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Liquidation d’une astreinte et mesure d’instruction in futurum en référé

Après la saisine d’un juge de l’exécution (JEX) en liquidation d’une astreinte, une partie ne peut plus demander, en référé, une mesure d’instruction in futurum afin d’établir la preuve de faits dont l’issue du litige à trancher par le juge de l’exécution pourrait dépendre.

par Elisabeth Botrelle 11 avril 2019

Si les hypothèses classiques du référé sont l’urgence et l’évidence, elles ne sont pas exclusives et il ne faut pas omettre les autres cas d’ouverture notamment celui envisagé à l’article 145 du code de procédure civile permettant, pour motif légitime, de recueillir une mesure d’instruction avant tout procès. Tout intéressé peut, en effet, demander en référé (ou sur requête) mais avant tout procès au fond, une mesure d’instruction en vue de la solution d’un litige « s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige […] » (C. pr. civ., art. 145). Il s’agit de mesures d’instruction in futurum, qui consistent la plupart du temps en des demandes d’expertise ; la pratique parle alors de référé-expertise, d’ailleurs très sollicité dans certains types de contentieux et notamment en construction. Ces mesures d’instruction in futurum de l’article 145 se caractérisent par le fait qu’elles ne peuvent être ordonnées qu’avant tout procès. Cette exigence d’antériorité impose donc qu’aucun juge n’ait été saisi au fond du litige en vue duquel la mesure est sollicitée (par ex., concernant cette condition de recevabilité de la demande tributaire de la date de saisine du juge du provisoire, Civ. 2e, 5 juin 2014, n° 13-19.967, Bull. civ. II, n° 128 pour un juge des requêtes). La question peut alors se poser de savoir si la saisine d’un juge de l’exécution dans une instance en liquidation d’une astreinte empêche l’intéressé - susceptible d’en devoir payer le montant - de saisir postérieurement, en référé, le juge d’une demande d’expertise qui aurait pu permettre d’établir l’inutilité, l’évolution ou l’inadaptation de la décision assortie de l’astreinte et portant condamnation. C’est le cœur du problème posé dans cet arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 21 mars 2019 et publié au Bulletin.

Dans cette espèce, un propriétaire avait été condamné sous astreinte en première instance ainsi qu’en appel à supprimer un mur de clôture ainsi qu’un remblai, édifiés à la limite de son terrain ; ses voisins, un couple d’époux, avaient subi des inondations en raison de ces réalisations. Après presque trois ans sans que le propriétaire condamné à cette déconstruction ne s’y soumette, le couple d’époux avait présenté à un juge de l’exécution une demande en liquidation de l’astreinte. Très peu de temps après la saisine du juge de l’exécution, le propriétaire condamné à la destruction assigne en référé ce couple aux fins de voir ordonner une expertise pour faire constater que des travaux entrepris (notamment par la commune du lieu du litige) depuis l’arrêt d’appel confirmatif, avaient fait cesser les désordres. Pour ce propriétaire, ces nouveaux travaux d’aménagement de voirie permettaient désormais d’éviter toute inondation trouvant sa cause dans les réalisations litigieuses. La mesure in futurum – qu’il sollicitait donc devant le juge des référés sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile – aurait pu permettre de l’établir. Pour autant, l’ordonnance rendue en référé ainsi que l’arrêt d’appel n’avaient pas fait droit à sa demande d’expertise. Entre temps, le juge de l’exécution avait accordé la liquidation de l’astreinte au profit du couple d’époux (décision ayant également fait l’objet d’un recours de la part du propriétaire condamné à son paiement).

Le présent arrêt de la Cour de cassation examine le pourvoi formé contre l’arrêt d’appel ayant refusé de faire droit à la demande d’expertise. Pour les juges d’appel, puisqu’une procédure au fond devant le juge de l’exécution concernant la liquidation de l’astreinte était en cours, toute demande de mesure in futurum fondée sur l’article 145 du code de procédure civile ne pouvait aboutir. Le pourvoi conteste donc cette solution et, dans ses grandes lignes, considère que la saisine du juge de l’exécution ne constituait pas un obstacle à la mise en œuvre d’une mesure d’instruction in futurum. Pour le pourvoi, la saisine du juge de l’exécution en liquidation de l’astreinte, tout comme l’appel formé contre son ordonnance, ne réalisaient pas de procédure au fond de nature à fermer une demande d’expertise fondée sur l’article 145. Le pourvoi soulève également que l’autorité de la chose jugée ne pouvait être opposée lorsque des événements postérieurs avaient modifié la situation antérieurement reconnue en justice.

Pour autant, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le propriétaire condamné en indiquant tout d’abord qu’une « instance en liquidation d’une astreinte pendante devant un juge de l’exécution fait obstacle à ce qu’une partie saisisse un juge des référés, sur le fondement de l’article 145 […], pour solliciter une mesure d’instruction destinée à établir la preuve de fait dont pourrait dépendre l’issue du litige pendant devant le juge de l’exécution ». Une mesure d’instruction in futurum ne peut être ordonnée que si une instance au fond n’a pas été engagée, ce qui avait été pourtant le cas avec la saisine du juge de l’exécution en liquidation de l’astreinte. C’est pourquoi, la Cour approuve l’arrêt d’appel ayant considéré que l’instance en liquidation faisait obstacle à ce qu’une expertise soit ordonnée en référé. Ainsi, la Cour de cassation valide l’arrêt d’appel en excluant toute privation de base légale ou encore toute violation des articles 1355 du code civil et 480 du code de procédure civile relatifs à l’autorité de chose jugée.

Tout en étant dans la lignée de la position jurisprudentielle antérieure, l’arrêt présente un intérêt en précisant la nature de l’instance devant le juge de l’exécution en matière de liquidation d’une astreinte. Puisque la condition de recevabilité d’une mesure d’instruction in futurum fait ici défaut, il semble que la Cour de cassation estime qu’elle n’a pas à répondre à la question de l’autorité de la chose jugée de la décision lorsqu’une partie soulève l’existence de faits nouveaux.

Nature de l’instance devant le juge de l’exécution en matière de liquidation d’astreinte.

Comme indiqué, dès lors qu’une instance au fond est engagée, un plaideur ne peut plus solliciter en référé une mesure d’instruction in futurum, comme le précisent l’article 145 du code de procédure civile et la jurisprudence l’interprétant (Civ. 2e, 2 avr. 1990, n° 88-20.014, Bull. civ. II, n° 69 ; 24 oct. 1990, n° 89-16.125, Bull. civ. II, n° 216). L’intérêt de l’arrêt est alors d’énoncer que la saisine du juge de l’exécution en liquidation d’une astreinte, dès lors que la mesure pourrait avoir une incidence sur la manière dont le juge de l’exécution trancherait, constitue une instance au fond et rend par conséquent irrecevable la demande d’expertise. On le sait, en pratique, plusieurs instances sont fréquemment engagées à propos de la même affaire ; ainsi, une espèce peut donner lieu à une instance en référé d’une part et à une instance au fond, d’autre part. Bien que portant sur la même affaire, les instances sont néanmoins bien distinctes. À titre d’illustration, l’instance au fond qui suit un référé-expertise ne constitue pas la continuation de celle-ci, « le contentieux est certes le même, mais l’instance ayant conduit à la désignation d’un expert a pris fin le jour de cette nomination et l’instance au fond ne commence pas ce jour-là mais le jour où une assignation au fond sera lancée » (C. Chainais, F. Ferrand, L. Mayer et S. Guinchard, Procédure civile, 34e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2018, spéc. n° 427, p. 335). L’article 145 du code de procédure civile a pour finalité de servir « un objectif d’anticipation efficace » (I. Desprès, Les mesures d’instruction avant tout procès : plaidoyer pour une anticipation efficace, RTD com. 2016. 657 ) : le procès au fond n’est, à ce stade, qu’éventuel et le plaideur souhaite seulement se pré-constituer une preuve qu’il pourra, au besoin, utiliser plus tard dès lors qu’un motif légitime existe. Mais dès lors que le procès au fond est initié, la logique préventive ou d’anticipation tombe nécessairement. En l’espèce, la demande d’expertise sollicitée aurait pu permettre d’établir « la preuve de fait dont pourrait dépendre l’issue du litige pendant devant le juge de l’exécution », comme l’indique la Cour de cassation. L’instance au fond étant initiée, la demande d’expertise in futurum n’était plus recevable. Mais au-delà de cette solution somme toute classique, l’arrêt rendu invite aussi à se questionner sur les pouvoirs du juge de l’exécution chargé de la liquidation d’une astreinte, notamment parce que l’espèce interroge sur la stratégie retenue par le propriétaire condamné à la démolition et au paiement de l’astreinte. Aurait-on pu envisager que le juge de l’exécution saisi de la demande en liquidation de l’astreinte puisse rendre un jugement avant dire droit, après avoir reçu une demande d’expertise du propriétaire susceptible d’être condamné au versement de cette astreinte, pour apprécier éventuellement l’opportunité du versement de cette mesure ? Pourquoi a-t-il plutôt fait le choix de la saisine du juge des référés d’une demande de mesure d’instruction in futurum ? Pour y répondre, il faut rappeler l’étendue des pouvoirs du juge liquidateur.

Il est tout d’abord de jurisprudence constante qu’il incombe au juge saisi de la liquidation d’une astreinte d’interpréter la décision qui l’a ordonnée lorsque cela s’avère nécessaire compte tenu des imprécisions des obligations imposées au débiteur par la décision de condamnation (Civ. 2e, 3 avr. 2008, n° 07-10.949, Procédures 2008, n° 6, comm. n° 171, note R. Perrot ; 11 mars 2010, n° 09-13.636, Bull. civ. II, n° 51 ; Procédures 2010, n° 5, comm. n° 174, obs. R. Perrot ; D. 2011. 1509, obs. A. Leborgne ). Pour autant, il n’entre pas dans ses pouvoirs de se substituer à la décision ayant prononcé l’astreinte pour en apprécier l’opportunité (Civ. 2e, 17 déc. 2009, n° 07-17.719, Procédures 2010, n° 2, comm. n° 28, obs. R. Perrot ; D. 2010. 1307, obs. A. Leborgne ). On sait aussi qu’une astreinte doit être motivée et, pour l’astreinte provisoire, son montant sera liquidé en tenant compte du comportement de la partie devant la supporter et de ses éventuelles difficultés pour exécuter ses obligations (C. pr. exéc., art. L. 131-4, al. 1er). Le code des procédures civiles d’exécution prévoit également qu’une astreinte (provisoire ou définitive) peut être supprimée, en tout ou en partie, si l’inexécution ou le retard dans l’exécution s’expliquent par une cause étrangère (C. pr. ex., art. L. 131-4, al. 3). Les articles du code des procédures civiles d’exécution et la jurisprudence encadrent donc l’intervention du juge de l’exécution quant aux possibilités de réduire ou de supprimer une astreinte dans une instance en liquidation : d’une part, une astreinte provisoire peut être révisée en fonction du comportement personnel de son débiteur et d’autre part, le montant d’une astreinte peut aussi être supprimé si l’inexécution est imputable à une cause étrangère. Dans ces deux hypothèses, rien n’empêche le juge de l’exécution de rendre en cours d’instance un jugement avant dire droit pour ordonner ou une expertise sollicitée, par exemple, par le débiteur pour s’assurer ou pour établir de tels faits et autres difficultés insurmontables, avant qu’il ne rende un jugement quant à la liquidation. Les dispositions des jugements avant dire droit qui ordonnent une mesure d’instruction font partie des dispositions communes à toutes les juridictions dans le code de procédure civile (C. pr. civ., art. 482). Mais dans cette espèce, le débiteur n’a pas soulevé d’éventuelles difficultés d’exécution dans la déconstruction des réalisations ; il soulevait uniquement l’existence de travaux réalisés par un tiers (dans cette affaire, la commune). Néanmoins, il nous semble qu’il était somme toute assez difficile de retenir dans cette espèce l’existence d’une cause étrangère, c’est-à-dire un événement extérieur au débiteur qu’il ne pouvait anticiper ou prévoir (sur la nécessité pour le juge de relever que les circonstances constituaient une cause étrangère, v. par ex., Civ. 2e, 18 sept. 2003, n° 01-17.769, Bull. civ. II, n°278).

Il se dégage donc de la solution de la Cour de cassation que l’instance devant le juge de l’exécution liquidateur est une instance au fond, ce que contestait le pourvoi. Certes, comme semblait soutenir le pourvoi, la notion de liquidation semble, de prime abord, évoquer une opération assez mathématique consistant « à chiffrer le montant d’une obligation dont le principe n’est pas contesté et [semblant laisser] une marge d’appréciation assez réduite » ; pour autant, c’est oublier tout d’abord que les règles que nous venons de rappeler tendent « à donner des pouvoirs plus étendus au juge compétent pour liquider l’astreinte » (J.-Cl. Voies d’exécution, Astreintes. Liquidation, par Y. Desdevises, fasc. n° 221, 2017, spéc. n° 16). Le juge de l’exécution statuant sur la liquidation d’une astreinte motive sa décision particulièrement quant à la constatation de l’inexécution de l’obligation principale et du comportement du débiteur pour la liquidation de l’astreinte provisoire et cela même si le principe de l’astreinte a pu être ordonné dans une décision précédente, rendue par une autre juridiction. Ensuite et surtout, une instance au fond n’est pas tributaire de l’étendue des pouvoirs du juge ou de sa motivation mais aboutit à une décision ayant autorité de la chose jugée (C. pr. civ., art. 480 dans une section intitulée « les jugements sur le fond »).

Faits nouveaux et autorité de la chose jugée

Si le pourvoi contestait la nature de l’instance devant le juge de l’exécution en matière de liquidation d’une astreinte, il soulevait également que l’autorité de la chose jugée ne pouvait être opposée pour refuser sa demande d’expertise in futurum en raison de la modification de la situation factuelle (en raison de travaux accomplis par la commune). La Cour de cassation rejette également cette argumentation mais en procédant davantage par affirmation. Dès lors que la mesure d’instruction in futurum n’était pas recevable en raison de l’introduction d’une instance au fond devant le juge liquidateur, il semble que la Cour estime ne pas devoir s’exprimer plus particulièrement sur la question des faits nouveaux et de l’autorité de la chose jugée. Au-delà du silence de la Cour sur ce point, il nous semble que cette piste était également délicate à explorer pour le demandeur au pourvoi.

On sait que l’autorité de la chose jugée, dans son approche négative portant interdiction de remettre en cause la chose déjà jugée en tant qu’application du principe traditionnel non bis in idem, est subordonnée à la vérification de trois conditions cumulatives. Le juge ne peut statuer de nouveau sur une affaire présentant une identité d’objet, de cause et de parties avec une espèce antérieurement jugée (C. civ., art. 1355). L’identité de cause plus particulièrement correspond au « pourquoi de la demande, ce sur quoi elle est fondée » (C. Chainais, F. Ferrand, L. Mayer et S. Guinchard, Procédure civile, op. cit., spéc. n° 1167, p. 815). Une fin de non-recevoir sera opposée lorsque les faits ayant servi de fondements lors de la première décision sont identiques. En revanche, dès lors que des faits nouveaux sont soulevés, ils pourraient autoriser l’ouverture d’un nouveau procès. Tel est ainsi le cas lorsque des événements, des faits matériels nouveaux sont apparus et ont modifié la situation reconnue dans la précédente décision. La Cour de cassation a pu accepter, dans certaines circonstances, de reconnaître le fait nouveau (Civ. 2e, 6 mai 2010, n° 09-14.737, Bull. civ. II, n° 88, Procédures 2010, n° 7, comm. n° 283, obs. J. Junillon ; D. 2010. 1291 ; RTD civ. 2010. 615, obs. R. Perrot ; Civ. 3e, 14 nov. 2012, n° 11-21.901, RTD civ. 2013. 175, obs. R. Perrot ) tout en le refusant également dans d’autres cas (Civ. 3e, 20 janv. 2010, n° 08-70.206, Bull. civ. III, n° 17 ; AJDI 2010. 396 ; Civ. 1re, 16 avr. 2015, n° 14-13.280, Bull. civ. I, n° 95). S’il est possible de demander qu’une affaire soit réexaminée en justice en arguant de l’apparition d’un fait nouveau, le succès d’une telle demande demeure très aléatoire, en raison notamment d’une réticence légitime des juges à ouvrir de nouveau un litige considéré comme tranché. Cela porterait une atteinte grave à la sécurité juridique que le justiciable est en droit d’attendre d’une décision à l’encontre de laquelle toutes les voies de recours sont fermées.

Si une partie réussit néanmoins à présenter un élément nouveau, une mesure d’instruction in futurum sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile pourrait aussi être sollicitée auprès du juge des référés, tant qu’une procédure au fond n’a pas été engagée. Certes, l’autre partie soulèverait très probablement la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée et celle-ci devra être tranchée (les fins de non-recevoir tirées de la chose jugée sont aussi opposables en référé, Civ. 2e, 10 mars 2005, n° 02-20.513, Bull. civ. II, n° 60 ; D. 2005. 1053 ; RTD civ. 2006. 142, obs. P. Théry ). Or, le caractère nouveau d’un événement de nature à permettre d’écarter une fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée ne peut résulter « de ce que la partie qui l’invoque [a] négligé d’accomplir une diligence en temps utile » (Civ. 2e, 25 juin 2015, n° 14-17.504, Bull. civ. II, n° 6 ; Civ. 1re, 19 sept. 2018, n° 17-22.678, publié au Bulletin ; D. 2018. 2347 , note J. Jourdan-Marques ; AJ fam. 2019. 51, obs. J. Casey ). Or, rappelons que dans l’espèce commentée, le propriétaire condamné était resté passif et n’avait pas procédé à la démolition du mur (ordonnée en 2013 et confirmée en appel en 2014 alors que les travaux de la ville qu’il soulevait n’avaient été menés que courant 2015). À cet égard, l’argumentation du demandeur au pourvoi basée sur l’existence d’un fait nouveau semblait délicate pour permettre la cassation de l’arrêt d’appel.