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Loyauté de la négociation collective et rupture conventionnelle collective

L’arrêt du Conseil d’État du 21 mars 2023, Syndicat CGT de l’établissement public Caisse des dépôts et consignations mérite de retenir l’attention à un double titre. Si son intérêt premier est d’avoir donné l’opportunité au juge administratif de préciser le contrôle de l’administration sur les conditions de négociation et de conclusion d’un accord portant rupture conventionnelle collective, il présente par ailleurs des particularités tirées du statut spécifique de l’employeur concerné, la Caisse des dépôts et consignations.

Le contexte du litige

Dans le cadre fixé par le code du travail et plus précisément son article L. 1237-19 qui trouve sa source dans l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail, un accord collectif majoritaire peut organiser une rupture conventionnelle collective en vue de rompre des contrats de travail sur la base du volontariat sans recourir à un licenciement pour motif économique afin d’atteindre les objectifs fixés en termes de suppression d’emplois durant la période déterminée par l’accord.

Cet accord collectif, qui doit faire l’objet d’une validation par l’autorité administrative, rappelle l’engagement de l’employeur de ne procéder à aucun licenciement pour motif économique durant la période de recours au volontariat et détermine notamment le nombre maximal de départs envisagés, les conditions que doit remplir le salarié pour en bénéficier, les modalités de calcul des indemnités de rupture garanties au salarié, celles-ci ne pouvant être inférieures aux indemnités légales dues en cas de licenciement pour motif économique ainsi que les mesures visant à faciliter l’accompagnement et le reclassement des salariés.

L’accord doit par ailleurs prévoir les conditions d’information du comité social et économique (CSE) sur le projet envisagé et son suivi.

À la fin de l’année 2018, la Caisse des dépôts et consignations (CDC ou l’Établissement) a ouvert avec ses partenaires sociaux des négociations en matière de gestion prévisionnelle des emplois (GPEC) dans la perspective de parvenir à trouver un accord sur les trois thèmes structurants que sont le renouvellement des compétences, l’accompagnement des collaborateurs en fin de carrière et enfin la mise en œuvre de dispositifs de départs volontaires en cours de carrière au sein desquels s’insère le dispositif de rupture conventionnelle collective (RCC), objet du litige.

Sans plus attendre, il importe de consacrer quelques lignes au statut particulier de la CDC et plus encore peut être à celui de ses collaborateurs qui confère une partie de sa dimension à l’arrêt.

La CDC, qualifiée par le législateur d’établissement public « spécial » (C. mon. fin., art. L. 518-2), se singularise notamment par un personnel soumis à une pluralité de statuts. Les collaborateurs de la CDC comprennent en effet, en substance, non seulement des salariés de droit privé placés sous le régime des conventions collectives et soumis au code du travail mais encore des fonctionnaires relevant du code général de la fonction publique, des agents contractuels de droit public sans oublier des agents dits sous « statut », en l’occurrence celui de la Caisse autonome nationale de la sécurité sociale dans les mines.

Cette situation singulière suscite régulièrement des questions qui attisent l’intérêt des juristes et alimentent la jurisprudence, ce dont rend compte l’arrêt CGT du 21 mars 2023.

En l’espèce, le litige est né de la volonté de la CDC d’intégrer ses personnels de droit public dans le dispositif de RCC négocié avec ses partenaires sociaux à l’occasion d’une réflexion plus vaste portant sur la GPEC de l’Établissement. Une fois n’est pas coutume, la CDC entendait innover, soucieuse de faire bénéficier l’ensemble de ses collaborateurs unis au sein d’une communauté de travail, de dispositifs de gestion des ressources humaines identiques en dépit de leurs statuts juridiques différents.

S’il ne faisait guère de doute, lors de l’ouverture des négociations, que le dispositif légal de la RCC pouvait s’appliquer aux collaborateurs de droit privé de la CDC placés sous le régime des conventions collectives, la question de son applicabilité à ses personnels de droit public suscitait en revanche, et de façon légitime, bon nombre d’hésitations, dans le silence de la loi.

Certes, la possibilité de conclure un tel accord pour cette catégorie de personnels aurait pu s’inférer de l’article 34 de la loi n° 96-452 du 28 mai 1996 qui, depuis le 1er avril 2018 (Loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, art. 19), habilite la Caisse des dépôts et consignations à conclure des accords ayant pour objet « d’assurer la mise en cohérence des règles sociales dont relèvent [s]es personnels », c’est-à-dire concrètement d’harmoniser les dispositions applicables aux populations de droit privé et de droit public, les accords conclus sur le fondement de ce texte « s’appliqu[a]nt de plein droit à l’ensemble de ces personnels ».

C’est précisément sur la base de cet article 34 que la CDC avait d’ailleurs engagé fin 2018 les négociations avec les partenaires sociaux de l’Établissement en vue de la conclusion d’un socle conventionnel commun à toutes les populations de l’Établissement, comportant à la fois des mesures de GPEC, des mesures d’accompagnement des personnels en fin de carrière et un dispositif de départs volontaires pour les collaborateurs en cours de carrière, intégrant le dispositif de RCC.

Afin de conforter le dispositif, l’article 73 de la loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019 a, moyennant quelques aménagements, expressément déclaré applicables aux personnels de droit public de la CDC les dispositions du Code du travail relatives à la rupture conventionnelle collective. L’article 73 a pris soin de préciser, c’est important pour la bonne compréhension du litige, que l’instance unique de représentation du personnel de la CDC (il s’agit du Comité unique de l’établissement public [CUEP] tiendrait lieu de CSE pour l’application de l’art. L. 1237-19-1 c. trav.) l’article 72 permettait quant à lui aux fonctionnaires en général (sous réserve de quelques exceptions) de négocier une rupture conventionnelle individuelle avec l’administration).

C’est dans ce cadre que, le 24 septembre 2019, après neuf mois de négociation, la CDC a pu signer avec les organisations syndicales représentatives trois accords distincts applicables à l’ensemble de ses personnels, tous statuts confondus, dont un accord portant rupture conventionnelle collective validé par une décision expresse de la Direccte du 15 octobre 2019.

La CGT (pour être précis, la CGT de l’Établissement public CDC et l’Union des syndicats CGT du Groupe CDC), non-signataire des accords et notamment de l’accord RCC, a alors contesté devant la juridiction administrative la légalité de la décision de validation de la Direccte.

Les questions en débat

Par un arrêt du 15 septembre 2020, la cour administrative d’appel de Paris a conclu au rejet du recours de la CGT, confirmant le jugement du tribunal administratif de Paris qui s’était déjà prononcé dans le même sens le 5 mars 2020.

Pour l’essentiel, les points en...

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