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Ne constitue pas un stratagème le fait, pour des gendarmes, de consigner dans un procès-verbal des propos qui n’ont pas été recueillis contre le gré de l’intéressé ou à son insu.
par Dorothée Goetzle 28 janvier 2020
En l’espèce, à la suite d’un vol avec arme commis dans une villa, un individu était reconnu sur des enregistrements de vidéosurveillance comme étant le conducteur d’un scooter ayant suivi les victimes jusqu’à leur domicile deux jours avant les faits. L’enquête était confiée à la brigade des recherches. Des militaires non saisis des faits, appartenant à la section de recherches, prenaient contact, à la demande de leur hiérarchie, avec leurs informateurs. Le conducteur du scooter était sollicité et leur fournissait des renseignements sur les faits. Les militaires retranscrivaient sur procès-verbal les informations recueillies susceptibles d’impliquer leur informateur dans les faits. Lors de sa garde à vue, l’intéressé contestait sa participation aux faits. Il était mis en examen du chef de vol avec arme en bande organisée et était placé en détention provisoire.
Son conseil déposait une requête en annulation visant, d’une part, le procès-verbal d’investigations établi par les militaires de la section de recherches et, d’autre part, un procès-verbal dans lequel le mis en examen avait reconnu, pendant sa garde à vue mais hors audition, sa participation aux faits. La chambre de l’instruction se déclarait compétente pour trancher le litige relatif au moyen tiré de l’irrégularité du procès-verbal d’investigations établi par la section de recherches et rejetait le moyen de nullité relatif à l’irrégularité du procès-verbal d’investigations.
Dans son pourvoi, le requérant faisait valoir que les demandes d’annulation d’un acte de procédure dont l’examen du bien-fondé implique l’appréciation du respect des dispositions de l’article 15-4 du code de procédure pénale relèvent de la compétence exclusive du président de la chambre de l’instruction. En outre, il reprochait à la chambre de l’instruction d’avoir invoqué l’application de la procédure de l’article 15-4 du code de procédure pénale sans établir les circonstances de nature à justifier le recours à cette procédure. En raisonnant ainsi, les juges du fond avaient, selon le requérant, porté atteinte au droit à un procès équitable et au principe de loyauté des preuves. Il reprochait aux agents de la force publique, qui avaient sollicité un rendez-vous en dehors de tout cadre légal pour recueillir des informations qu’ils avaient ensuite retranscrites, d’avoir utilisé un stratagème. Ce procédé déloyal avait, à ses yeux, mis en échec le droit de se taire et de ne pas s’auto-incriminer.
Il est vrai que porte atteinte au droit à un procès équitable et au principe de loyauté des preuves le stratagème qui en vicie la recherche par un agent de la force publique. En l’espèce, tout l’enjeu du pourvoi est donc de déterminer si un tel stratagème avait été mis en œuvre par les gendarmes.
La chambre criminelle rejette le pourvoi.
D’abord, elle approuve les chambres de l’instruction d’avoir écarté le moyen de nullité tiré de l’irrégularité du procès-verbal d’investigations établi par les militaires de la section de recherches de la gendarmerie faute de mention du nom et de la signature des agents l’ayant rédigé. Selon l’article D. 9 du code de procédure pénale, les officiers de police judiciaire doivent énoncer leur nom et leur qualité dans tous les procès-verbaux qu’ils établissent en matière de police judiciaire. Toutefois, pour les hauts magistrats, les militaires concernés ont en l’espèce fait une exacte application des dispositions de l’article 15-4 du code de procédure pénale en signant le document litigieux et en y apposant leur matricule. Cette procédure ne nécessite pas, ajoutent-ils, la révélation des noms et prénoms des rédacteurs des procès-verbaux. En réponse au grief soulevé par le requérant, relatif à l’absence d’explications sur les circonstances du recours à la procédure prévue à l’article 15-4 du code de procédure pénale, la chambre criminelle rappelle qu’aucun texte ne prévoit l’obligation, pour la chambre de l’instruction, de vérifier si le recours à cette procédure se justifiait ni de faire état de l’autorisation délivrée à l’agent.
Ensuite, les hauts magistrats rejettent le moyen de nullité relatif à la mise en place, par les militaires de la section de recherches, d’un procédé déloyal. Ils approuvent donc également sur cet aspect le raisonnement de la chambre de l’instruction. Il est important de relever qu’in casu, les militaires n’ont pas contraint leur informateur à se rendre au rendez-vous. En outre, ils n’ont exercé aucune pression pour aboutir aux révélations de l’intéressé. Ces éléments factuels ont en effet été déterminants pour permettre à la chambre criminelle d’en déduire que la section de recherches pouvait consigner les renseignements fournis spontanément par leur informateur qui avait accepté de se présenter au rendez-vous et de donner librement des renseignements.
Signe de sa totale approbation du raisonnement mené par la chambre de l’instruction, la chambre criminelle, avant de rejeter le pourvoi, énonce clairement que ne constitue pas un stratagème le fait pour des gendarmes de consigner dans un procès-verbal des propos qui n’ont pas été recueillis contre le gré de l’intéressé ou à son insu. En 1997, la chambre criminelle considérait que l’enregistrement effectué de manière clandestine, par un policier agissant dans l’exercice de ses fonctions, des propos qui lui sont tenus, fût-ce spontanément, par une personne suspecte, élude les règles de procédure et compromet les droits de la défense (Crim. 16 déc. 1997, n° 96-85.589 P, D. 1998. 354 , note J. Pradel ; RSC 1999. 588, obs. J.-P. Delmas Saint-Hilaire ; Procédures 1998. Comm. 98, obs. Buisson ; RG proc. 1998. Chron. 327, par Rebut ; JCP 1998. I. 153, chron. A. Maron ; Gaz. Pal. 1998. 1. Chron. 57, note Doucet ; LPA 1999, n° 21, note Barberis). Dix ans plus tard, elle considérait, dans la même veine jurisprudentielle, que la transcription effectuée par un officier de police judiciaire, contre le gré de l’intéressé, des propos qui lui sont tenus officieusement par une personne suspecte, élude elle aussi les règles de procédure et compromet les droits de la défense (Crim. 3 avr. 2007, n° 07-80.807 P, D. 2007. 1422 ; ibid. 1817, chron. D. Caron et S. Ménotti ; ibid. 2008. 2757, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2007. 285, obs. G. Royer ; Dr. pénal 2008. Chron. 45, obs. Lesclous).
En l’espèce, la situation était sensiblement différente car les militaires n’avaient pas contraint leur informateur à se rendre au rendez-vous. En outre, ils ne lui avaient posé aucune question et n’avaient exercé aucune pression sur lui pour recueillir ses révélations. Pour ces deux raisons, il n’y a pas eu de stratagème. Le rejet du pourvoi est donc justifié.
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