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Location de véhicule : strict délai pour dénoncer le conducteur

Si la personne morale titulaire du certificat d’immatriculation ne connaît pas l’identité et l’adresse du conducteur responsable de l’infraction, l’article L. 121-6 du code de la route lui impose à tout le moins d’identifier la société locataire du véhicule concerné dans les quarante-cinq jours à compter de l’envoi ou de la remise de l’avis de contravention.

par Florian Engelle 30 septembre 2020

S’il est des sujets classiques en matière pénale, celui de l’existence de présomptions de culpabilité – opposées au principe directeur de présomption d’innocence – en fait nécessairement partie. L’exemple traditionnel est la présomption qui pèse sur le titulaire de la carte grise pour certaines infractions au code de la route commises au volant du véhicule dont il est propriétaire. Cette présomption est, en effet, posée par les articles 121-2 et suivants du code de la route qui prévoient la responsabilité « pécuniaire » (qui doit s’analyser, selon certains auteurs, comme une véritable présomption de culpabilité, v. S. Guinchard et J. Buisson, Procédure pénale, 12e éd., LexisNexis, 2019, n° 510) du titulaire du certificat d’immatriculation du véhicule pour différentes contraventions telles que le non-respect des règles de stationnement ou l’excès de vitesse. L’affaire ici rapportée concernait cette dernière catégorie d’infraction. En l’espèce, une société spécialisée dans la location de véhicule est poursuivie devant le tribunal de police pour non-transmission de l’identité et de l’adresse du conducteur du véhicule loué. Il s’avère que cette voiture avait été louée à une autre personne morale, que la personne physique qui la conduisait avait commis un excès de vitesse et que la société bailleresse n’avait pas transmis l’identité de l’auteur de l’excès de vitesse avant de comparaître devant le tribunal. Lui avait alors été reprochée l’infraction de non-transmission de l’identité et de l’adresse du conducteur prévue par l’article L. 121-6 du code de la route, infraction introduite par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle. Le tribunal de police avait déclaré la société coupable de cette infraction et un appel avait été interjeté tant par l’intéressée que par le ministère public. La cour d’appel avait alors confirmé la décision de première instance en condamnant la société à une amende de 450 € et cette dernière avait formé un pourvoi en cassation.

D’une possible exonération à une exonération imposée

Afin d’être conforme aux règles supralégislatives, une présomption de responsabilité ou de culpabilité ne doit – entre autres – pas être irréfragable (v. CEDH 7 oct. 1988, Salabiaku c. France, req. n° 10519/83 ; Cons. const. 19 juin 1999, n° 99-411 DC, AJDA 1999. 736 ; ibid. 694, note J.-E. Schoettl ; D. 1999. 589 , note Y. Mayaud ; ibid. 2000. 113, obs. G. Roujou de Boubée ; ibid. 197, obs. S. Sciortino-Bayart ). Ainsi, le code de la route permet au titulaire de la carte grise de se défaire de sa responsabilité dès lors qu’il démontre qu’il n’était pas le conducteur du véhicule lors de la commission de l’infraction. Pour ce faire, il doit se conformer aux délais émis par l’article 529-2 du code de procédure pénale qui prévoit que la requête en exonération doit être formée dans les quarante-cinq jours suivant la constatation de l’infraction. Une fois la dénonciation faite, le titulaire du certificat d’immatriculation transfère sa responsabilité au véritable auteur de l’infraction, conducteur du véhicule. Néanmoins, lorsqu’il s’agit d’une personne morale, la responsabilité pécuniaire de l’infraction repose en principe sur son représentant légal (v. not. Crim. 30 sept. 2009, n° 09-80.177, RTD com. 2010. 217, obs. B. Bouloc ; Dr. pénal 2009. Comm. 150, J.-H. Robert), sur qui pèse également pour certaines infractions et en vertu de l’article L. 121-6 du code de la route, l’obligation de dénoncer le conducteur personne physique responsable de l’infraction. Par mesure de cohérence, le législateur a circonscrit cette obligation de dénonciation dans le même délai que celui prévu pour la requête en exonération. Par ailleurs, si l’obligation de dénonciation édictée par l’article L. 121-6 du code de la route pèse sur la personne physique représentant légal de la personne morale (Crim. 2 mai 2018, n° 18-90.003, Dr. pénal 2018. Comm. 127, note J.-H. Robert), la responsabilité de la personne morale peut tout de même être recherchée au visa de l’article 121-2 du code pénal, puisque l’infraction est commise par un organe ou représentant (Crim. 11 déc. 2018, n° 18-82.631, D. 2019. 2320, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; AJ pénal 2019. 149 ; Rev. sociétés 2019. 407, note H. Matsopoulou ; 3 sept, 2019, n° 19-81.469, Dalloz actualité, 30 sept. 2019, obs. L. Jay ; D. 2019. 2320, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ). En l’espèce, la Cour de cassation devait se prononcer sur deux questions différentes : d’abord, la dénonciation réalisée pour la première fois devant le tribunal de police et à l’expiration du délai de quarante-cinq jours permet-elle d’écarter la qualification de non-transmission de l’identité du conducteur ? Ensuite, l’article L. 121-6 du code de la route visant expressément l’identification de la personne physique conduisant le véhicule, qu’en est-il lorsque le locataire du véhicule est également une personne morale et que la société bailleresse ne connaît pas l’identité du conducteur ?

Une dénonciation en temps et en heure

Il était reproché ici à la personne morale qui avait donné en location le véhicule dont elle était propriétaire de ne pas avoir transmis l’identité et l’adresse du conducteur. La société bailleresse reprochait aux juges du fond de l’avoir condamnée pour la contravention de non-transmission de l’identité du conducteur car cette infraction ne pouvait, d’après elle, être reprochée qu’à la société détentrice du véhicule au moment de l’infraction. Le moyen n’était pas dépourvu de sens puisque cet article vise en effet aussi bien la personne morale titulaire du certificat d’immatriculation que celle qui en est détentrice lors de la commission de la contravention. Quid de la situation, alors, dans laquelle une personne morale est titulaire du certificat d’immatriculation et une autre en est la détentrice ? Sur qui pèse in fine l’obligation de dénonciation ? La Cour de cassation semble considérer, dans son premier attendu, que la lecture de l’article L. 121-6 permet de retenir aussi bien la responsabilité de l’une que celle de l’autre. La société mise en cause faisait ici valoir, pour la première fois devant le tribunal de police, l’existence d’un contrat de location afin de s’exonérer de sa responsabilité et de mettre à mal la qualification de non-dénonciation du conducteur personne physique dont l’identité lui était inconnue. C’était néanmoins sans compter sur le caractère impératif du délai de quarante-cinq jours imposé par le code de la route et rappelé par la Cour de cassation. Dans ses motifs, la Cour reconnaît en effet que « la prévenue n’a indiqué à l’autorité mentionnée sur l’avis, dans le délai imparti », l’identité et les coordonnées du conducteur. Au-delà de ce délai, l’infraction est constituée et la personne morale ne peut plus relever l’existence d’un contrat de location au profit d’une autre personne morale pour s’échapper de sa responsabilité.

La dénonciation d’une personne, qu’importe sa nature

Par ailleurs, et c’est là principalement que repose la solution de la Cour de cassation, la question de la personne à dénoncer se posait ici. Le véritable apport de cet arrêt réside en effet dans l’interprétation à donner de l’article L. 121-6 du code de la route. De la même manière que la Cour de cassation avait pu juger que, lorsque le locataire du véhicule était une personne morale, la lettre de l’article L. 121-3 du code de la route ne s’opposait pas à ce que la responsabilité pécuniaire repose sur la personne du représentant légal de celle-ci (Crim. 15 oct. 2019, n° 18-86.644, D. 2019. 1992 ; RTD com. 2019. 1025, obs. B. Bouloc Dr. pénal 2019. Comm. 199, obs. J.-H. Robert), elle use de nouveau ici d’un raisonnement téléologique afin de pallier les lacunes rédactionnelles du législateur. L’article L. 121-6 du code de la route ne vise que la transmission, par le représentant de la personne morale titulaire du certificat d’immatriculation, des informations permettant d’établir l’identité et l’adresse de la personne physique qui conduisait le véhicule. Or rien n’est dit lorsque l’identification de la personne physique est impossible et que le véhicule est loué par une personne morale. Dans le silence de la loi (et afin d’assurer la répression), la Cour de cassation précise donc qu’à défaut de pouvoir transmettre l’identité et l’adresse du conducteur personne physique, la personne morale titulaire du certificat d’immatriculation doit, pour répondre à son obligation de dénonciation, identifier au moins la personne morale locataire du véhicule et en fournir l’adresse. Aussi aurait-il fallu, pour la société bailleresse, dénoncer au minimum la société locataire, afin de transférer la responsabilité de la première à la seconde. Reste à savoir si, en pareille situation, le responsable de la société locataire pourrait s’exonérer en dénonçant à son tour le conducteur du véhicule personne physique. Une présomption en cascade serait ainsi créée, ne prenant fin que lorsque la chasse à la personne physique serait enfin achevée. A fortiori, la dénonciation (non prévue par les textes) d’une personne morale vers une autre personne morale entraîne-t-elle de facto le transfert de l’obligation de dénonciation de l’article L. 121-6, avec le départ d’un nouveau délai de quarante-cinq jours ? Ou le point de départ est-il le même pour les deux sociétés, alors qu’en tout état de cause, la société locataire n’était pas encore informée de la commission de l’infraction ? La société locataire pourrait-elle, dans ce cas, se voir reprocher la non-transmission de l’identité et de l’adresse du conducteur après la dénonciation de la société bailleresse ? Il faudra, dans le silence des textes, laisser à la jurisprudence le soin de préciser tout cela.