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L’opposition irrégulière interrompt le délai pour la former !

L’opposition à une injonction de payer, même irrégulière, qui saisit le tribunal de la demande initiale du créancier et de l’ensemble du litige, interrompt le délai d’opposition. Sa régularisation reste possible jusqu’à ce que le juge statue.

L’opposition formée irrégulièrement par un débiteur auquel a été notifié une ordonnance portant injonction de payer emporte-t-elle interruption du délai d’opposition ? Tel est le problème qu’a dû résoudre la deuxième chambre civile de la Cour de cassation pour rendre l’arrêt du 18 janvier 2024 qui fait l’objet du présent commentaire.

Si le problème s’énonce facilement, il n’appelle pas une réponse évidente.

I. Pour le comprendre, il faut commencer par relire l’article 2241 du code civil : ce texte, dans un premier alinéa, énonce que « la demande en justice […] interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion » ; dans un second, il ajoute que « il en est de même […] lorsque l’acte de saisine de la juridiction est annulé par l’effet d’un vice de procédure ». La volonté continue ainsi de produire des effets de droit par-delà la nullité de l’acte de procédure qui en constitue le support. Celui qui est habitué à enseigner que ce qui est nul est censé n’avoir jamais existé peut en éprouver une certaine gêne (v. par ex., R. Libchaber, note ss. Civ. 2e, 1er mars 2018, n° 16-25.746 P, Dalloz actualité, 22 mars 2018, obs. L. Camensuli-Feuillard ; D. 2018. 518 ; ibid. 1223, obs. A. Leborgne ; RDC 2018/3, p. 357 ; C. Brenner et H. Lécuyer, La réforme de la prescription, JCP N 2009. 1118, nos 76-78) ; la solution est tout aussi curieuse pour celui qui – sans doute conformément à ses origines romaines – voit dans l’interruption résultant de la demande en justice un simple moyen d’éviter qu’un délai de prescription ou de forclusion expire pendant que le juge a été saisi et est en train d’instruire l’affaire.

Mais cette originalité peut sans doute être expliquée par la singularité des actes de procédure, dont les actes de saisine de la juridiction constituent une variété.

Constituant la plupart du temps des actes juridiques unilatéraux, leur formalisme n’a pas vocation à protéger le consentement de leur auteur, mais à permettre au destinataire d’exercer les droits dont il dispose afin d’accomplir les charges processuelles qui lui incombent. Les auteurs du code de procédure civile n’ont d’ailleurs pas même envisagé que l’acte de procédure puisse être critiqué par son auteur ; il est uniquement prévu que le destinataire, au moyen d’une exception de procédure, puisse en solliciter la nullité (C. pr. civ., art. 112 s.). Si on admet, à la suite de Japiot, que les effets produits par l’acte ne doivent être anéantis que « dans la mesure où le but de la nullité l’exige » (R. Japiot, Des nullités en matière d’actes juridiques. Essai d’une théorie nouvelle, Arthur Rousseau, 1909, p. 298), il n’est pas totalement incongru que, une fois la protection du destinataire de l’acte assurée par le jeu de la nullité, la volonté exprimée par son auteur continue de produire certains effets et, notamment, celui d’interrompre les délais de prescription et de forclusion, tout du moins lorsque l’acte est entaché d’une simple irrégularité de forme (v. infra).

Est ainsi réalisé un équilibre entre les intérêts de l’auteur de l’acte et ceux de son destinataire.

Mais pour bénéficier de cet effet interruptif, encore faut-il que l’article 2241 du code civil soit effectivement applicable. C’est précisément ce qui, en matière d’injonction de payer, donne lieu à quelques hésitations.

II. L’affaire à l’origine de l’arrêt commenté en fournit une illustration. Le 14 novembre 2017, à la suite de la signification qui lui avait été faite d’une ordonnance portant injonction de payer, une société a formé une opposition, conformément à l’article 1412 du code de procédure civile. Bien évidemment, parce que l’opposition émanait d’une personne morale, elle avait été formalisée par une personne physique assurant la représenter. C’est ce point qui a posé difficultés car le créancier a prétendu que les associés de la société n’avaient donné pouvoir à cette personne physique qu’à compter du 31 décembre 2017, de sorte que l’opposition formée auparavant était irrégulière. Cette argumentation a convaincu la Cour d’appel de Pau qui a déclaré l’opposition irrecevable. La production d’un document établissant qu’un pouvoir spécial avait été donné à la personne physique n’y a rien changé : les magistrats l’ont écarté en soulignant qu’il n’avait pas date certaine.

Les magistrats palois avaient incontestablement commis une erreur en déclarant l’opposition formée le 14 novembre 2017 irrecevable : le défaut de pouvoir d’une personne figurant au procès comme représentant d’une personne morale constitue une irrégularité de fond simplement susceptible d’entraîner la nullité de l’acte d’opposition et non l’irrecevabilité du recours (C. pr. civ., art. 117). Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation, après avoir restitué aux faits leur exacte qualification, a, aux termes des motifs suscités, censuré l’arrêt rendu par la cour d’appel de Pau : selon elle, la régularisation de l’opposition restait possible jusqu’à ce que le juge statue.

III. Que l’acte entaché d’une irrégularité de fond interrompe un délai de prescription ou de forclusion n’est pas nouveau (Civ. 3e, 11 mars 2015, n° 14-15.198 P, Duval c/ Société de la Recette, D. 2015. 689 ; ibid. 2016. 449, obs. N. Fricero ; Civ. 2e, 16 oct. 2014, n° 13-22.088 P, Dalloz actualité, 28 oct. 2014, obs. N. Kilgus ;Frenoy c/ Ouizille de Keating (Sté), D. 2014. 2118 ; ibid. 2015. 287, obs. N. Fricero ; ibid. 517, chron. T. Vasseur, E. de Leiris, H. Adida-Canac, D. Chauchis, N. Palle, L. Lazerges-Cousquer et N. Touati ; Gaz. Pal. 23 déc. 2014, p. 27, obs. S. Amrani-Mekki ; Com. 20 nov. 2012, n° 11-26.581 P, Directeur général des finances publiques, D. 2012. 2810 ; Gaz. Pal. 9 mars 2013, note L. Mayer). La solution reste discutable : l’acte de procédure est toujours le...

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