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La loi immigration durcit du fait des divisions politiques

Depuis hier, le Sénat étudie le projet de loi immigration. Un texte qui met en lumière les divisions de la droite sénatoriale, de la majorité, et des Républicains, notamment sur la régularisation des sans-papiers dans les secteurs en tension et l’aide médicale d’État. Mais sur le reste, les positions convergent vers un durcissement important du texte.

par Pierre Januel, Journalistele 7 novembre 2023

Le sujet de l’immigration suscitant d’intenses passions, les gouvernements successifs ont toujours voulu adopter une approche « équilibrée » pour leurs réformes. C’était l’idée initiale du projet de loi du gouvernement Borne (Dalloz actualité, 2 févr. 2023, obs. P. Januel) : la régularisation des sans-papiers travaillant dans les métiers en tension, l’interdiction de la rétention des mineurs devaient compenser le durcissement des exigences linguistiques, la levée de certaines protections contre l’éloignement ou le retrait des titres en cas de non-respect des principes de la République. La simplification des contentieux et la réforme de la CNDA sont plus consensuelles.

En commission, la droite sénatoriale avait décidé d’accroître ses exigences : quotas migratoires, resserrement des critères du regroupement familial, retour sur la réforme de 2016 pour les étrangers malades, transformation de l’Aide médicale d’État en Aide médicale d’urgence, restriction de l’accès à la nationalité pour les étrangers mineurs nés en France, examen civique et niveau de langue A2 pour l’obtention d’une carte pluriannuelle, levée d’autres protections contre l’expulsion, restrictions de visas et modulation de l’aide au développement à l’encontre des pays rétifs aux laissez-passer consulaires.

En mars dernier, face à ces exigences du Sénat, le gouvernement avait fait le choix de retirer le projet de loi avant la séance (Dalloz actualité, 23 mars 2023, obs. P. Januel). Il prend aujourd’hui le parti d’accélérer.

Entre-temps, le débat politique s’est focalisé sur l’article 3, sur la régularisation des travailleurs dans les métiers en tension. Les députés LR ont fait de cet article un point dur : ils veulent avoir une attitude maximaliste sur l’immigration, quitte à demander une réforme constitutionnelle. En face, l’aile gauche de la majorité tient à cette « mesure d’équilibre ». Elle est rejointe par les centristes du Sénat, qui sont sortis renforcés des élections sénatoriales et entendent montrer au groupe LR qu’il ne décide pas seul. La première Ministre a chargé le seul ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin de trouver un compromis, le ministre du Travail Olivier Dussopt, qui avait pourtant co-présenté cette réforme, ayant disparu des radars.

En l’état, il est probable que l’amendement de suppression, porté par les seuls sénateurs LR, sera rejeté dans l’hémicycle. Mais le co-rapporteur centriste, Philippe Bonnecarrère, croît en un compromis : « Je ne désespère pas d’arriver à un accord et nous avons des écritures possibles. La majorité sénatoriale s’entend pour refuser un titre de plein droit, comme le gouvernement le proposait initialement ». Un compromis possible serait de faire sauter l’obligation de passer par l’employeur, prévue par le droit actuel. Cette solution est portée par le président du groupe centriste, Hervé Marseille.

Autre sujet qui reste en suspend : la transformation de l’Aide médicale d’État en Aide médicale d’urgence, comme le souhaite la commission des lois. Elisabeth Borne a récemment confié une mission aux vétérans Claude Evin (PS) et Patrick Stefanini (LR). Si le rapport n’a pas encore été remis, les conclusions intermédiaires semblent favorables au dispositif en vigueur. Le gouvernement n’a pas posé d’amendement de suppression jusqu’ici, mais le dispositif pourrait évoluer d’ici l’Assemblée.

D’importants amendements derrière l’article 3

Philippe Bonnecarrère reste confiant dans la possibilité d’un compromis, notant la grande convergence des groupes LR, et centristes et du gouvernement « sur 95 % du texte ». Par ailleurs, il y a une « obligation de résultat parce que le besoin existe : rien ne serait pire que de sortir sans texte du Sénat ».

Le débat sur l’article 3 masque d’autres enjeux du texte et notamment la levée de protection contre les expulsions. Le droit actuel prévoit des catégories d’étrangers protégés contre les expulsions (résidents depuis 20 ans, parents d’enfant français, marié depuis au moins 4 ans), sauf en cas de condamnation à dix ou cinq ans de prison ferme. Le texte rendrait l’expulsion possible en cas de condamnation pour un délit passible de dix ou cinq ans. Pour l’universitaire Serge Slama : « le droit des étrangers est loin d’être le plus protecteur pour les personnes. Ce texte démolit de nombreuses garanties apportées depuis 40 ans. Et alors même que les négociations européennes en cours nécessiteront prochainement un changement de législation. »

En séance, les rapporteurs proposent de lever les protections contre l’expulsion, en cas de condamnation pour un délit passible de trois ou cinq ans de prison. Le groupe LR veut aller plus loin et toute référence dans la loi à des catégories d’étrangers protégés, laissant à l’administration le soin de trancher au cas par cas. Sans aller aussi loin, le gouvernement veut limiter les protections contre l’expulsion pour les étrangers en situation irrégulière, notamment ceux qui ont manifesté des manquements graves et réitérés au respect des principes de la République.

Le gouvernement a déposé d’autres amendements pour la séance : en premier lieu, « pour plus d’efficacité dans les procédures d’éloignement », il propose de passer de 48 heures à quatre jours, la première phase de la rétention administrative, ce qui retardera le recours au juge des libertés et de la détention (JLD). L’office de ce juge sera limité aux nullités « qui portent une atteinte substantielle aux droits des étrangers et qui n’ont pas pu être régularisés avant l’intervention de la décision du juge ».

Le gouvernement veut également élargir la notion de risque de fuite pour permettre le placement en rétention de certains demandeurs d’asile. Le juge devra aussi tenir particulièrement compte des comportements menaçant l’ordre public susceptibles de révéler un risque de soustraction quand il prolonge ou non une rétention. L’appel contre une décision de fin de rétention du JLD sera suspensif lorsque la mesure d’éloignement a été prise pour des motifs liés au terrorisme.

L’opposabilité en France d’actes d’état civil étrangers sera subordonnée à leur légalisation préalable lorsque cette formalité est exigible. La libération sous contrainte sera limitée pour les étrangers sans droit au séjour. Par ailleurs, le contradictoire sera aménagé en présence d’informations issues du renseignement.

Le gouvernement veut limiter le regroupement familial des bénéficiaires de la protection internationale. Il veut aussi faciliter le retrait des titres en cas de retour dans le pays d’origine, même après cinq ans de séjour régulier.

De leur côté, les rapporteurs veulent une clôture automatique des demandes d’asile lorsque le demandeur a abandonné son lieu d’hébergement ou n’a pas respecté son contrôle administratif (sauf motif légitime). Autre mesure forte : ils souhaitent une OQTF pour les déboutés du droit d’asile. Par ailleurs, le délai pendant lequel l’OQTF permet la rétention serait porté à trois ans.

Les rapporteurs souhaitent exclure les APL du calcul des ressources pour le regroupement familial. Pour obtenir une carte de résident de dix ans, la durée du mariage ou la résidence régulière d’un parent serait portée de trois à cinq ans. Ils veulent conditionner les prestations sociales non contributives (allocations familiales, APL, DALO, PCH) à cinq années de résidence. Enfin, le régime dérogatoire de la nationalité pour Mayotte serait étendu à la Guyane et Saint-Martin