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Liberté d’expression en matière politique : encadrement par l’article 10 de la Convention européenne

Les propos tenus par un ancien premier adjoint au maire visant son prédécesseur au sujet de l’endettement de la commune s’inscrivent dans le champ de la liberté d’expression au sens de l’article 10 de la Convention européenne. 

par Sabrina Lavricle 8 février 2018

Un ancien premier adjoint au maire de la commune de Villefranche-sur-Mer donna deux interviews, la première à Nice Matin, le 26 juillet 2014, la seconde à France 3 Côte-d’Azur, le 5 août suivant, dans lesquelles il imputait à son prédécesseur une mauvaise gestion des deniers publics, en le qualifiant notamment de « pompier pyromane ». Ce dernier porta plainte et se constitua partie civile, et le premier fut condamné pour diffamation publique envers un citoyen chargé d’un mandat public. La cour d’appel confirma ce jugement, en refusant au prévenu le bénéfice de la bonne foi. Pour cela, elle retint en substance que si l’intéressé versait aux débats le compte-rendu d’une séance du conseil municipal faisant état d’une dette de la commune (de près de 8 millions d’euros) à la date de sa prise de fonctions, ce document ne permettait pas d’imputer la responsabilité de cette situation à son prédécesseur puisqu’elle était le résultat de décisions collégiales prises par le conseil municipal.

Saisie du pourvoi formé par le prévenu, la chambre criminelle casse et annule l’arrêt d’appel au visa de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme. Rappelant en attendu que « la liberté d’expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où celles-ci constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 de l’article 10 », la Haute cour considère que « les propos tenus par l’ancien premier adjoint visant son prédécesseur au sujet de l’endettement de la commune s’inscrivaient dans une polémique politique et reposaient sur une base factuelle qu’elle avait elle-même constatée, peu important que les décisions à l’origine de cet endettement eussent été collégiales ».

Mettant en exergue le contexte des propos et l’existence d’une base factuelle suffisante, la chambre criminelle estime donc que le prévenu pouvait se prévaloir de sa bonne foi, l’exonérant de sa responsabilité pénale pour les faits poursuivis.

Ce nouvel arrêt complète une jurisprudence qui n’hésite plus à se fonder directement sur l’article 10 de la Convention, et la clause de limitation qu’il contient en son paragraphe 2, pour apprécier les limites qui peuvent légitimement être posées à l’exercice de la liberté d’expression, spécialement dans le domaine du discours politique (V., par ex., récemment, Crim. 28 juin 2017, nos 16-82.163, 16-80.064 et 16-80.066, Dalloz actualité, 19 juill. 2017 isset(node/185953) ? node/185953 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>185953, en matière de polémique électorale), où les critères « classiques » de la bonne foi (légitimité du but poursuivi, absence d’animosité personnelle, prudence dans l’expression, fiabilité de l’enquête, V. la jur. citée ss. l’art. 29 L. 29 juill. 1881) sont redessinés à l’aune de la qualité des auteurs, de l’objet des propos ou du contexte de leur profération afin de mieux garantir la liberté de s’exprimer sur des questions de société.