Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

La lutte contre les violences faites aux femmes en France est insuffisante au regard de la Convention d’Istanbul

Le plan de lutte contre les violences faites aux femmes, présenté fin novembre à l’issu du Grenelle, semble être une réponse insuffisante, ou tout du moins partielle, au regard des obligations internationales que la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes fait peser sur la France. 

par Charlotte Collinle 12 décembre 2019

La Convention d’Istanbul, ou Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, est peu connue. Signée en 2011 et ratifiée par la France le 4 juillet 2014, la Convention est pourtant entrée en vigueur le 1er novembre 2014, soit il y a plus de cinq ans. En plus de prévoir un ensemble d’obligations à la charge des États, elle crée le Groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, qui a dressé en novembre dernier un premier rapport sur la mise en œuvre de la Convention par la France. S’il souligne l’engagement des autorités françaises dans la lutte contre les violences faîtes aux femmes, le rapport regrette néanmoins des lacunes et recommande un certain nombre de mesures, notamment budgétaires, pour renforcer la protection des victimes. Les mesures annoncées lors du Grenelle des violences conjugales n’y apportent qu’une réponse partielle, notamment sur le plan du droit pénal.

La Convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique : une obligation internationale des États

La Convention d’Istanbul résulte d’une série d’initiatives du Conseil de l’Europe, qui se sont multipliées dès les années 1990 pour promouvoir la protection des femmes contre la violence. Elles ont en particulier débouché sur l’adoption en 2002 de la Recommandation Rec(2002)5 du Comité des ministres aux États membres sur la protection des femmes contre la violence, ainsi qu’une campagne de lutte contre la violence à l’égard des femmes, y compris la violence domestique, menée de 2006 à 2008. L’Assemblée parlementaire a quant à elle adopté un certain nombre de résolutions et de recommandations réclamant l’adoption de normes juridiquement contraignantes sur la prévention et la protection de violence. En décembre 2008, le Comité des ministres a en outre créé un groupe d’expert chargé de préparer un projet de convention. Le Comité ad hoc pour prévenir et combattre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique a finalisé un projet de convention en décembre 2010, adopté en avril 2011. La Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique a été ouverte à la signature le 11 mai 2011 à l’occasion de la 121e session du Comité des ministres à Istanbul (v. Violences faites aux femmes - Le renforcement de la lutte, J uris associations 2011 ; Dervieux,  Lutte contre les violences à l’égard des femmes ; Ancel, Les violences conjugales saisies par le droit européen : évolution ou révolution ?).

La Convention prévoit notamment une obligation de diligence voulue des États à prendre les mesures législatives et autres dispositifs nécessaires afin de « prévenir, enquêter sur, punir et accorder une réparation pour les actes de violence » (art. 5), l’obligation des États de soutenir le travail des organisations non gouvernementales (art. 9), une obligation de prévention (art. 12 s.), d’adopter des mesures de protection (art. 18 s.), etc. Le champ d’application de la Convention est par ailleurs large, et englobe les violences psychologiques, physiques, sexuelles (y compris le viol), les mariages forcés, les mutilations génitales féminines, l’avortement et la stérilisation forcée, le harcèlement sexuel (art. 32 s.). Les États parties à la Convention, comme la France, ont donc une obligation internationale en matière de prévention et lutte contre la violence à l’égard des femmes.

La France épinglée par le Groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique

La Convention crée en outre un mécanisme de suivi (art. 66 s.). En particulier, le Groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (GREVIO), composé de dix à quinze membres élus et dotés de garanties d’indépendances, est chargé de veiller à l’application de la Convention par les Parties. Or, ce dernier a dressé, en novembre dernier, un premier rapport sur la mise en œuvre de la Convention par la France. S’il souligne l’engagement des autorités françaises dans la lutte contre les violences faîtes aux femmes, le rapport regrette néanmoins des lacunes et recommande un certain nombre de mesures, notamment budgétaires, pour renforcer la protection des victimes. Au plan législatif, le rapport souligne en particulier que la définition des agressions sexuelles et du viol ne repose pas sur l’absence de consentement libre mais requiert plutôt le recours à la contrainte, violence, menace ou surprise, ce qui ne permet pas de répondre à l’ensemble des situations de violence prévues par la Convention. De même, la pratique de correctionnalisation, requalifiant le délit de crime de viol est également jugée contraire aux objectifs et aux dispositions de la Convention (v. sur ce point, S. Grunvald, Les correctionnalisations de l’infraction de viol dans la chaîne pénale).

Le Grenelle : une réponse suffisante ?

Dans sa réponse écrite au rapport (Commentaires soumis par la France sur le rapport final du GREVIO sur la mise en œuvre de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique », réceptionnés par le GREVIO le 14 novembre 2019, GREVIO/Inf(2019)17), le récent Grenelle des violences conjugales était présenté comme une réponse aux lacunes soulevées par le rapport et annonçait la création d’ici 2020 de 1 000 nouvelles places d’hébergement et de logement temporaire pour les femmes victimes de violence ainsi qu’une plateforme de géolocalisation mise à la disposition des forces de l’ordre, pour identifier en temps réel les places d’hébergement, la mise en place d’un bracelet électronique antirapprochement, l’expérimentation d’une filière d’urgence de traitement judiciaire des violences au sein du couple avec l’identification de procureurs de référents spécialisés, la possibilité pour les victimes de bénéficier de la garantie locative pour faciliter leur relogement (Dalloz actualité,  isset(node/198245) ? node/198245 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>Violences conjugales : Matignon dévoile le plan de lutte du Grenelle ; Dalloz actualité,  isset(node/197905) ? node/197905 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>Violences conjugales : « 66 propositions pour un changement systémique » ; Dalloz actualité,  isset(node/197329) ? node/197329 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>Violences conjugales : vers des évolutions législatives).

Elle laisse cependant certaines remarques du comité sans véritable réponse. Ainsi par exemple, du point de vue de l’exhortation du GREVIO en matière de droit pénal, les autorités françaises se contentent d’expliquer que « [l]e droit pénal français considère que, dès lors qu’une relation sexuelle est obtenue par l’utilisation des moyens coercitifs cités par l’article 222-23 du code pénal (violence, contrainte, menace ou surprise), la victime n’a pas accepté librement cet acte et l’infraction pénale se trouve alors constituée. Le consentement se trouve bien au centre de la définition juridique du viol, la jurisprudence, ancienne et très claire sur ce point, indiquant que le défaut de consentement résulte de la violence physique ou morale exercée à l’égard de la victime, ou de tout autre moyen de contrainte, menace ou surprise dans le but d’abuser une personne, en dehors de sa volonté (…) » (p. 13-14 des commentaires). Les commentaires mentionnent par ailleurs la loi de réforme pour la justice du 23 mars 2019, qui a prévu l’expérimentation pour une durée de trois ans d’une Cour criminelle en première instance pour accélérer le jugement d’affaires criminelles habituellement correctionnalisées.

Les mesures annoncées lors du Grenelle ne semblent par ailleurs pas apporter de réponse supplémentaire. Par conséquent, le prochain rapport du GREVIO, prévu pour 2026, sera d’un grand intérêt pour déterminer si l’État français agit suffisamment en matière de prévention et de lutte contre la violence faite aux femmes. En attendant, l’obligation de diligence voulue, que fait peser l’article 5 de la Convention sur l’État français, pourrait laisser fleurir dans l’imagination des acteurs de la protection des femmes l’idée d’engager la responsabilité de l’État français sur le modèle des contentieux climatiques en cours (Cournil, Le Dylio, Mougeolle, L’affaire du siècle ; entre continuité et innovations juridiques, AJDA 2019 ; Van Lang, L’hypothèse d’une action en responsabilité contre l’État, RFDA 2019)