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Loi sur la fin de vie : les députés pressent le gouvernement

Jeudi soir, malgré les réticences gouvernementales, les députés ont adopté l’article premier de la proposition de loi Falorni sur la fin de vie. Un article qui autorise l’aide active à mourir. Récit d’une séance particulière, où, sans véritable obstruction, mais sans véritable débat, les députés ont fait un pas historique.

par Pierre Januelle 12 avril 2021

Journée d’affluence à l’Assemblée nationale. Malgré les contraintes sanitaires, les députés se pressent. Ce n’est pas tous les jours qu’ils ont l’occasion de voter une loi, une vraie, un texte qui ne soit pas un agrégat bavard de mesures de chefs de bureau.

Pour la seule journée de l’année où il décide de l’ordre du jour (sa « niche parlementaire »), le groupe Liberté & Territoires, composé de députés régionalistes ou indépendants, a décidé d’inscrire un texte sur la fin de vie. Il y a peu, les groupes n’inscrivaient dans leur niche que des propositions techniques (pour qu’elles soient adoptées) ou, quand ils étaient d’opposition, des réformes très politiques (pour qu’elles soient rejetées). En octobre, la proposition de loi sur l’IVG a montré qu’un petit groupe d’opposition pouvait faire adopter un texte important, à condition de s’appuyer sur des députés de la majorité frustrés d’être trop souvent retenus par leur gouvernement. La proposition de loi avait été adoptée contre le gouvernement, toujours prudent quand il s’agit de « grands débats de société ».

La proposition de loi sur la fin de vie d’Olivier Falorni prévoit que « toute personne capable et majeure, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, provoquant une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée ou qu’elle juge insupportable », pourra demander à disposer d’une assistance active à mourir. Un collège de trois médecins décidera, vérifiant le « caractère libre, éclairé, réfléchi et explicite » de la demande, ainsi que l’impasse thérapeutique. Les professionnels de santé disposeront d’une clause de conscience.

L’aide active à mourir est une promesse récurrente de campagne. Mais, au final, le gouvernement ne saute jamais ce pas. Il a ainsi tout fait pour éviter ce sujet dans sa grande loi « bioéthique », qui disposait de conditions de débats luxueuses (trois semaines d’hémicycle et une seconde lecture). Pourtant, à part l’article sur la PMA, on aurait du mal à expliquer au grand public une autre des cinquante mesures de cette loi bioéthique.

« Le droit, tout simplement, de pouvoir éteindre, en paix, la lumière de notre existence »

Olivier Falorni porte le sujet de la fin de vie depuis plusieurs années. À la tribune, il est ému : « Mes chers collègues, il est temps de donner à chacune et à chacun d’entre nous le droit, quand nous arriverons au bout du chemin, sans espoir de guérison, le droit, tout simplement, de pouvoir éteindre, en paix, la lumière de notre existence. »

Mais le temps joue contre lui. Il n’y a que six heures trente de débats prévues et 3 800 amendements ont été déposés. En commission, les sept heures de débats étaient relativement apaisées et le texte a été largement adopté. Mais pour la séance, les opposants se sont mobilisés. Ceux-ci sont peu nombreux (60 % des amendements viennent de quatre députés LR), mais ils sont actifs et habitués aux techniques d’obstruction : ils ont même déjà trollé le premier texte de la journée, sur les langues régionales, qu’ils soutenaient pourtant, afin d’éviter que le texte fin de vie soit adopté dans la journée.

Mais ces députés obstructeurs font eux-mêmes face à des contestations de leur groupe. Alors que, sur les lois mariage pour tous ou bioéthique, la frange conservatrice avait eu les mains libres, plusieurs députés LR militent clairement pour la loi Falorni. Presque tous les groupes sont divisés. En discussion générale, les orateurs, des communistes à la République en Marche, présentent des positions mitigées. Ce texte n’est pas une question de groupe, mais relève du choix individuel.

« Ce débat a besoin de temps pour examiner les garanties et les éventuels garde-fous »

Le gouvernement est lui aussi ennuyé. Si 90 % des Français sont favorables à l’aide active à mourir, le sujet est sensible et nous sommes en pleine crise sanitaire. À la tribune, le ministre Olivier Véran met en avant la loi Claeys-Leonetti de 2016 qui a permis la sédation profonde. Mais « l’état des connaissances sur l’application de cette loi est bien trop faible et nous ne disposons d’aucune étude scientifique récente portant sur les décisions de fin de vie. Je lancerai donc dans les jours qui viennent une nouvelle mission destinée à connaître l’application réelle de la loi ».

Le ministre n’est pas fermé à faire évoluer la loi. Mais « ce débat a besoin de temps pour examiner les garanties et les éventuels garde-fous. […] Je ne suis pas convaincu, et c’est mon avis personnel, qu’il nous faille ouvrir aujourd’hui un débat de cette envergure. Parce que, depuis plus d’un an, la mort est omniprésente dans le quotidien des Français ». Il annonce vouloir saisir le CESE, le Comité consultatif national d’éthique et la société civile. Une façon de repousser le débat à après 2022. Il relève également que la proposition Falorni n’oblige pas qu’un pronostic vital soit engagé à court terme, pour mettre en œuvre l’aide active à mourir.

Les députés En Marche, eux, n’en peuvent plus d’attendre. La grande majorité du groupe souhaite que le texte avance. Les responsables du groupe Christophe Castener et Aurore Bergé ont beau rappeler les réticences gouvernementales, les troupes savent que cette proposition est la dernière occasion de la mandature.

« Un pas qui nous fait avancer en humanité »

Les opposants déroulent leurs arguments. Patrick Hetzel : « Il y avait un triptyque dans la loi Claeys-Leonetti : personne ne doit mourir dans l’isolement ; personne ne doit connaître d’acharnement thérapeutique ; personne ne doit souffrir. En tant que législateur, avant de changer quoi que ce soit, nous devons nous demander si cette loi est mise en œuvre. […] On a une sorte d’emballement, où, sans bilan de ce qui est fait, on essaie de changer les textes. […] Nous sommes un certain nombre à avoir joué le rôle de lanceur d’alerte : l’ultime geste thérapeutique doit-il être de donner la mort ? »

En face, peu de réponses. L’enjeu est de voter l’article premier avant minuit. Pour avancer, mieux vaut se taire. Conscients de leur isolement, les opposants décident finalement de ne pas utiliser toutes les armes de l’obstruction. Le gouvernement donne systématiquement des avis de sagesse. Les députés rejettent largement les amendements de suppression, puis à 23h30, adoptent l’article premier.

Si l’ensemble du texte n’a pu être étudié, c’est un pas important. Jean Luc Mélenchon : « Chaque pas qui rend une personne plus maîtresse d’elle-même, quelles que soient les circonstances, est un pas qui nous fait avancer en humanité, même quand il s’agit d’un pas, terrible, de décider d’éteindre la lumière. »

Il faudra que le gouvernement ou le groupe LREM réinscrive le texte à l’ordre du jour pour que la navette continue. Mais, par 240 voix contre 48, l’Assemblée a indiqué que c’était la voie à suivre.