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Article
Les limites de l’indivision choisie : exclusion des dépenses d’acquisition
Les limites de l’indivision choisie : exclusion des dépenses d’acquisition
L’article 815-13 du code civil ne s’applique pas aux dépenses d’acquisition. Un époux séparé de biens qui finance, par un apport de ses deniers personnels, la part de son conjoint dans l’acquisition d’un bien indivis peut invoquer à son encontre une créance évaluable selon l’article 1543 du code civil.
par Quentin Guiguet-Schieléle 15 juin 2021
L’indivision est un régime de propriété initialement conçu comme temporaire (nul n’est tenu d’y demeurer) mais qui a progressivement évolué vers une certaine pérennité (gestion facilitée, partages partiels, conventions d’indivision, etc.). Dans la pratique il n’est donc pas rare que l’indivision soit choisie et non subie, c’est-à-dire que l’entrée en indivision se réalise par une acquisition onéreuse, souvent un achat immobilier. C’est cette discordance entre le droit et la pratique de l’indivision qu’illustre l’arrêt rendu ce 26 mai 2021, dont il faut surtout retenir que l’article 815-13 du code ne s’applique pas aux dépenses d’acquisition.
Le champ d’application de l’article 815-13 du code civil
En l’espèce, deux époux mariés sous le régime de la séparation de biens avaient réalisé deux acquisitions immobilières pendant leur mariage, dont l’une en indivision. L’épouse avait financé la part de son conjoint dans l’immeuble indivis et payé la soulte mise à la charge de celui-ci pour l’acquisition d’un immeuble qui lui était personnel. Au décès de cette généreuse contributrice ses trois enfants, issus d’une précédente union, sollicitèrent et obtinrent la reconnaissance de deux créances au titre du financement des immeubles. Le succombant forma un pourvoi en cassation et reprocha notamment à la cour d’appel de Rennes de l’avoir condamné personnellement alors que, selon l’article 815-13 du code civil, l’indemnité aurait dû être fixée contre l’indivision s’agissant du financement de l’immeuble indivis.
La Cour de cassation rejette le pourvoi après avoir retracé la teneur de l’article 815-13 du code civil et énoncé de manière pour le moins tranchante que « ce texte ne s’applique pas aux dépenses d’acquisition » (§ 11). Elle en déduit qu’un époux séparé de biens qui finance, par un apport de ses deniers personnels, la part de son conjoint dans l’acquisition d’un bien indivis peut invoquer à son encontre une créance évaluable selon les règles auxquelles renvoie l’article 1543 du code civil (§ 12).
Cette décision fera assurément parler d’elle. Jusqu’à présent, la Cour de cassation ne s’était pas trop embarrassée de distinctions et avait reconnu qu’une dépense d’acquisition d’un bien indivis était régie par l’article 815-13 du code civil (Civ. 1re, 26 sept. 2012, n° 11-22.929, Dalloz actualité, 11 oct. 2012, obs. J. Marrocchella ; D. 2012. 2307 ; AJ fam. 2012. 564, obs. P. Hilt ; RTD civ. 2012. 766, obs. B. Vareille ; ibid. 767, obs. B. Vareille ; Gaz. Pal. 2013, n° 54, p. 28, n° 119n7 obs. G. Dumont ; ibid. 5 janv. 2013, n° 2-5, p. 21, n° 112a0, obs J. Casey ; RJPF 2013/2, p. 21, obs. F. Vauvillé ; 14 oct. 2009, n° 08-17.943, AJ fam. 2010. 90, obs. P. Hilt ; LPA 2010, n° 248, p. 5, obs. A. Chamoulaud-Trapiers). Une telle position semblait logique pour certains (F. Vauvillé, note préc.) car la Cour avait déjà reconnu que le remboursement d’un emprunt destiné à l’acquisition d’un bien indivis entre dans le champ d’application de ce texte (Civ. 1re, 7 juin 2006, n° 04-11.524, Bull. civ. I, n° 284 ; D. 2006. 1913 ; AJ fam. 2006. 326, obs. S. David ; JCP 2006. I. 193, n° 23, obs. A. Tisserand-Martin ; 21 oct. 1997, n° 95-17.277, inédit ; 20 avr. 2017, n° 16-15.865, inédit ; 4 mars 1986, n° 84-15.071, Bull. civ. I, n° 51 ; 11 mai 2012, n° 11-17.497, Bull. civ. I, n° 106 ; D. 2012. 1330 ; AJ fam. 2012. 414, obs. P. Hilt ; RTD civ. 2012. 561, obs. B. Vareille ). Cependant cette dernière solution s’expliquait par la nature du remboursement d’un prêt, qui peut sans trop d’artifice être rattaché à la catégorie des dépenses de conservation visés par le texte.
D’autres auteurs avaient noté que l’application de l’article 815-13 aux dépenses d’acquisition correspondait à une lecture extensive du texte (B. Vareille, note préc., qui évoque un « visa audacieux »). Il n’en résultait pas moins une homogénéité appréciable entre les solutions (G. Dumont, note préc.), qui paraît aujourd’hui menacée. Il est fort probable en effet que la Cour de cassation maintiendra sa solution relative au remboursement de l’emprunt (i.e. : une dépense de conservation régie par l’art. 815-13 c. civ.), hypothèse qui devra à l’avenir être soigneusement distinguée de celle du paiement « direct » du prix de vente (ie : une dépense d’acquisition étrangère à l’art. 815-13 c. civ.). Une telle distinction n’est pas sans rappeler celle qu’opère la Cour à propos de la contribution aux charges du mariage : le remboursement de l’emprunt immobilier relatif à un bien affecté à l’usage familial participe de l’obligation contributive, mais non l’apport en capital (Civ. 1re, 17 mars 2021, n° 19-21.463 FS-P, Dalloz actualité, 31 mars 2021, obs. Q. Guiguet-Schielé ; D. 2021. 631 ; ibid. 819, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; AJDI 2021. 383 ; AJ fam. 2021. 314, obs. J. Casey ; 3 oct. 2019, n° 18-20.828 FS-P+B+I, Dalloz actualité, 22 oct. 2019, obs. M. Cottet ; D. 2020. 60 , note B. Chaffois ; ibid. 901, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; ibid. 2206, obs. S. Godechot-Patris et C. Grare-Didier ; AJ fam. 2019. 604, obs. J. Casey ; RTD civ. 2019. 913 et les obs. ).
La solution est exempte de critique, car la Cour a suivi et respecté le texte qui n’évoque jamais le cas des dépenses d’acquisition. Les conséquences pourtant ne sont pas négligeables. L’espèce donnait à voir la moindre d’entre elles : l’indemnité liée à une dépense d’acquisition n’est pas inscrite au compte de l’indivision et peut être fixée directement contre l’époux débiteur.
L’arrêt laisse aussi entrevoir une autre implication : les modalités d’évaluation de la créance diffèrent dans les deux cas. L’évaluation d’une créance entre époux séparés de biens est soumise à l’article 1543 du code civil, qui renvoie à l’article 1479 du code civil, qui renvoie lui-même à l’article 1469, mais uniquement pour l’alinéa 3 (pourquoi faire simple ?). Il en résulte que le principe doit être puisé dans le droit commun (la créance est égale au nominal de la dépense) et l’exception dans le droit spécial des récompenses (la créance est égale au profit subsistant si celui-ci est supérieur à la dépense faite). Autrement dit, selon une formule simple qui gagnerait à être inscrite dans les textes, une créance entre époux est égale à la plus forte des deux sommes entre la dépense au nominal et le profit subsistant. En revanche, une créance contre une indivision doit, si l’on décrypte sans erreur l’article 813-13 du code civil, être évaluée selon le profit subsistant s’il existe (« ce dont la valeur du bien se trouve augmentée »), et selon le nominal de la dépense si celle-ci n’a pas amélioré le bien, le tout sous réserve du pouvoir d’équité confié au juge. Autant dire qu’en pratique la différence peut être sérieusement relativisée.
Une plus grave conséquence doit être envisagée quoique l’arrêt n’en dise rien. La Cour de cassation exclut ici les dépenses d’acquisition de l’article 815-13 du code civil dans son ensemble. Or ce texte ne contient pas uniquement des règles d’évaluation d’une créance contre l’indivision : il permet surtout d’en déterminer l’existence. Seules les dépenses d’amélioration et de conservation ouvrent droit à remboursement au profit de l’indivisaire. Autrement dit, il faut chercher ailleurs le fondement du droit à remboursement des dépenses d’acquisition.
Lorsque les indivisaires sont des époux soumis à un régime séparatiste, les juges reconnaissent aisément l’existence d’une créance. Pourtant le fondement exact d’un tel droit à remboursement demeure incertain. Il n’existe pas en effet, en régime séparatiste, d’équivalent aux articles 1433 et 1437 qui énoncent expressément les cas dans lesquels une récompense est due. Il faudrait donc, en théorie et pour bien faire, chercher dans le droit commun le fondement du droit à remboursement. Une telle recherche est également nécessaire lorsque les parties ne sont pas mariées. Les possibilités ne manquent pas : enrichissement injustifié, subrogation légale, prêt implicite, accession immobilière…
Il n’en demeure pas moins que la situation du solvens est rendue plus complexe. Il ne sera pas toujours évident de lui faire comprendre que, s’agissant d’un même bien, donc d’une seule opération d’acquisition immobilière, la partie du prix payée comptant et celle financée au moyen d’un emprunt obéissent à des règles différentes… qui aboutissent souvent au même résultat. Peut-être est-il temps de remettre les choses à plat et de travailler à un nouveau régime simplifié des créances et récompenses. Car en définitive, quelle que soit la terminologie employée, il est toujours question de choisir entre dépense faite et profit subsistant en ménageant les intérêts de chacun. Les distinctions, trop nombreuses, ne se justifient peut-être plus.
En attendant une simplification du droit des créances conjugales, la Cour de cassation serait bien inspirée de revenir sur sa jurisprudence relative au remboursement des emprunts destinés à l’acquisition (Civ. 1re, 7 juin 2006, n° 04-11.524, préc.). Ces dépenses sont certes nécessaires, et dans une certaine mesure conservatoires, mais elles consistent avant tout en une dépense d’acquisition puisque l’emprunt est un mode de financement. D’ailleurs, dans les régimes communautaires, la récompense qui en résulte est égale au profit subsistant calculé d’après la valeur du bien (Civ. 1re, 25 mai 1992, n° 90-18.931, Bull. civ. I, n° 155 ; 5 nov. 1985, Bull. civ. I, n° 284). L’on comprend mal que le droit des récompenses traite le remboursement de l’emprunt immobilier comme une dépense d’acquisition alors que le droit de l’indivision l’envisage comme une simple dépense de conservation. Cette qualification est en réalité opportuniste : elle permet de justifier l’application de l’article 815-13 du code civil à une situation en considération de laquelle il n’a pas été conçu. C’est là une tension entre le droit de l’indivision subie et la pratique de l’indivision choisie.
L’exigibilité et la prescription de la créance successorale
Le demandeur au pourvoi faisait aussi valoir que les créances détenues par l’épouse au titre des investissements immobiliers étaient susceptibles de prescription, ce qui aurait dû conduire la cour d’appel à retenir l’irrecevabilité des demandes. Selon le premier moyen du pourvoi, le recouvrement d’une créance entre époux peut être poursuivi avant tout partage (§ 8, deuxième branche) et la créance à l’encontre de l’un des copartageants relatifs à un bien indivis est exigible avant la clôture des opérations de partage dans la succession (§ 8, troisième branche). Par ailleurs, s’agissant du bien dont il avait la propriété personnelle, le demandeur rappelait que le règlement des créances entre époux ne constitue pas une opération de partage (§ 4, première branche).
La Cour de cassation rejette ces arguments. Que le bien financé ait été indivis entre les époux ou qu’il soit demeuré la propriété personnelle du débiteur importe peu. Dans les deux cas il doit être fait application de l’article 865 du code civil selon lequel « sauf lorsqu’elle est relative aux biens indivis, la créance de la succession à l’encontre de l’un des copartageants n’est pas exigible et ne peut se prescrire avant la clôture des opérations de partage ». Le moyen est donc rejeté.
L’article 865 du code civil est le support nécessaire du mécanisme du rapport des dettes successorales énoncé à l’article 864 du même code (codification d’une solution jurisprudentielle, Civ. 1re, 30 juin 1998, n° 96-13.313, Bull. civ. I, n° 234 ; D. 1998. 192 ; RTD civ. 1999. 161, obs. J. Patarin ). Les créances que détient la succession contre un héritier se règlent en moins prenant et par imputation sur sa part. Elles doivent donc entrer en compte et leur recouvrement ne saurait être exigé de manière séparée aux opérations de liquidation successorale. En conséquence, la prescription ne peut être acquise avant la clôture des opérations de partage.
La solution se comprend aisément à propos du bien dont le conjoint survivant avait la propriété personnelle, puisqu’il n’était pas indivis. Elle est moins convaincante s’agissant de l’immeuble devenu indivis entre époux suite à l’acquisition. Dans ce cas en effet le bien entre dans l’indivision successorale puisque le de cujus en détenait une quote-part. La Cour de cassation approuve pourtant la cour d’appel d’avoir retenu que la créance n’était pas relative à des droits dépendant de l’indivision successorale. Une frontière est ainsi clairement instaurée entre l’indivision et la créance de la succession, qui est pourtant née de l’acquisition d’un bien dépendant en partie de la succession… donc de l’indivision !
Cette solution s’explique probablement par le fondement du droit à remboursement : ne résultant pas de l’application de l’article 815-13 du code civil, la créance ne peut être considérée comme relative à des droits dépendant de la succession. Où l’on constate le retour de la Cour de cassation à une doctrine qui fut un temps la sienne : la dépense d’acquisition ayant eu lieu, par hypothèse, avant que naisse l’indivision qu’elle rend possible, elle se trouve déconnectée de celle-ci (Civ. 1re, 22 juill. 1985, n° 84-14.173, Bull. civ. I, n° 234 ; JCP N 1986. II. 77, note P. Simler ; Defrénois 1986. 1476, obs. G. Champenois ; sur l’ensemble de la question, S. David, Le contentieux liquidatif de la séparation de biens, AJ fam. 2010. 206).
L’absence de contribution aux charges du mariage
Pour finir, et de manière désormais classique, la Cour de cassation balaye le 2e moyen du pourvoi selon lequel les sommes payées par l’épouse relevaient de la contribution aux charges du mariage excluant toute possibilité d’en solliciter la répétition. L’on sait en effet désormais que l’apport en capital ne participe pas de l’obligation des époux de contribuer aux charges du mariage (v. arrêts préc.). La cour d’appel n’était donc pas tenue de déterminer la portée de la clause de présomption de contribution quotidienne que les époux avaient inséré dans leur contrat de mariage.
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