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Le libre exercice de la profession d’avocat, une liberté fondamentale

Le libre exercice de la profession d’avocat constitue une liberté fondamentale selon le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise. L’occasion est donnée d’aborder le statut de l’avocat et la liberté fondamentale qui lui est reconnue au titre de ses missions.

par Patrick Lingibéle 17 décembre 2020

Mme A., a saisi le juge des référés libertés après s’être vu refuser, en sa qualité d’avocate, l’accès aux locaux de la sous-préfecture de Sarcelles alors qu’elle était venue assister ses clients dans leurs démarches relatives au droit au séjour. Le préfet a justifié cette restriction par le contexte sanitaire et le caractère peu complexe des dossiers pour lesquels les usagers avaient été convoqués. Nous commenterons cette décision d’une part, en abordant le contrôle exercé sur la décision préfectorale et d’autre part, sur la liberté fondamentale particulière mise en exergue.

Le contrôle des mesures préfectorales en période d’état d’urgence sanitaire

La loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 a créé un régime d’état d’urgence supplémentaire, lequel s’ajoute à l’état d’urgence sécuritaire créé par la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 modifiée. Quand il est déclaré, l’état d’urgence sanitaire actionne trois autorités : le premier ministre qui peut prendre des mesures restrictives prévues par l’article L. 3131-15 du code de santé publique ; le ministre de la santé qui peut prescrire des mesures réglementaires ou individuelles ; les préfets de département qui sont habilités à prendre toutes mesures générales ou individuelles au niveau de leur circonscription. Si l’état d’urgence sanitaire a pris fin le 10 juillet 2020, face à la nouvelle progression de l’épidémie au cours des mois de septembre et d’octobre, il a été rétabli sur l’ensemble du territorial national à compter du 17 octobre par décret du 14 octobre 2020. Suite à la déclaration de cet état d’urgence sanitaire, un décret est intervenu pour prescrire les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19, son article 29 prévoyant que le préfet « est habilité à interdire, à restreindre ou à réglementer, par des mesures réglementaires ou individuelles », afin de réglementer l’accès aux établissements recevant du public lorsque les circonstances locales le justifient. C’est sur ce fondement que le préfet du Val-d’Oise a pris l’arrêté litigieux. L’état d’urgence pose toujours un débat cornélien entre sécurité et libertés. En effet, si les libertés se voient amoindries en période de crise profonde par nécessité, l’Etat de droit doit continuer à exister dans l’état urgence sanitaire. En cas d’excès de l’autorité administrative, il appartient au juge administratif de sanctionner les actes pris par celle-ci.

À cet effet, le Conseil d’État a élaboré une grille de contrôle posée dans son célèbre arrêt Benjamin rendu par le Conseil d’État le 19 mai 1933, requête n° 17413 et 17520, avec la célèbre formule donnée par Monsieur le commissaire du gouvernement Michel : « la liberté est la règle, la restriction de police l’exception ». Cette grille s’est particulièrement étayée par la suite, le juge du Palais-Royal soumettant toute mesure de police à un contrôle de proportionnalité sur trois critères : la mesure doit être adaptée à la situation donnée, nécessaire au règlement de cette situation et enfin proportionnée à l’ordre public qu’elle a vocation à assurer (CE, ass., 26 oct. 2011, n° 317827, Association pour la promotion de l’image, Lebon avec les concl. ; AJDA 2012. 35 , chron. M. Guyomar et X. Domino ; ibid. 2011. 2036 ; D. 2011. 2602, et les obs. ; RFDA 2012. 377, chron. L. Clément-Wilz, F. Martucci et C. Mayeur-Carpentier ). Le juge constitutionnel applique également ces critères (Cons. const. 21 févr. 2008, n° 2008-562 DC, Loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, AJDA 2008. 714 , note P. Jan ; D. 2008. 1359, chron. Y. Mayaud ; ibid. 2025, obs. V. Bernaud et L. Gay ; ibid. 2009. 123, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé et S. Mirabail ; Constitutions 2010. 235, obs. M. Disant ; RSC 2008. 731, note C. Lazerges ; ibid. 2009. 166, obs. B. de Lamy ). En l’espèce, la mesure déférée de restreindre l’accès aux locaux des services des étrangers posait un problème au regard des trois critères de proportionnalité. En effet, le préfet du Val-d’Oise ne justifiait pas de l’impossibilité avérée d’assurer le respect des règles de distanciation physique lors des dépôts de demande de titre de séjour ni avoir mis en œuvre d’autres méthodes, telles que le réaménagement des conditions et des horaires d’accueil pour réguler le flux des usagers. Par ailleurs, il ressortait que les autres préfectures parisiennes, pourtant soumises aux mêmes contraintes sanitaires, parvenaient à organiser l’accueil dans leurs locaux des usagers accompagnés de leurs avocats, quelle que soit la nature de leurs demandes. En conséquence, l’interdiction édictée par le préfet du Val-d’Oise ne remplissait pas les exigences de proportionnalité : cette mesure n’était ni adaptée à la situation donnée, ni nécessaire au règlement aux buts poursuivis de préservation de la santé publique et ni proportionnée à l’ordre public au vu de la crise sanitaire qu’elle a vocation à assurer. Elle portait ainsi une atteinte gravissime à une liberté fondamentale.

La mission d’intervention de l’avocat : une liberté fondamentale à saluer

Le juge des référés de Cergy-Pontoise a été saisi sur le fondement du référé-liberté prévu par l’article L. 521-2 du code de justice administrative qui impose au juge de se prononcer dans un délai de 48 heures. Ce référé suppose pour l’essentiel deux conditions : d’une part, l’urgence et, d’autre part, une atteinte grave et manifestement illégale portée par l’administration à une liberté fondamentale. La condition d’urgence ne posant aucune difficulté en l’espèce, nous aborderons la question de la liberté fondamentale en cause. En l’espèce, le cas qu’avait à trancher le juge des référés de Cergy-Pontoise est fort intéressant car il aborde une liberté fondamentale attachée à une profession réglementée spécifique. Le juge administratif a eu à se prononcer sur plusieurs atteintes portées à des libertés fondamentales : notamment économique (CE, ord., 11 déc. 2020, Domaines skiables de France et autres, n° 44720 à propos de la fermeture des remontées mécaniques des sports d’hiver), culte (CE, ord., 29 nov. 2020, n° 446930, Association Civitas, AJDA 2020. 2343 ; AJ fam. 2020. 620 et les obs. sur la limite de 30 personnes dans les établissement de culte), liberté de manifester (CE, ord., 18 mai 2020, n° 440442, Association La Quadrature du net , Ligue des droits de l’homme, AJDA 2020. 1031 ; ibid. 1552 , note X. Bioy ; D. 2020. 1336, obs. P. Dupont , note P. E. Audit ; ibid. 1262, obs. W. Maxwell et C. Zolynski ; AJCT 2020. 530, obs. R. Perray et Hélène Adda ; Dalloz IP/IT 2020. 573, obs. Cassandra Rotily et L. Archambault concernant la surveillance par drones du respect des mesures de l’état d’urgence à Paris), protection en prison (CE, ord., 7 mai 2020, n° 440151, Garde des Sceaux, ministre de la Justice, Lebon ; AJDA 2020. 976 ; ibid. 1298 , note J. Schmitz sur les masques et tests de dépistage à la prison de Ducos Martinique), protection des avocats (CE, ord., 20 avr. 2020, n° 439983, Ordre des avocats au barreau de Marseille, Ordre des avocats au barreau de Paris, AJDA 2020. 816 ; D. avocats 2020. 266 et les obs. ). Dans le cas d’espèce, le juge des référés devait se prononcer sur l’atteinte portée au statut de l’avocat et à sa mission essentielle, celle de se déplacer et d’assister et de représenter les clients qui font appel à ses services en tout lieu. Il convient de rappeler les dispositions statutaires de la profession d’avocat prévues par la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 : article 3 bis, 1er alinéa : « L’avocat peut librement se déplacer pour exercer ses fonctions. » ; article 4 : « Nul ne peut, s’il n’est avocat, assister ou représenter les parties, postuler et plaider devant les juridictions et les organismes juridictionnels ou disciplinaires de quelque nature que ce soit, sous réserve des dispositions régissant les avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation » ; article 6 prévoit expressément que les avocats peuvent assister et représenter autrui devant les administrations publiques. Nous pouvons mentionner également l’article 202-1 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 qui vise la représentation ou la défense d’un client par l’avocat devant les autorités publiques. Le juge constitutionnel rappelle que la garantie des droits proclamée par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 implique notamment le droit à l’assistance effective de l’avocat (Cons. const. 30 juill. 2010, n° 2010-14/22 QPC, AJDA 2010. 1556 ; D. 2010. 1928, entretien C. Charrière-Bournazel ; ibid. 1949, point de vue P. Cassia ; ibid. 2254, obs. J. Pradel ; ibid. 2696, entretien Y. Mayaud ; ibid. 2783, chron. J. Pradel ; ibid. 2011. 1713, obs. V. Bernaud et L. Gay ; AJ pénal 2010. 470, étude J.-B. Perrier ; Constitutions 2010. 571, obs. E. Daoud et E. Mercinier ; ibid. 2011. 58, obs. S. de La Rosa ; RSC 2011. 139, obs. A. Giudicelli ; ibid. 165, obs. B. de Lamy ; ibid. 193, chron. C. Lazerges ; RTD civ. 2010. 513, obs. P. Puig ; ibid. 517, obs. P. Puig ). Par ailleurs, le Juge du Palais Royal a rappelé que la liberté d’aller et venir comporte le droit de se déplacer et constitue une liberté fondamentale CE, ord., 9 janv. 2001, n° 228928, Deperthes, Lebon ).

L’avocat est un marqueur de l’effectivité de l’État de droit dans une société démocratique : le niveau de la liberté d’action et de parole qui lui est reconnue et la protection dont il bénéficie pour exercer sa mission sont des garanties pour les libertés publiques et individuelles. En l’espèce, l’arrêté d’interdiction pris par le préfet du Val-d’Oise aboutissait à interdire à la requérante à ne pas pouvoir assurer la mission essentielle pourtant reconnue légalement et conventionnellement à un avocat, celle d’assister ses clients dans leurs démarches face à une autorité publique. À juste titre, le juge des référés a considéré en l’espèce que le libre exercice de la profession d’avocat, qui implique nécessairement une mission d’assistance et de conseil, et le droit pour un administré d’être accompagné par un avocat dans ses démarches, constituent des libertés fondamentales. En effet, le préfet ne pouvait, sans entraver gravement l’exercice de la profession d’avocat, décider de manière discrétionnaire de l’utilité de la présence d’un avocat en fonction de la complexité supposée du dossier. Si cela était possible, l’État de droit n’existerait plus puisqu’il se caractérise par la possibilité de permettre à toute personne de faire valoir ses droits, peu importe les circonstances de crise, de temps et de lieu. La décision attaquée aboutissait à nier totalement les droits non seulement garantis à tout avocat mais également ceux que possèdent toute personne désirant bénéficier de l’assistance d’un conseil formé. L’interdiction faite à Mme A. d’accéder aux locaux de la sous-préfecture de Sarcelles a porté une atteinte grave et manifestement illégale au libre exercice de la profession d’avocat et au droit des administrés d’être accompagnés lors de leurs démarches et de pouvoir accéder aux locaux de la sous-préfecture de Sarcelles. À relever l’intervention volontaire pertinente de l’Ordre des avocats du Barreau du Val-d’Oise et du Syndicat des Avocats de France.