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Loi Dupond-Moretti : le ministre, les sénateurs et les avocats débattent du secret
Loi Dupond-Moretti : le ministre, les sénateurs et les avocats débattent du secret
Mercredi soir, le Sénat a adopté le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire. Si les débats entre le ministre et les sénateurs ont parfois été tendus, notamment sur le secret de l’avocat, au final, le projet de loi n’a pas été bouleversé. Récit et détails de la séance.
par Pierre Januelle 30 septembre 2021
« Ah, il renie son ancienne robe d’avocat »
En commission, les sénateurs ont validé l’essentiel du projet de loi, moyennant quelques ajouts et suppressions. Parmi les rares modifications substantielles, le Sénat a supprimé la généralisation des cours criminelles départementales, préférant mener à son terme l’expérimentation prévue jusqu’à mai 2022.
Mais pour les sénateurs le texte manque d’ambition. Le sénateur LR Philippe Bas, moque avec acidité le décalage entre le titre du projet (« confiance dans l’institution judiciaire ») et son contenu : « Le titre de ce texte sera vite oublié, sous l’effet de la codification. Et je crains d’ailleurs que son contenu ne le soit assez rapidement aussi. »
Se voir reprocher un manque d’ambition est le genre de critique qui déplaît profondément à Éric Dupond-Moretti. L’attitude de l’ex-habitué des assises tranche dans le monde feutré du Sénat, plus proche d’un congrès des notaires : « Vous voudriez que je vienne ici à Canossa la tête baissée pour dire que nous n’avons rien fait ? Mais c’est une plaisanterie ! ».
Le ministre défend ardemment son texte, ainsi que son revirement sur les cours criminelles départementales : « Lorsque j’étais avocat, j’étais opposé à la cour criminelle départementale parce que je pensais qu’elle allait balayer la cour d’assises traditionnelle à laquelle j’étais extrêmement attachée. Puis je suis devenu ministre. Et que m’a-t-on dit ? Premièrement, que les magistrats étaient satisfaits de cette juridiction. Deuxièmement, que les avocats l’étaient aussi, à l’exception de quelques braillards, qui se sont immédiatement levés pour dire : "ah, il renie son ancienne robe d’avocat". […] Qu’est-ce qu’il fallait que je fasse monsieur le sénateur ? Que je reste avocat en étant devenu garde des Sceaux ? Vous m’en auriez fait le reproche, avec raison ».
« Quasiment 70 000 avocats sont vent debout ce soir »
Une remarque qui n’est pas anodine. Car, depuis qu’il a été nommé au ministère, les magistrats reprochent à Éric Dupond-Moretti d’agir encore comme un avocat. Notamment sur ces articles 2 (qui encadre les enquêtes préliminaires) et 3 (secret de l’avocat), qui inquiètent particulièrement les parquets, et notamment le parquet national financier.
Sur ces deux articles, les sénateurs ont tenté un compromis : pour la fraude fiscale, la corruption et le trafic d’influence, les enquêtes préliminaires pourront durer cinq ans (et non 3) et le secret du conseil de l’avocat ne sera pas opposable. Par ailleurs, en cas de demande d’entraide internationale le délai des enquêtes préliminaires sera suspendu.
Sur le secret du conseil, Éric Dupond-Moretti reste prudent (Dalloz actualité, 27 sept. 2021, art. P. Januel). Divisé entre Bercy et la Chancellerie, le gouvernement n’a pas déposé d’amendement de rétablissement. D’autres l’ont fait pour lui. Le CNB, une partie de la droite et les écologistes sont contre le compromis du Sénat. Ainsi, le sénateur LR Jean-Baptiste Blanc, par ailleurs avocat : « Quasiment 70 000 avocats sont vent debout ce soir. Il faut entendre cette colère. Ils sont vent debout car nous touchons là au secret professionnel, qui est au cœur de ce métier. Ce secret est son ciment, son ADN, sa colonne vertébrale. »
Le rapporteur Philippe Bonnecarrère tente : « Au-delà des 70 000 avocats, pensez aussi aux enquêteurs, aux juges d’instruction, aux associations anti-corruption. Une extension illimitée du secret des avocats au domaine du conseil, ne permettra pas à notre société de lutter correctement contre la corruption ou la fraude fiscale. » Et d’expliquer que dans le montage d’une société offshore, il y a souvent des interventions d’avocats sans qu’ils ne soient forcément auteurs ou complices. Il souligne aussi des risques constitutionnels.
Éric Dupond-Moretti répond : « La flamme dont certains sénateurs défendent leurs amendements me laisse augurer du fait qu’ils sont avocats ». Et il dresse à son tour un vibrant plaidoyer pour un secret illimité de l’avocat. « Une enquête est toujours plus facile sans garantie pour les justiciables. Pardon d’être caricatural moi aussi, mais à l’époque où la torture était autorisée il y avait bien plus d’aveux qu’aujourd’hui. Evidemment, si on s’affranchit de toutes les règles, on est mille fois plus efficaces. » Mais à la fin de la plaidoirie, il annonce un simple avis de sagesse sur ces amendements, qui sont rejetés.
Pour les ministres aussi, la plume est serve mais la parole est libre.
Les autres dispositions votées
En commission, les sénateurs ont supprimé la disposition qui prévoyait la présence des avocats lors des perquisitions. Le gouvernement a, en vain, soutenu son rétablissement. Les sénateurs ont supprimé le fait que les avocats honoraires puissent être juges assesseurs. Ils ont réduit le champ du délit de prise illégale d’intérêts.
Le rappel à la loi a été remplacé par un avertissement pénal probatoire (qui consistera à rappeler « les obligations résultant de la loi »), sauf si la personne a déjà été condamnée ou en cas de violences contre les personnes. Cette décision pourra être revue en cas de nouvelle infraction dans les trois ans. Contre l’avis du gouvernement, les sénateurs ont interdit le prononcé d’un travail d’intérêt général en cas de violences volontaires.
Les sénateurs ont permis la révision d’une condamnation résultant d’aveux obtenus par l’usage de la torture, comme cela a été le cas dans l’affaire Mis et Thiennot (Dalloz actualité, 17 mars 2015, obs. C. Fleuriot).
Les personnes condamnées ayant interjeté appel pourront être incarcérées dans un établissement pour peine.
Au civil, une partie ayant un motif légitime pourra demander à être audiencée par visioconférence. La médiation préalable obligatoire en matière administrative a été généralisée. Contre l’avis du gouvernement, le contentieux du devoir de vigilance sera jugé par le tribunal de commerce de Paris. L’accès au Ficoba pour les huissiers a été facilité.
Les sénateurs ont enfin rendu réciproque le secret professionnel entre avocat et conseil en propriété industrielle.
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Auteur(s) : Stéphane Bortoluzzi; David Lévy; Anita Tanaskovic; Stéphanie Grayot-Dirx; Cécile Caseau-Roche; Gilles Pillet; Dupuis LAURENCE; Olivier Ziegler; François Molinié