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Loi 3DS et baux commerciaux

La loi dite « 3DS » du 21 février 2022, relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, apporte des nouveautés en matière de droits de préemption susceptibles d’intéresser le domaine des baux commerciaux.

La loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite loi « 3DS » a été publiée au Journal officiel du 22 février.

Cette loi, composée de 271 articles, a « pour objectif de répondre aux besoins concrets et opérationnels des collectivités locales, de leur permettre de conduire une action publique plus adaptée aux particularités de chaque territoire, de gagner en souplesse et en efficacité » (dossier de presse du ministère de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales relatifs à la loi 3DS). Elle comporte quelques dispositions en relation avec les baux commerciaux. Ces dispositions concernent pour l’essentiel les droits de préemption.

Ainsi, aux termes des articles 110 et 112, la loi dite 3DS étend, dans un premier temps, les possibilités de délégation du droit de préemption urbain, y compris du droit de préemption urbain renforcé dans les conditions prévues à l’article L. 211-4 du code de l’urbanisme, et du droit de préemption sur les fonds artisanaux, les fonds de commerce, les baux commerciaux et les terrains faisant l’objet de projets d’aménagement commercial. Elle crée dans un second temps, par le biais des articles 115 et 118, un nouveau droit de préemption aux fins de soutenir l’activité touristique en zone de montagne.

La délégation du droit de préemption

Le droit de préemption est la faculté, accordée à une personne, d’acquérir en priorité certains biens que le propriétaire a mis en vente ou faisant l’objet d’une donation. Plus particulièrement, dans le domaine de l’urbanisme, le droit de préemption permet à une commune d’acquérir en priorité certains biens situés dans un périmètre de son territoire.

Selon l’article L. 210-1 du code de l’urbanisme, le droit de préemption est institué en vue de la réalisation, dans l’intérêt général, des actions ou opérations d’aménagement définies de façon très large par l’article L. 300-1 du même code ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d’aménagement.

Il existe en ce sens plusieurs types de droits de préemption.

La loi 3DS du 22 février 2022 a porté des modifications à certains droits de préemption, parmi lesquels le droit de préemption urbain. Ce droit de préemption, régi par les dispositions des articles L. 211-1 et suivants du code de l’urbanisme, est institué par délibération du conseil municipal dans les communes dotées d’un plan local d’urbanisme approuvé ou d’un plan d’occupation des sols rendu public. Il s’exerce dans certaines zones du plan local d’urbanisme ou du plan d’occupation des sols ainsi que dans les secteurs sauvegardés. Les aliénations et donations soumises au droit de préemption urbain sont visées aux articles L. 213-1, alinéa 1er, et L. 213-1-2 du code de l’urbanisme.

Le droit de préemption urbain est ouvert de plein droit à la commune (C. urb., art. L. 211-1), toutefois un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre peut également l’instituer (C. urb., art. L. 211-2). Le titulaire du droit de préemption urbain peut en outre déléguer son droit de préemption à des organismes définis par le législateur à l’article L. 211-2 du code de l’urbanisme. Cette liste des délégataires du droit de préemption urbain s’est allongée avec la loi 3DS.

La loi 3DS a également apporté des nouveautés au droit de préemption « commercial », spécifique à la préservation du commerce et de l’artisanat de proximité. Ce droit de préemption, créé par la loi n° 2005-822 du 2 août 2005 au profit des communes dans l’optique de préserver les petits commerces de proximité en centre-ville, est régi par les articles L. 214-1 à L. 214-3 du code de l’urbanisme. Outre le maintien des commerces de proximité, la préemption exercée peut également avoir pour but un changement d’activité en introduisant de la mixité dans certains quartiers aux fins de promouvoir une diversité reconstituée, comme le suggère l’article L. 214-2 du code de l’urbanisme (v. J.-Cl. Bail à Loyer, v° Droits de préemption. Droit de préemption des communes. Droit de préemption du locataire commercial, par B.-H. Dumortier, fasc. 1455, n° 11).

À cet égard, les biens concernés par le droit de préemption commercial sont les fonds artisanaux, les fonds de commerce, les baux commerciaux, quelle que soit l’activité exercée, ainsi que les terrains portant ou destinés à accueillir des commerces d’une surface de vente comprise entre 300 m² et 1 000 m². Cependant, ces biens ne sont pas de plein droit soumis au droit de préemption de la commune. Le droit de préemption ne peut intervenir que sur le bien en cause situé dans le périmètre de sauvegarde du commerce et de l’artisanat de proximité délimité par délibération du conseil municipal.

Depuis la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, la commune n’est plus le seul titulaire du droit de préemption commercial, l’article L. 214-1-1 du code de l’urbanisme prévoyant, à l’instar du droit de préemption urbain, des possibilités de délégation.

Bien que ces droits de préemption puissent être institués aux fins d’organiser le maintien et l’extension d’activités économiques, le gouvernement s’est engagé, aux côtés des collectivités, pour lutter davantage contre la dévitalisation des centres-villes et des centres-bourgs. Il les accompagne dans leur revitalisation en agissant notamment sur la restructuration des commerces ou la réimplantation d’industries. À cet effet, ont été créés par la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi ELAN, les opérations de revitalisation de territoire (ORT).

Définies à l’article L. 303-2 du code de la construction et de l’habitat, ces ORT « ont pour objet la mise en œuvre d’un projet global de territoire destiné à adapter et moderniser le parc de logements et de locaux commerciaux et artisanaux ainsi que le tissu urbain de ce territoire pour améliorer son attractivité, lutter contre la vacance des logements et des locaux commerciaux et artisanaux ainsi que contre l’habitat indigne, réhabiliter l’immobilier de loisir, valoriser le patrimoine bâti et réhabiliter les friches urbaines, dans une perspective de mixité sociale, d’innovation et de développement durable ».

Afin de renforcer les opérations de revitalisation des territoires et les opérations ayant pour objet de favoriser la diversité, le maintien ou le développement d’activités artisanales et commerciales de proximité, la loi 3DS en ses articles 110 et 112 vient faciliter l’intervention d’opérateurs lesquels pourront notamment exercer les droits de préemption sur les fonds artisanaux, les fonds de commerce, les baux commerciaux et les terrains faisant l’objet de projets d’aménagement commercial. En effet, la loi nouvelle a élargi les possibilités de délégation du droit de préemption urbain, y compris le droit de préemption urbain renforcé dans les conditions prévues à l’article L. 211-4, et le droit de préemption sur les fonds artisanaux, les fonds de commerce, les baux commerciaux et les terrains faisant l’objet de projets d’aménagement commercial, de sorte que le droit de préemption en matière commerciale permette d’acquérir utilement un fonds ou bail cédé.

Cette volonté de maintenir les activités commerciales s’étend aux territoires de montagne avec la création d’un nouveau droit de préemption propre aux résidences de tourisme qui semble plus adapté que le droit de préemption commercial lequel impose des conditions de mise en œuvre contraignantes.

Un nouveau droit de préemption ?

L’activité touristique en zone de montagne connaît des difficultés qui résultent principalement de la baisse de la fréquentation touristique du fait de la crise sanitaire, obérant la capacité d’investissement, et des conséquences induites par le réchauffement climatique (dossier de presse Avenir montagne 2021).

Outre ces principales difficultés, le tourisme en montagne connaît également une dégradation de l’offre d’hébergement entraînant un phénomène de « lits froids », qui consiste dans le fait que des hébergements, le plus souvent privés, ne sont utilisés que quelques semaines par an (S. Fiat, Un nouveau droit de préemption pour réchauffer les lits froids, Montagne Leaders, nov.-déc. 2021, n° 287, p. 14).

Afin de soutenir l’activité touristique en zone de montagne, le plan « Avenir Montagnes », présenté le 27 mai 2021 par le Premier ministre Jean Castex, a l’ambition de « construire un modèle touristique plus diversifié et plus durable pour les territoires de montagne en lien étroit avec ses principaux acteurs ».

L’un des trois axes de ce programme vise à dynamiser l’immobilier de loisir et enrayer la formation de « lits froids ». À ce titre, le plan propose d’instaurer une cessibilité du droit de préemption du preneur commercial en cas de biens loués spécifiquement pour le tourisme de montagne. Ce droit de préemption du preneur commercial, plus communément appelé droit de préférence du locataire, est prévu à l’article L. 145-46-1 du code de commerce. Selon les dispositions de l’article, lesquelles sont d’ordre public (Civ. 3e, 28 juin 2018, n° 17-14.605, Dalloz actualité, 6 juill. 2018, obs. Y. Rouquet ; D. 2018. 1739 ; ibid. 1736, avis F. Burgaud ; ibid. 1740, note P. Viudès et F. Roussel ; ibid. 2435, chron. A.-L. Collomp, V. Georget et L. Jariel ; ibid. 2019. 1511, obs. M.-P. Dumont ; AJDI 2019. 122 , obs. J.-P. Blatter ; RTD civ. 2018. 875, obs. H. Barbier ; RTD com. 2018. 605, obs. F. Kendérian ), le bailleur, propriétaire du local à usage commercial ou artisanal, qui a l’intention de vendre son local à usage commercial ou artisanal, doit préalablement notifier à son locataire occupant les lieux une offre de vente.

Cette mesure, qui s’applique aux seules résidences de tourisme, lesquelles se distinguent des chambres d’hôtes et des meublés de tourisme, a été intégrée dans la loi 3DS à l’article 115 qui insère désormais au chapitre Ier du titre II du livre III du code du tourisme un article L. 321-5.

Selon le texte, l’exploitant d’une résidence de tourisme situé en zone de montagne peut céder à titre gratuit le droit de « préemption » conféré par l’article L. 145-46-1 du code de commerce à un établissement public y ayant vocation, à une société d’économie mixte, à une société publique locale ou à un opérateur agréé par l’État.

Le preneur d’un bail de résidence de tourisme, qui exerce une activité commerciale, est soumis au statut des baux commerciaux (C. com., art. L. 145-1). En effet, la résidence de tourisme est un établissement commercial d’hébergement classé, faisant l’objet d’une exploitation permanente ou saisonnière. Elle est constituée d’un ou plusieurs bâtiments d’habitation individuels ou collectifs regroupant, en un ensemble homogène, des locaux d’habitation meublés et des locaux à usage collectif gérés par un exploitant unique (C. tourisme, art. D. 321-1). L’exploitant d’une résidence de tourisme dispose en conséquence d’un droit de proposition de vente prioritaire institué par le code de commerce lorsque le propriétaire d’un hébergement situé dans une telle résidence envisage de le vendre.

Or, afin de conserver un modèle de gestion dynamique des résidences de tourisme en zone de montagne, le preneur – exploitant de résidence de tourisme – pourra, en vertu de l’article 115 de la loi 3DS, céder à des foncières son droit de préférence. Plus précisément, ce nouveau droit de préemption a été créé dans l’optique de lutter contre le risque qui pourrait exister lorsqu’un exploitant de résidence de tourisme situé en zone de montagne cesse son activité et ne trouve pas de repreneur. En effet, en l’absence de repreneur, les hébergements en résidence de tourisme peuvent être vendus à des particuliers, qui, en devenant des résidences secondaires, sont susceptibles d’accroître le phénomène des lits froids (S. Fiat, art. préc.). La loi 3DS du 22 février 2022 permet désormais aux sociétés et organismes fonciers d’être prioritaires au moment de la vente d’un hébergement situé dans une résidence de tourisme en zone de montagne. Ces foncières doivent néanmoins s’engager à ce que les biens acquis soient exploités en qualité de résidence de tourisme pour une durée de neuf ans au moins. À cette fin, les nouveaux propriétaires pourront confier les biens « à des gestionnaires de résidences de tourisme qui optimiseront leur utilisation en tant que “lits chauds” (occupés au moins vingt à trente semaines par an) » (dossier de presse Avenir montagne 2021, préc.).

Cette mesure, qui a pour ambition de favoriser le maintien des « meublés de tourisme » en zones de montagne, semble à première vue utile.

Mais qu’en est-il de la difficulté de sa mise en œuvre ?

Seuls les résultats nous le diront.