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Loi 3 DS : dispositions relatives au parc locatif privé

La loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale a été publiée au Journal officiel du 22 février. Focus sur les dispositions relatives au parc locatif privé.

Le 22 août 2021 était publiée la loi climat-résilience (L. n° 2021-1104), qui portait notamment un certain nombre de modifications du régime locatif privé. Le 22 février 2022, c’est au tour de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale (ci-après loi 3DS) d’être publiée au Journal officiel (L. n° 2022-217, 21 févr. 2022). Composée de neuf titres, son titre III, consacré à l’urbanisme et au logement regroupe une cinquantaine d’articles dont certains concernent une nouvelle fois la loi du 6 juillet 1989, d’une part, et complètent le mécanisme de l’encadrement des loyers, d’autre part (L. ELAN n° 2018-1021, art. 140). Si les dispositions de ce nouvel instrument législatif issu d’un accord obtenu en commission mixte paritaire ne contrevient pas à la loi n° 2021-1104 précitée, il n’en demeure pas moins que certains ont tenté – en vain – par un amendement n° 146 du 30 novembre 2021 présenté devant l’Assemblée nationale, de revenir sur une disposition phare de la loi climat-résilience, qui consistait à uniformiser les règles de décence énergétique sur tout le territoire national (v. AJDI 2021. 750 s., obs. P. de Plater). En effet, par cet amendement finalement rejeté, les auteurs ont souhaité territorialiser la décence énergétique, en permettant de fixer « un critère de performance énergétique minimale et un calendrier de mise en œuvre échelonnée plus exigeant », selon la situation climatique des différents territoires nationaux. Devant la même assemblée, un amendement n° 2363 du 2 décembre 2021 ayant pour objet de minorer de 10 % les loyers de logements de classe F ou G, pris au titre de l’article 17, II, de la loi du 6 juillet 1989 modifié par l’article 159 de la loi climat-résilience, a également été rejeté.

Les apports de la loi 3DS au regard du secteur locatif privé, sont condensés aux articles 85 à 88.

Encadrement des loyers en zone tendue : prolongation, information et précision (L. n° 2022-217, art. 85) – une réforme en quatre actes

L’article 85 de la loi 3DS contient un certain nombre de dispositions pérennisant et complétant le régime de l’encadrement en zone tendue. Aspects qui avaient en leur temps, pour certains d’entre eux, d’ores et déjà été évoqués dans les colonnes de cette revue (Dalloz actualité, 4 mars 2021, obs. Y. Rouquet).

Acte I : Prorogation de l’expérimentation et du délai de dépôt des candidatures

Tout d’abord, l’encadrement expérimental des loyers en zone tendue est prorogé de trois années, pour expirer le 23 novembre 2026 (art. 85, 1°), alors que l’expérimentation devait initialement expirer le 23 novembre 2023. Cet allongement nous paraît être une solution raisonnable, permettant d’évaluer « le dispositif avec le recul nécessaire […] eu égard notamment à la durée des baux » (étude d’impact, 22 juin 2021, p. 217), rappelant en effet que les baux concernés – à l’exception des baux mobilité et étudiant – sont d’une durée légale minimale située en une et six années, et tacitement reconductibles (L. n° 89-462, titre I et I bis ; v. cependant L. n° 89-462, art. 11).

La prorogation de l’expérimentation a pour corollaire la prorogation du délai de dépôt des candidatures, pour deux années complémentaires. Les collectivités peuvent désormais manifester leur intérêt jusqu’au 23 novembre 2022 (art. 85, 2°).

Acte II : Extension de la saisine de la commission départementale de conciliation

La compétence matérielle de la commission départementale de conciliation (CDC), mode non judiciaire de résolution des litiges, n’a de cesse de s’étendre. La représentation nationale a, dans le cadre de la loi 3DS, envisagé deux nouvelles extensions. La première, qui dépend d’un amendement n° 1936 finalement non soutenu, avait pour objectif de soumettre à la CDC les litiges relatifs « aux loyers impayés, aux occupations indues et à la jouissance paisible du bien », par modification de l’article 20 de la loi du 6 juillet 1989. Si l’on appréhende aisément la notion d’impayés locatifs – qui permet en somme de compléter la compétence actuelle de la CDC s’agissant du dépôt de garantie et des impayés de charges pour les biens loués vides (v., sur ce point, la différence de rédaction des articles 20 et 25-11 de la loi) –, il nous est difficile de déterminer ce qu’est une « occupation indue », alors que la loi évolue fréquemment s’agissant du traitement des squatteurs et que l’intervention de la CDC est susceptible de porter atteinte à la célérité revendiquée par les dernières réformes. S’agissant de « la jouissance paisible », néanmoins, la compétence de la CDC aurait pu paraître opportune, voire souhaitable, cette notion contraignant le bailleur, en pratique, à initier une procédure au fond, au détriment d’une procédure en référé.

Quant à lui, l’article 85, 3°, de la loi 3DS complète l’article III, A, de l’article 140 de la loi ELAN, et permet désormais au locataire de saisir la CDC pour tout différend relatif à la fixation du loyer d’un logement vide, à un montant supérieur au loyer de référence majoré, alors qu’aucun complément de loyer n’a été précisé au bail. Cependant, la terminologie de l’article 25-11 relatif aux baux meublés étant plus générale, cette possibilité était déjà offerte au locataire concerné (étude d’impact, op. cit., p. 218). Nous rappellerons enfin que la CDC n’est pas compétente pour les litiges afférents au bail mobilité (L. n° 89-462, art. 25-12).

En tout état de cause, l’on relèvera la complexité latente des différents mécanismes de contestation des loyers, qu’il s’agisse des autorités qu’il convient de saisir, ou des délais applicables (TJ paris, pôle civ. de prox., 9 nov. 2020, n° 11-20-006260, AJDI 2021. 525 , obs. P. de Plater  ; v. aussi Paris, pôle 4, ch. 4, 11 janv. 2022, n° 19/100726).

Acte III : Délégation des pouvoirs détenus par les préfets pour assurer le respect de l’encadrement en zone tendue

L’architecture normative de l’article 140 de la loi ELAN repose sur les pouvoirs du préfet : celui-ci fixe l’arrêté annuel et en assure l’observation en émettant des mises en demeure et en prononçant, le cas échéant, des amendes. À ce titre, un amendement n° 2462 du 2 décembre 2021 avait proposé, en vain, la création d’une amende distincte de 2 000 €, dont le montant aurait été reversé par le bailleur contrevenant, au seul locataire, à titre d’indemnisation.

L’article 85, 4°, de la loi 3DS permet désormais à l’autorité préfectorale de déléguer l’ensemble des pouvoirs prévus à l’article VII de l’article 140 de la loi ELAN, aux présidents des EPIC compétents en matière d’habitat, au maire de Paris, aux présidents des établissements publics territoriaux de la métropole du Grand Paris, au président de la métropole de Lyon ou au président de la métropole d’Aix-Marseille-Provence. Nul doute que cette liste évoluera en fonction des nouveaux participants à l’expérimentation, et que la délégation pourra concerner l’ensemble des territoires auxquels s’appliquera l’encadrement préfectoral, à la condition qu’il en soit expressément fait la demande. La date d’entrée en vigueur de cette mesure dépendra des mentions de l’acte de délégation délivré par la préfecture saisie à cet effet.

Acte IV : Colocation en zone tendue : un régime unique

L’article 85, 3°, b), modifie l’article 140, III, A, alinéa 2, de la loi ELAN, permettant d’aligner le régime de la colocation à baux multiples sur la colocation à bail unique, au regard de l’encadrement des loyers en zone tendue. Dès lors, toute mise en colocation d’un logement concerné par l’encadrement en zone tendue est soumise au plafonnement. Cette modification n’est pas novatrice en ce qu’elle semblait déjà, pour les observateurs, induite par l’objectif initial de la loi ELAN, nonobstant l’absence de prise en compte du caractère désormais expérimental de la mesure, à la suite de l’abandon de l’encadrement pérenne issu de la loi ALUR. Néanmoins, cette clarification est heureuse, en ce que certains acteurs semblaient se fonder sur cette omission pour promouvoir un contournement du dispositif de la loi ELAN, supprimant les contraintes relatives au plafonnement des loyers. En conséquence, le traitement du loyer d’un logement mis en colocation est désormais soumis à des règles unifiées.

Les annonces de mise en location : une percée fracassante du droit de la consommation ?

L’article 86 de la loi 3DS crée un nouvel article 2-1 au sein de la loi du 6 juillet 1989, relatif au contenu des informations locatives, que le bien soit ou non soumis à l’encadrement préfectoral. Sa dernière phrase dispose que « la liste des informations est fixée par arrêté [ … ] pour les annonces émises par les non-professionnels ». Cet article est le corollaire de l’article 4 de l’arrêté du 10 janvier 2017 modifié par l’arrêté du 26 janvier 2022 (JO 4 févr.), qui fixe l’information des consommateurs par les professionnels intervenant dans une transaction immobilière et en l’espèce, pour ce qui nous intéresse, dans la mise en location d’un logement.

Plusieurs questions subsistent.

Tout d’abord, l’article 2-1 est intégré au titre I de la loi du 6 juillet 1989 consacré à la location de logements vides et l’on s’interroge quant à son éventuelle application à tous les baux couverts par la loi du 6 juillet 1989, à savoir les baux vide, meublé, étudiant et mobilité. En effet, d’une part, l’article 2-1 précité n’est pas énuméré aux articles 25-3 et 25-12, qui précisent les articles applicables à chacun des baux qui en dépendent. D’autre part, et a contrario, le texte affirme qu’il est applicable à tout « logement soumis à la présente loi » (ndlr : à la loi du 6 juillet 1989). Sans que nous puissions raisonnablement en douter, l’article 2-1 a été introduit pour s’appliquer à tous les baux de la loi de 1989. Cependant, il semblerait que la représentation nationale ait omis de procéder aux agencements nécessaires des articles 25-3 et 25-12. Il est à craindre que cette difficulté soit soulevée par les praticiens, au détriment de l’information uniformisée des locataires.

Ensuite, le nouvel article 2-1 précise que la liste des informations idoines sera précisée par arrêté ministériel, pour les « non-professionnels ». Si l’objectif assigné n’est pas sans rappeler celui poursuivi par les articles 153 et 154 de la loi climat-résilience qui ont modifié les articles L. 126-26 et 126-33 du code la construction et de l’habitation, c’est, sauf erreur, la seule occurrence relative à la classification du code de la consommation qui apparaît à la loi du 6 juillet 1989. Précisément, l’article liminaire dudit code définit le non-professionnel comme « toute personne morale qui n’agit pas à des fins professionnelles ». Contextualisée, cette disposition pourrait notamment renvoyer aux sociétés civiles immobilières à caractère familial de l’article 13 de la loi du 6 juillet 1989. La question est donc la suivante : dans quelle catégorie entre le bailleur qui ne répond ni à la définition du bailleur professionnel ni à celle du bailleur non professionnel ? Est-il un consommateur au sens dudit article ? S’il ne semble pas faire de doute que le législateur a souhaité offrir au candidat locataire une information harmonisée quant au bien offert à la location ainsi qu’en atteste le dossier de présentation de la loi du ministère de la Cohésion, en page 24 et l’amendement (adopté) n° 2467 du 2 décembre 2021, l’article 2-1 marque – volontairement ou involontairement – l’entrée du droit consumériste dans le régime de la loi de1989. Les conséquences pourraient être particulièrement sérieuses quant à la qualification du bailleur dont le régime juridique serait menacé de morcellement.

Rejet des amendements afférents à la détermination et à la contestation du complément de loyer : une occasion manquée ?

De nombreuses difficultés ressortent de la pratique de l’encadrement préfectoral, au regard de l’application d’un complément de loyer. En effet, au-delà du fait que la contestation du complément de loyer soit enfermée dans un court délai, c’est sa qualification même qui pose problème, sans précision législative, et dans l’attente de décisions juridictionnelles significatives. S’agissant du premier aspect, deux amendements présentés devant l’Assemblée nationale (nos 679 et 2359 des 1er et 2 décembre 2021) ont proposé de supprimer le délai de trois mois imparti au locataire pour saisir la CDC, considérant le délai trop court et injustifié. Ils ont tous deux été rejetés. Sur le second aspect, deux amendements présentés devant la même assemblée (nos 714 et 2620 des 1er et 2 décembre 2021) proposaient de définir par décret, le complément de loyer, en complétant l’article 140, III, B, de la loi ELAN, arguant qu’il serait notamment lié « au caractère luxueux des matériaux ou des équipements qui y sont installés, à un intérêt esthétique ou historique spécifique ou à l’existence d’aménités particulières ». Ils ont également été rejetées. Le complément de loyer, qui figure parmi les rares poches de négociation d’un bail d’habitation, continuera de susciter l’intérêt et l’imagination de ses protagonistes. Jusqu’à quand ?