P. Adam, n° 230) des lanceurs d’alerte, au sein de l’entreprise dont ils sont employés, résulte de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi « Sapin II » (v. not., J. Icard, L’alerte individuelle en droit du travail, Dr. soc. 2017. 545 ). Quoique substantiellement complété par la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte, le dispositif issu de la loi Sapin II était seul applicable aux faits de l’espèce. Schématiquement, la protection du salarié lanceur d’alerte suppose qu’il soit qualifié comme tel au sens de la définition posée par l’article 6 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, d’une part, et qu’il ait respecté la procédure spécifique...

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