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Loyers impayés, covid-19 et garantie à première demande

La mise en œuvre de la garantie à première demande, malgré une interdiction légale pour les bailleurs de mettre en œuvre les sûretés personnelles garantissant le paiement des loyers pendant la période de fermeture des commerces due au covid-19, caractérise un trouble manifestement illicite.

Par un contrat du 22 décembre 2017, une société civile immobilière donne à bail commercial un bien à une société qui vend des vêtements. Une banque consent le 8 mars 2018 une garantie à première demande pour un montant maximum de 91 667 €.

À compter du mois de mars 2020 et du début du confinement, le preneur ne règle plus ses loyers.

Par une lettre du 7 avril 2021, le bailleur met en œuvre la garantie à première demande et demande à la banque de lui payer la somme de 91 667 €. Une telle demande survient au cours du troisième confinement, alors que la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 interdisait de mettre en œuvre toute sûreté personnelle à l’encontre des preneurs touchés par la fermeture administrative de leurs commerces.

Par un acte du 19 avril 2021, le preneur fait assigner le bailleur devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris et lui demande de « constater que la mise en œuvre de la garantie à première demande par la société [bailleresse] constitue un trouble manifestement illicite » et « par conséquent, interdire à la [banque] de procéder au paiement du 91 667 € », l’impayé se chiffrant alors à 248 271,45 €.

Par une ordonnance du 23 avril 2021, le juge des référés interdit à la banque de procéder au paiement en cause. Le bailleur interjette appel.

Par un arrêt du 16 décembre 2021, la cour d’appel de Paris confirme la décision de première instance en toutes ses dispositions. La cour d’appel relève notamment que les loyers du premier et deuxième semestre 2020 ont été payés par le preneur et que les arriérés sont relatifs à une partie du troisième trimestre 2020 jusqu’au deuxième trimestre 2021. Elle en déduit que « s’agissant d’une période partant du troisième trimestre 2020 et allant jusqu’au deuxième trimestre 2021, les mesures de police administratives, ainsi que l’a justement apprécié le premier juge, ont concerné l’ensemble de la période, de sorte que les sommes ne bénéficiant pas de la protection représentent moins d’un trimestre de loyers et charges alors que la somme de 91 667 €, objet de la garantie, excède le loyer d’un seul trimestre ». Ainsi, « la garantie mise en œuvre dans ces conditions constitue bien un trouble manifestement illicite, issu d’une violation des dispositions de l’article 14 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 qui prohibe la mise en œuvre des sûretés personnelles pour ces loyers et charges, de sorte que l’appel de la garantie constitue un abus manifeste du bénéficiaire et que le garant n’est pas tenu au paiement ».

Saisie d’un pourvoi formé par le bailleur, la Cour de cassation l’a rejeté en jugeant que « la mise en œuvre [de la garantie à première demande], en violation des dispositions de l’article 14 de la loi précitée, constituait un trouble manifestement illicite ».

Remarques préliminaires

Au moins deux remarques préliminaires peuvent être formulées.

D’une part, le preneur demandait au juge des référés de « constater » que la mise en œuvre de la garantie caractérisait un abus manifeste. Il convient de rappeler que les demandes de « constater » ne sont pas des considérées comme demandes et qu’elles doivent donc être évitées. La nouvelle charte de présentation des écritures du 30 janvier 2023 le précise au demeurant très clairement puisque le dispositif « ne doit pas contenir des “dire et juger” et des “constater” ou “donner acte” hors les cas prévus par la loi » (p. 5 de la Charte, v. M. Barba, Charte de présentation des écritures, Entre droit extra-mou et droit extra-flou, Dalloz actualité, 2 févr. 2023). Une demande était pourtant formulée ici consistant à ce que la banque soit interdite de payer le montant garanti au bénéficiaire.

D’autre part, alors que la lenteur de la justice est souvent décriée, on notera la particulière diligence avec laquelle le tribunal judiciaire de Paris a statué dans cette affaire. L’assignation date du 19 avril 2021 et l’ordonnance du 23 avril 2021 …

Une mise en œuvre de la garantie possiblement justifiée par le caractère autonome de la garantie

Dans cette affaire, le bailleur bénéficiait d’une garantie à première demande, c’est-à-dire que le preneur, donneur d’ordre, avait demandé à son garant de s’engager à lui payer la somme de 91 667 € s’il en formulait la demande.

À cet égard, il convient de rappeler que l’alinéa 1er de l’article 2321 du code civil définit la garantie autonome comme « l’engagement par lequel le garant s’oblige, en considération d’une obligation souscrite par un tiers, à verser une somme soit à première demande, soit suivant des modalités convenues ».

Une telle sûreté est particulièrement protectrice pour les bénéficiaires, puisque...

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