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Loi Justice : les policiers tonnent, les avocats engrangent, les députés débattent

Sous pression policière, le gouvernement a musclé le projet de loi confiance dans l’institution judiciaire afin de supprimer les rappels à la loi et allonger la période de sûreté des meurtriers de policiers. Les députés ont également renforcé les protections dont bénéficient les avocats. Hier soir, l’Assemblée a fini l’étude du texte. Récit des débats et des principales évolutions du texte.

par Pierre Januelle 20 mai 2021

Lors de l’étude en commission de la loi Dupond-Moretti, l’observateur avait parfois l’impression que les débats se résumaient à un match entre avocats et magistrats (v. Dalloz actualité, 7 mai 2021, art. P. Januel). Pour la séance, d’autres acteurs sont entrés en scène. D’abord, les policiers, qui organisaient mercredi une importante manifestation devant l’Assemblée nationale. Sous la pression, le gouvernement a déposé plusieurs amendements. Ainsi, il propose de porter de vingt-deux à trente années la période de sûreté des meurtriers de personnes dépositaires de l’autorité publique (en levant la condition de bande organisée). Les auteurs de violences sur ces personnes seront également exclus de la libération sous contrainte automatique.

Jeudi matin, le gouvernement a même déposé un amendement pour supprimer la possibilité, pour les procureurs, de prononcer des rappels à la loi. 260 000 ont été délivrés en 2019 par les procureurs, ce qui correspond à 21 % de la réponse pénale. Le plus souvent pour des affaires faibles ou bancales. Mais ces rappels à la loi insupportent les policiers. Leur suppression pose la question sur le devenir de ces 260 000 affaires rappelées par an : seront-elles classées sans suite ou sanctionnées différemment ? Le ministère assure qu’un travail a été engagé pour créer, à la place du rappel à la loi, « une mesure alternative significative, crédible et efficace ». Une nouvelle amende forfaitaire ?

« Vous êtes un danger pour la démocratie ! Allez raconter ça à vos chaînes privilégiées ! »

Autre nouvel arrivant pour les débats en séance : les politiques. Le contenu d’une loi se joue en commission. Le spectacle, lui, a lieu dans l’hémicycle. Mercredi, après la manifestation policière, la séance s’ouvre par un rappel au règlement du député LR Éric Ciotti. Celui-ci s’insurge : en raison des règles sur les cavaliers législatifs, son amendement sur le rétablissement des peines plancher contre les agresseurs de policiers a été déclaré irrecevable. En commission, cela avait déjà été le cas. « J’ai entendu le cri de colère des policiers. Et un policier a dit tout à l’heure, “le problème de la police, c’est la justice”. Monsieur le Ministre, vous refusez ce débat, vous êtes dans la communication ! »

Mais le ministre n’est en rien responsable de la recevabilité des amendements. Éric Dupond-Moretti : « Monsieur le Député Ciotti, vous savez parfaitement que votre propos ne s’adresse pas à l’Assemblée, car vous connaissez le règlement encore mieux que moi. Il s’adresse, en réalité, à ceux de vos électeurs qui vous regardent. Il est absolument indispensable pour vous d’apparaître à la tête de ce mouvement qui s’est exprimé, d’ailleurs légitimement, aux portes de l’Assemblée nationale. Je crois que vous aimez le sport : quand il y a un compte rendu sportif, que le journaliste explique, il y a toujours quelqu’un qui saute derrière pour se faire voir. Vous êtes celui-là, Monsieur le Député Ciotti. »

Les prises de bec avec le Rassemblement national sont elles aussi régulières. Ainsi, quand la députée RN Catherine Pujol propose que la détention provisoire soit la règle en cas de violence sur personne dépositaire de l’autorité publique, le ministre embraye immédiatement : « On pourrait envisager aussi une détention obligatoire pour ceux qui sont impliqués dans des affaires de détournement de fonds public, vous ne croyez pas ? Vous êtes prêtes à toutes les démagogies pour surfer sur l’air du temps ! Vous êtes un danger pour la démocratie ! Allez raconter ça à vos chaînes privilégiées ! »

« Cette réponse m’inquiète, monsieur le ministre »

Entre les prises de bec avec la droite ou avec le RN, sur fond de campagne régionale, les débats sur le texte passent parfois au second plan. L’article 2 encadrera la durée des enquêtes préliminaires à trois ans. Une mesure qui préoccupe la députée Modem Laurence Vichnievsky concernant le parquet national financier (PNF), dont certaines enquêtes sont très lourdes. « Vous m’aviez dit en commission “si on accepte cet amendement, on vide le texte de sa substance”. Cette réponse m’inquiète, Monsieur le Ministre, car cela signifierait que ce texte ne concerne quasi exclusivement que la matière financière. » Las, le Modem et l’UDI n’arrivent pas à infléchir la position gouvernementale et à préserver le PNF. Amendement rejeté et article adopté à l’unanimité.

À l’article 3, deux amendements importants sont adoptés. La députée Naïma Moutchou porte un amendement pour autoriser un avocat à assister à une perquisition, même si elle pourra démarrer sans sa présence. L’avocat pourra joindre des observations écrites à la procédure. Un amendement du député Raphaël Gauvain indique qu’une personne pourra s’opposer à la saisie d’un document qu’elle estime couvert par le secret professionnel de la défense et du conseil, même si la perquisition a lieu hors cabinet d’avocat.

Mercredi soir, l’opposition a poussé pour renforcer les garanties concernant les perquisitions visant les parlementaires. L’amendement a été rejeté par la majorité, qui ne souhaitait pas se voir accusée de protéger les politiques, par un amendement nocturne. Le sujet pourrait revenir dans la navette parlementaire.

L’Assemblée nationale a adopté un amendement pour créer des pôles spécialisés sur les crimes sériels et non élucidés.

Le dépôt dématérialisé des mémoires devant la chambre de l’instruction sera facilité.

Les jurys pourront plus facilement prononcer des peines criminelles entre 20 et 30 ans

La situation des personnes transgenres détenues devra être prise en compte par l’administration.

Enfin, le champ de la prise illégale d’intérêts a été étendu aux magistrats