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Lutte contre les pratiques déloyales des GAFAM : le DMA est publié !

Poursuivant sa stratégie pour un marché unique numérique, la Commission européenne publie la version définitive du Digital Markets Act. Ce texte vise à prévenir les pratiques déloyales des géants du numériques sur le marché européen en leur imposant des obligations comportementales ex ante et en adoptant une approche de compliance. Le texte, tout en maintenant ses fondements, contient certaines modifications notables et des nouveautés par rapport au projet qui avait été publié en 2020. Avec cet arsenal législatif nouveau et complexe, la Commission va tenter de restaurer un marché numérique contestable.

Ambition européenne - Le 15 décembre 2020, la Commission européenne dans le cadre de sa stratégie pour un marché unique numérique avait présenté deux projets de règlements : le règlement relatif à un marché intérieur des services numériques (« législation sur les services numériques »), connu sous l’appellation anglaise de Digital Services Act (DSA) et le règlement relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique, plus communément appelé Digital Markets Act (DMA) (« législation sur les marchés numériques »). L’objectif de ce dernier est de « contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur en établissant des règles harmonisées visant à garantir à toutes les entreprises la contestabilité et l’équité des marchés dans le secteur numérique de l’Union là où les contrôleurs d’accès sont présents, au profit des entreprises utilisatrices et des utilisateurs finaux » (Règl. DMA, art. 1, § 2). En effet, depuis une dizaine d’années, l’Union européenne a adopté une attitude proactive en matière de numérique afin de bâtir un marché unique européen. On peut affirmer sans euphémisme que le droit européen de la concurrence a véritablement été bousculé par les pratiques des géants du numérique (à ce propos, v. not., J. Ancelin, La proposition de digital market act : rétablir la concurrence pour préserver la souveraineté numérique de l’Union ?, RTD eur. 2021. 545 ). Ce texte qui vise à favoriser la concurrence propose une nouvelle approche afin de répondre à l’hégémonie des GAFAM et de proscrire certains comportements concurrentiels néfastes, devenus légions en raison des situations quasi-oligopolistiques, voire monopolistiques acquises par ces acteurs systémiques.

Du projet à la version finale - Le projet de Digital Markets Act, avait fait l’objet d’une attention soutenue de la part de la doctrine lors de sa parution (v. not. J. Ancelin, préc. ; C. Crichton, Le Digital Markets Act, un cadre européen pour la concurrence en ligne, Dalloz actualité, 8 janv. 2021 ; R. Pons et C. Castets-Renard, L’imminence du règlement sur les marchés numériques ou Digital Markets Act, D. 2022. 832 ) et avait été accueilli favorablement par le Contrôleur européen de la protection des données (Opinion 2/2021 on the Proposal for a Digital Markets Act, 10 févr. 2021 ; Communiqué de presse du Contrôleur européen de la protection des données, 10 févr. 2021). Il devait encore faire l’objet de discussions avant son adoption et sa publication. L’enjeu était de taille et les débats se sont révélés assez tendus ; les GAFAM ont investi énormément de dépenses de lobbying à Bruxelles (R. Balenieri, Le DSA-DMA fait bondir les dépenses de lobbying des GAFA à Bruxelles, Les Echos, 31 août 2021). Une plainte a même été déposée par trois eurodéputés dénonçant des pratiques de lobbying dissimulé (Trois eurodéputés accusent des géants du net de lobbying dissimulé, Contexte Pouvoirs, 17 oct. 2022). La dernière mouture du texte est connue car la version finale du DMA vient d’être publiée au Journal officiel de l’Union européenne le 12 octobre 2022. L’entrée en vigueur est prévue « le vingtième jour suivant celui de sa publication » et l’entrée en application est prévue pour le 2 mai 2023, sauf disposition spéciale (DMA, art. 54). Cette publication marque l’aboutissement de la stratégie de marché unique numérique dont le règlement « Platform to Business » de 2019 promouvant l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne avait constitué une étape majeure.

Quels changements ? - Au premier regard, on constate que le DMA a été considérablement enrichi (79 considérants et 39 articles dans le projet contre 109 considérants et 54 articles dans sa version finale). En revanche, la structure du texte en six chapitres est restée inchangée :

  • le premier classiquement intitulé « objet, champ d’application et définitions » ;
  • le deuxième portant sur le « contrôleur d’accès » ;
  • le troisième sur les « pratiques des contrôleurs d’accès qui limitent la contestabilité ou sont déloyales » ;
  • le quatrième sur l’« enquête de marché » ;
  • le cinquième sur les « pouvoirs d’enquête, de coercition et de contrôle » ;
  • le dernier comporte les « dispositions finales ».

Bien que l’architecture globale ait été conservée, certaines modifications ou apports nouveaux méritent d’être relevés.

Le contrôleur d’accès, notion centrale de la régulation européenne du marché numérique

Le contrôleur d’accès - Le projet de DMA proposait la création d’une nouvelle catégorie d’opérateur à travers la notion de « contrôleur d’accès ». Traduit de l’anglais gatekeeper, cette qualification désigne un acteur du marché numérique, dont le poids économique, le rôle et l’influence, lui permette de contrôler l’accès à un marché donné. On comprend aisément qu’ici sont ciblés sans les nommer, les géants du numérique, principalement américains et chinois. Plus précisément, un contrôleur d’accès est défini comme « une entreprise fournissant des services de...

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