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Loi Badinter : la voie propre du tramway doit être isolée du trottoir qu’elle longe

La loi du 5 juillet 1985 s’applique à l’accident lorsqu’à l’endroit du choc aucune barrière ne sépare la voie de tramway du trottoir duquel la victime a chuté et que la hauteur de celui-ci ne permet pas de délimiter cette voie.

Bien qu’ils aient vocation à se compléter, le régime instauré par la loi n° 58-208 du 27 février 1958, ayant créé une obligation d’assurance de responsabilité civile concernant les accidents de la circulation, et le régime d’indemnisation de la loi du 5 juillet 1985, dite Badinter, doivent être clairement distingués, leurs champs d’application n’étant pas identiques (v. encore réc., Civ. 2e, 9 nov. 2023, n° 21-24.116, Dalloz actualité, 8 déc. 2023, obs. R. Bigot et A. Cayol). Tandis que l’obligation d’assurance ne concerne jamais les tramways (C. assur., art. L. 211-2), la loi Badinter n’est écartée que si le tramway circulait sur une voie qui lui est propre au moment de l’accident (Loi du 5 juill. 1985, art. 1er). L’existence d’une « voie propre » est décisive, étant rappelé que les dispositions de la loi Badinter sont d’ordre public et doivent être soulevées d’office, si besoin, par les juges du fond (R. Bigot, obs. ss. Civ. 2e, 5 juill. 2018, n° 17-19.738, Dalloz actualité, 13 sept. 2018, obs. A. Hacene ; D. 2018. 1489 ; ibid. 2019. 1196, obs. M. Bacache, L. Grynbaum, D. Noguéro et P. Pierre ; RTD civ. 2018. 928, obs. P. Jourdain ; bjda.fr 2018, n° 58). Or il est parfois délicat de déterminer si une voie est, ou non, propre à la circulation du tramway, la question étant de fait (S. Abravanel-Jolly, Loi Badinter inapplicable à un accident de tramway survenu sur une voie propre, LEDA 2020, n° 4, n° 112q2, p. 2). Tel était de nouveau le problème soulevé dans l’arrêt rendu par la deuxième chambre civile le 21 décembre 2023.

L’espèce

En l’espèce, le 9 juin 2011, un adolescent âgé de quinze ans perd l’équilibre et fait un écart sur la voie de tramway qui longeait le trottoir sur lequel il marchait. Il heurte alors le tramway qui arrivait sur cette voie et chute sur les rails. Ses parents, agissant tant en leur nom personnel qu’en leur qualité de représentants légaux de l’adolescent, ont assigné la société exploitant le tramway, ainsi que son assureur.

Faisant valoir que la chute de la victime avait été causée par le fait de trois autres mineurs présents sur le lieu de l’accident, l’exploitant et l’assureur assignent en garantie les représentants légaux de ces mineurs. 

La Cour d’appel de Bordeaux considère que les dispositions de la loi du 5 juillet 1985 sont applicables à l’accident et que le droit à indemnisation de la victime est entier.

Elle condamne l’exploitant et l’assureur in solidum à payer à l’adolescent la somme de 240 618,75 € en réparation de son dommage corporel et 5 000 € à sa mère – désormais veuve – au titre de son préjudice d’affection (Bordeaux, 12 oct. 2021, n° 18/01659).

Au soutien de leur pourvoi incident, l’exploitant et l’assureur rappellent « que les dispositions de la loi du 5 juillet 1985 ne s’appliquent pas aux tramways circulant sur des voies qui leur sont propres ; qu’une voie est propre au tramway quand elle est réservée à sa seule circulation, sans être destinée aux autres usagers ». Or, selon eux, d’une part, il résulte des constatations des juges du fond que la chaussée où s’est produit l’accident est divisée en trois voies, à savoir deux voies ferrées contiguës, empruntées par le tramway, et une voie à sens unique « pour les autres véhicules », et que la chaussée est longée par un trottoir. Dès lors, les voies empruntées par le tramway à l’endroit de l’accident lui seraient propres, puisqu’elles lui sont réservées et ne sont pas destinées à être empruntées par d’autres véhicules, ni par les piétons. La cour d’appel aurait ainsi violé l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985 en retenant l’application de cette loi (pt 6). D’autre part, ils soutiennent qu’il n’est pas nécessaire, « pour qu’une voie soit qualifiée de propre au tramway, qu’elle soit surélevée ou séparée des autres voies par des éléments infranchissables ». La cour d’appel aurait ainsi ajouté des conditions qu’il ne prévoit pas à l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985, le violant par là-même, en affirmant que le tramway n’était pas sur une voie qui lui est propre au motif qu’au point de choc elle n’était pas séparée des autres voies ou du trottoir par des obstacles infranchissables ou une barrière (pt 6). 

La deuxième chambre civile rejette le pourvoi. Après avoir rappelé le contenu de l’article 1er de la loi Badinter, elle souligne que la cour d’appel « relève que la chaussée, qui est divisée en trois voies, sans marquage au sol, dont deux voies ferrées contiguës empruntées par le tramway, non surélevées, et une voie à sens...

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