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Loi abaissant le seuil de l’aménagement de la peine à un an : application aux situations en cours, ou aux seuls faits commis après l’entrée en vigueur ?

La Cour de cassation a examiné un pourvoi relatif à la question de l’application des dispositions de la loi du 23 mars 2019 relative au seuil d’aménagement des peines. Est-elle applicable aux procédures en cours, ou seulement aux procédures dont les faits poursuivis ont été commis postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi, le 24 mars 2020 ? Dans son avis, l’avocate générale a soutenu la deuxième hypothèse. La décision sera rendue le 20 octobre.

par Julien Mucchiellile 18 septembre 2020

La Cour de cassation a examiné, jeudi 17 septembre, un pourvoi qui lui était soumis et demandait la cassation d’un arrêt de la cour d’appel de Paris du 25 juin 2019. Condamnant un prévenu à la peine de deux ans d’emprisonnement, l’arrêt doit être cassé, a dit l’avocate générale dans son avis principal, « au motif d’une insuffisance de motivation du refus d’aménagement ab initio de ladite peine ».

L’intérêt juridique de ce pourvoi se situe ailleurs. La loi du 23 mars 2019, entrée en vigueur le 24 mars 2020, baisse le seuil d’aménagement d’une peine d’incarcération à un an, contre deux ans auparavant. Depuis lors se pose la question de son application dans le temps, que l’aménagement soit décidé ab initio, par la juridiction de jugement, ou par le juge d’application des peines selon les modalités de l’article 723-15 du code de procédure pénale.

Pour éclairer la cour, la magistrate évoque tout d’abord deux textes. L’article 7 du décret du 3 février 2020 relatif à la peine de détention à domicile sous surveillance électronique, pris en application de la loi du 23 mars 2019, dispose que « les dispositions du présent décret entrent en vigueur le 24 mars 2020 pour les condamnations prononcées à compter de cette date, y compris si elles concernent des infractions commises avant cette date ».

La circulaire du 6 mars 2020 estime que les dispositions nouvelles de modalités de prononcé et de mise à exécution des peines d’emprisonnement ferme constituent des dispositions de procédure pénale relatives aux modalités de prononcé des peines par le tribunal et aux modalités de leur mise à exécution, qui relève de la catégorie plus générale des lois fixant les modalités des poursuites mentionnées au 2° de l’article 112-2 du code pénal et qui s’appliquent immédiatement à la répression des infractions commises avant leur entrée en vigueur. « Elles ne peuvent en revanche être analysées comme des dispositions relatives au régime d’exécution et d’application des peines qui auraient pour effet de rendre plus sévères les peines prononcées et ne s’appliqueraient alors, en application du 3° de l’article 112-2 du code pénal, qu’aux faits commis après leur entrée en vigueur », dit la circulaire, pour qui les anciens seuils demeurent néanmoins applicables pour les peines prononcées avant le 24 mars 2020.

« Il appartiendra donc à votre chambre de déterminer de quel type de loi relèvent les dispositions de la loi du 23 mars 2019 relatives à l’abaissement du seuil d’aménagement de la peine d’emprisonnement et, selon la réponse que vous apporterez à ce premier point, déterminer, le cas échéant, si ces dispositions sont plus douces ou au contraire plus sévères que celles de la loi ancienne », dit l’avocate générale. Cette loi peut être une loi de procédure, d’application immédiate ; une loi de pénalité, d’application immédiate seulement si elle est plus douce que l’ancienne loi ; une loi relative aux modalités d’exécution et d’application des peines, d’application immédiate sauf si elle a pour résultat de rendre plus sévères les peines prononcées. Une telle classification, dit l’avocate générale, est un « art délicat ». L’analyse de la jurisprudence permet d’écarter, dit-elle, l’appartenance de la loi du 23 mars 2019 à la catégorie des lois de poursuites et de procédure, car elle n’y a jamais fait référence. Mais il faut s’interroger sur la volonté d’opérer une distinction entre un aménagement de peine prononcé ab initio par la juridiction de jugement lors du prononcé de la condamnation, et qui lève de la loi de pénalité, et l’aménagement prononcé par la juridiction d’application des peines dans le cadre de l’exécution de la peine en application de l’article 732-15, qui relèverait de la loi de modalité d’exécution et d’application des peines. Cela « revient à affirmer que, selon le moment où l’aménagement de la peine est prononcé et selon la juridiction qui le prononce, cet aménagement changerait de nature et que l’aménagement ab initio serait non pas une modalité d’exécution de la peine d’emprisonnement prononcée mais se confondrait avec la peine elle-même », dit l’avocate générale.

À l’aune de la jurisprudence, des textes de loi et de la doctrine, l’avocate générale estime que « la situation entre une personne condamnée à une peine aménageable ayant fait l’objet d’un aménagement ab initio et une personne condamnée à une peine d’emprisonnement aménagée a posteriori par la juridiction d’application des peines ne semble pas fondamentalement différente et paraît même quasi identique ». Ainsi, pour une meilleure lisibilité et sécurité juridique, elle recommande à la cour de rattacher les dispositions relatives au seuil d’aménagement de la peine à l’article 112-2, 3°, du code pénal relatif au régime d’exécution et d’application des peines, et ce quel que soit le moment où l’aménagement est prononcé.

Vient alors la question de savoir si les dispositions de la loi du 23 mars 2019 sont plus douces ou plus sévères que la loi ancienne. L’avocate générale rappelle que, dans un arrêt du 6 décembre 2011, la chambre criminelle avait considéré que la loi du 24 novembre 2009, qui augmentait le seuil d’aménagement de un à deux ans, était plus douce que la loi ancienne. « La personne condamnée à une peine de deux ans d’emprisonnement sous le régime de la loi nouvelle n’exécutera pas sa peine dans les mêmes conditions que la personne condamnée à la même peine avant le 24 mars 2020, rappelle l’avocate générale. Aussi, dès lors qu’il n’apparaît ni opportun ni justifié de distinguer entre l’aménagement de la peine prononcée ab initio et l’aménagement prononcé sur le fondement de l’article 732-15 du code de procédure pénale, et dès lors que le fait que les anciens seuils doivent continuer à s’appliquer aux peines prononcées avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi ne saurait être remis en question, il ne nous paraît pas possible de ne pas considérer les dispositions nouvelles comme étant plus sévères. » Ainsi, elle demande à la Cour de considérer que les dispositions discutées ne peuvent être d’application immédiate et s’appliqueraient ainsi seulement aux faits commis postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi.

La Cour de cassation rendra son arrêt le 20 octobre.