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Les leçons organisationnelles du procès du 13 novembre

Après dix mois d’audience, le mégaprocès des attentats de Paris de novembre 2015 est arrivé à son terme, mercredi 29 juin. Au-delà du fond judiciaire, retour sur les enseignements autour de l’organisation de ce mégaprocès.

par Gabriel Thierry, Journalistele 13 juillet 2022

Un calendrier contraint par le covid-19

Débuté en septembre 2021 avec 1800 parties civiles, le mégaprocès du 13 novembre s’est conclu dix mois plus tard avec 700 parties civiles de plus, un millier de journalistes accrédités et 350 avocats représentant les 20 accusés et les victimes. Des chiffres inédits dans l’histoire judiciaire française. « Ce procès a fait l’objet d’une préparation minutieuse avec l’ensemble des services de la cour d’appel et de la Chancellerie, mais bien évidemment, nous appréhendions son démarrage. À l’issue de celui-ci, nous estimons pouvoir dire qu’il s’est parfaitement déroulé », résume le magistrat Julien Quéré, en charge de l’organisation du procès à la cour d’appel de Paris.

Pour ce magistrat affecté à la première présidence, les raisons de ce succès judiciaire sont à trouver dans « ces longs mois de préparation » avec les avocats, associations de victimes, forces de sécurité intérieure et journalistes qui ont permis de baliser « la mise en place de cet ovni judiciaire ». « C’était un défi technique, sécuritaire et organisationnel », rappelle également le secrétaire général du parquet général de Paris, Guillaume Lefevre-Pontalis. « Mais nous devions cette bonne marche, qui nous oblige pour la suite, à tous les acteurs du procès », ajoute-t-il. Avec à la clé plusieurs innovations remarquées, comme les cordons rouges et verts pour signaler son souhait ou non d’être interrogé par la presse.

Les débats se sont terminés toutefois avec cinq semaines de retard sur le calendrier prévu, un délai supplémentaire dû aux cas de covid-19. « Était-ce nécessaire que le procès soit aussi long ? », s’interroge a posteriori l’avocate de l’accusé Mohammed Amri, Negar Haeri. « Sur le coup, tout nous paraissait utile, même si la cour n’a pas osé faire l’économie de certains témoins ou experts pour passer plus de temps sur les faits et la personnalité des accusés. Au final, seuls cinq jours ont été consacrés à mon client, mais il s’est senti entendu ».

La webradio

C’était l’une des innovations du procès. La webradio permettait aux victimes de suivre en direct les débats. Un millier de demandes d’activation ont été enregistrées par la cour d’appel, avec environ 800 usagers actifs. Aucune captation de son n’a été observée, l’une des craintes liées à la diffusion des débats. Une diffusion audio avait été préférée à une diffusion vidéo, qui aurait pu être détournée par le biais d’un deep fake, par exemple.

Résultat : après ce bon bilan, la diffusion de la webradio pour le procès de l’attentat de Nice va être étendue aux parties civiles résidant à l’étranger. Le flux audio sera également traduit en anglais. Mais des avocats de V13 suggèrent d’aller encore plus loin. « Son ouverture aux collaborateurs qui ne pourraient pas venir assister à l’audience pourrait être une piste », signale l’avocate Héléna Christidis.

La coordination des parties civiles

Dans le prolongement du travail collectif entamé au lendemain des attentats de 2015, les avocats des parties civiles ont travaillé groupés. Des avocats référents ont permis de fluidifier les échanges avec les magistrats. Sur le plan technique, un espace de stockage informatique en ligne a été ouvert, avec un espace réservé aux parties civiles pour échanger. Enfin, de manière plus visible, les avocats ont mis en place un système de plaidoiries thématiques. Une manière de gagner du temps, d’éviter les redites, et donc de faire entendre de manière plus percutante la voix des victimes.

Concrètement, un tiers des avocats de la partie civile n’ont pas souhaité prendre la parole, 120 se sont engagés dans le collectif, et 80 ont préféré plaider. « C’est un niveau de coordination qui a été très loin, cela se fait au sein d’un cabinet, mais c’est du jamais vu entre autant d’avocats », signale Frédéric Bibal. Plus globalement, la robe noire estime que ce procès « a montré que l’avocat partie civile a un rôle actif dans le procès pénal ».

L’ouverture des micros

Si, comme le rappelle Julien Quéré, « Ce procès a bien été celui des 20 accusés, en respectant les droits de la défense et en permettant à toutes les parties de s’exprimer », un point technique a chiffonné des avocats. Pour prendre la parole, il fallait la demander, à charge ensuite au président d’ouvrir le micro – la cour d’appel avait opté pour les tiges les plus longues disponibles sur le marché, pour éviter aux avocats d’avoir à se pencher pour parler.

« Cela a amené une certaine rigidité dans l’oralité : c’est compliqué de se lever et de faire un incident », observe Stéphane Maugendre, avocat d’une partie civile. « Je ne sais pas si une autre solution aurait été viable, mais il est parfaitement anormal d’avoir dû demander l’autorisation de prendre la parole : dans un procès d’assises, ce n’est pas seulement la parole qui doit demeurer un droit, mais aussi son caractère spontané », rappelle Negar Haeri. À noter toutefois que toutes les parties, le parquet, la défense ou les parties civiles étaient soumises à cette ouverture du micro.

Au-delà de la question technique de cette ouverture des micros, le procès a été l’occasion de revoir l’usage traditionnel dans le tour de parole – partie civile, parquet puis défense. En fonction de l’origine de la demande de citation, la défense ou le parquet avaient l’initiative des premières questions. Une manière d’aider « à la fluidité des débats », souligne-t-on à la cour d’appel.

La sécurité

C’était l’un des points d’attention du procès. Le nécessaire très haut niveau de sécurité pour ce procès allait-il déteindre sur les débats, être anxiogène pour le public ou encore provoquer de la grogne chez des avocats ? Pour éviter de donner au procès des airs de bunker assiégé, les autorités judiciaires ont par exemple demandé aux forces de sécurité intérieure d’éviter de porter de manière apparente leurs armes sur le cheminement des parties civiles.

« Compte tenu du contexte, je me suis plié de bonne grâce aux contrôles, alors que d’habitude je suis très à cheval sur ce point », affirme Stéphane Maugendre. « Nous avons fini par nous y habituer, mais c’était très pénible, par exemple si nous devions aller récupérer un courrier à notre toque », remarque Negar Haeri. « Les avocats ont accepté des règles de sécurité importantes », reconnaît Julien Quéré. Le simple fait de les fouiller avant d’entrer dans une salle d’audience n’est pas classique, mais nous en avons tellement discuté ensemble qu’ils s’y sont soumis en bonne intelligence. »

Plus globalement, la cour d’appel se félicite du choix fait d’un procès au cœur d’un palais judiciaire. A contrario, le choix belge d’organiser le procès des attentats de mars 2016 dans une ancienne base de l’OTAN est déjà critiqué par des avocats d’outre-Quiévrain. « On a pris une ancienne caserne militaire qu’on a essayé de transformer en un lieu de justice, avec des contraintes sécuritaires qui parfois ne cadrent pas avec l’organisation d’un procès », a ainsi regretté l’avocat Guillaume Lys.

Un coût incertain

Combien a coûté l’indispensable procès du 13 novembre ? Selon le ministre de la Justice, interrogé par le quotidien Le Parisien, son budget a été d’environ 64 millions d’euros. « Il est normal que la justice ait mis les moyens », un effort « qui ne s’est pas fait au détriment d’autres postes budgétaires », a commenté Éric Dupond-Moretti. Plus précisément, la salle d’audience et ses annexes ont coûté 10 millions d’euros, la sécurité environ 2,3 millions d’euros, et le défraiement des parties civiles 1,2 million d’euros.

Quant à l’aide juridictionnelle versée aux avocats, le poste budgétaire le plus important, il représente une enveloppe de 50 millions d’euros. Une somme qui a donné lieu à un geste des avocats de parties civiles, qui ont reversé une partie de l’aide juridictionnelle à leurs confrères de la défense. Pour les robes noires, l’équation financière posée par le procès a été facilitée par la mensualisation de l’aide juridictionnelle à partir de la fin novembre. Le greffe a ainsi pointé, deux fois par jour, la présence des avocats issus de quarante barreaux différents. « C’était une tâche assez conséquente dont les avocats ont été satisfaits », observe la directrice des services de greffe Pascaline Ghelis, à la tête des 25 gilets roses, ces contractuels recrutés pour le mégaprocès.