Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

Législatives : retour sur les premières décisions du Conseil constitutionnel

Vendredi 8 décembre, le Conseil constitutionnel a rendu une nouvelle vague de décisions dans le cadre du contentieux des élections législatives. Si la décision concernant Manuel Valls et la première circonscription de l’Essonne a été la plus commentée, elle reste très classique. D’autres décisions sont plus originales, notamment en matière de propagande. Retour sur les premières décisions, les contentieux concernant seize circonscriptions devant encore être tranchées (sans compter les décisions suivant l’invalidation des comptes de campagne par la CNCCFP).

par Pierre Januelle 12 décembre 2017

Validation sans surprise de l’élection de Manuel Valls

En matière de contentieux électoral, les griefs sont souvent rejetés faute d’éléments probants. Et s’ils sont constitués, le Conseil constitutionnel interroge systématiquement l’impact déterminant de l’erreur ou de la manœuvre sur le résultat de l’élection. Le Conseil est en effet très rétif à s’opposer au suffrage universel en invalidant une élection, pourtant frappée d’irrégularités, qui aurait été largement acquise.

Concernant l’élection de Manuel Valls (décis. n° 2017-5074/5089 AN), remportée de 139 voix face à une candidate de la France insoumise, les griefs sont finalement très classiques, tout comme les réponses du Conseil. Ce dernier considère ainsi qu’un banquet des seniors organisé par le CCAS d’Évry auquel participait le député était une manifestation habituelle, qui n’a pas été le théâtre de promotion particulière du candidat. D’autres griefs sont rejetés en l’absence d’éléments probants et, s’agissant des opérations de vote, le plus souvent sans qu’ils aient été mentionnés au procès-verbal du bureau de vote. En matière de contentieux électoral, il importe en effet que les requérants aient conservé les éléments et qu’ils aient disposé d’un réseau complet d’assesseur.

Au final, comme souvent, ce sont les différences de signatures des listes d’émargement entre les deux tours qui entraînent le plus d’invalidations. Sur 108 de ces différences, 42 sont peu probantes ou ont pu être justifiées (utilisation d’un paraphe à la place de la signature, nom d’usage, blessure à la main, etc.). Mais pour 66 d’entre elles, la rapide instruction n’a pu fournir d’explications, elles sont donc retirées. Toutefois, la différence de voix reste trop importante pour conduire à l’annulation des opérations électorales.

Trois élections invalidées par le Conseil constitutionnel

Les trois élections invalidées jusqu’ici par le Conseil l’ont été pour des motifs très différents. Dans la seconde circonscription de Guyane (décis. n° 2017-5091 AN), le candidat LREM Lénaïck Adam, l’avait emporté de 57 voix. Mais deux bureaux de vote de Maripasoula (commune de 11 000 habitants qui couvre le cinquième de la Guyane) n’avaient pas désigné d’assesseurs, ce qui a conduit, vu le faible écart, à l’annulation des opérations électorales sur l’ensemble la circonscription.

Dans la première circonscription du Territoire de Belfort (décis. n° 2017-5067 AN), le candidat élu Ian Boucard (LR), qui l’avait emporté de 279 voix, avait fait distribuer dans les derniers jours de campagne deux tracts, l’un qui s’inspirait de la charte graphique de la France insoumise, l’autre de celle du Front national. Ils reprenaient des propos de Jean-Luc Mélenchon et du candidat du FN de la circonscription, en les altérant dans un sens favorable au candidat LR. Pour le conseil, « cette manœuvre est de nature à avoir créé une confusion dans l’esprit d’une partie des électeurs et à avoir influé sur le résultat du scrutin », eu égard à l’ampleur de la diffusion et du caractère tardif. L’élection est donc annulée.

Dans la première circonscription du Val d’Oise, la candidate élue, Isabelle Muller-Quoy, maître de conférence en droit public, avait choisi comme suppléant un ancien président du conseil de prud’hommes de Pontoise. C’était un cas d’inéligibilité prévu par l’article L.O. 132 du code électoral. Dès lors, le conseil n’a pu qu’annuler l’élection le 16 novembre dernier (décis. n° 2017-4999/5007/5078 AN).

D’autres éléments notables dans les décisions AN concernant la propagande

Question sensible à chaque élection nationale, plusieurs candidats sont accusés d’avoir excipé sur leur propagande une investiture qu’ils n’avaient pas. Avant le scrutin, les tribunaux ou les commissions de propagande renvoient systématiquement ces questions au juge de l’élection. Mais le Conseil constitutionnel considère ensuite qu’il ne lui appartient pas de vérifier la régularité de cette investiture.

Il rejette ces recours, considérant le plus souvent qu’« un large débat public sur les soutiens politiques respectifs des candidats s’est déroulé pendant la campagne électorale et a été relayé par la presse locale » ou que la notoriété du candidat usurpé, député depuis trente ans faisait que l’usurpation n’avait pas été « de nature à créer une confusion dans l’esprit des électeurs » (décis. n° 2017-5026 AN, n° 2017-5039 AN, n° 2017-5027/5094 AN). On peut être dubitatif sur ce raisonnement, mais l’éventuel renforcement des sanctions contre les usurpations de logos est entre les mains du législateur.

Toujours concernant le bulletin, l’article R. 30 du code électoral prévoit qu’ils ne peuvent contenir d’autres noms que ceux des candidats. Sur son bulletin, la candidate LR de la cinquième circonscription des Alpes-Maritimes avait imprimé la photo de Christian Estrosi, qui n’était ni candidat ni suppléant. Le Conseil constitutionnel, reprenant une jurisprudence du Conseil d’État, souligne qu’aucune autre disposition n’interdit « de faire figurer sur les bulletins de vote des photographies des candidats aux côtés de personnalités politiques non candidates à l’élection » (décis. n° 2017-5008/5040/5053 AN). Un moyen simple de passer outre l’interdiction, qui devrait susciter d’autres vocations.

Dans la troisième circonscription des Alpes-Maritimes, un candidat avait fait diffuser le jour du premier tour de scrutin un lien commercial sur Facebook (décis. n° 2017-5026 AN). Toute publicité électorale est interdite (C. élect., L. 52-1). Mais le Conseil adopte une curieuse définition des contenus sponsorisés, considérant que Facebook est « un moteur de recherche sur internet » visant à attirer les clics d’internautes. Au-delà, le sponsoring n’ayant duré que quinze minutes et n’ayant entraîné aucune connexion, il n’a pu, pour le Conseil, altérer la sincérité du scrutin.

Enfin, concernant l’utilisation d’une combinaison de trois couleurs, bleu, blanc et rouge, sur la propagande officielle par une candidate FN (décis. n° 2017-5145 AN), le Conseil a utilisé pour la seconde fois une jurisprudence plus souple que celle des commissions de propagande. Il considère en effet qu’eu égard aux circonstances de l’espèce, l’utilisation de ces trois couleurs n’a « été de nature ni à conférer un caractère officiel à la candidature […] ni à exercer une influence sur les résultats du scrutin ».