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Maeva S. : souffrances, djihad et rédemption

La jeune femme de 24 ans a été condamnée vendredi 23 mars à huit ans d’emprisonnement, notamment pour s’être rendue en Syrie. Dans le box, une personnalité complexe et fragile a raconté sa vie chaotique, son séjour dans les rangs de Daech et la volonté de se reconstruire.

par Julien Mucchiellile 26 mars 2018

D’abord, Maeva S., c’est un corps frêle et une voix fluette. Ses mains triturent avec force la partie basse de la vitre du box de la 16e chambre correctionnelle, quand elle fait le récit incroyablement dense et minutieux, d’une vie chaotique qui la mena en Syrie. Elle comparaît pour ce séjour de quatorze mois et pour avoir incité des adolescentes françaises à la rejoindre, en fournissant des informations et une aide logistique. À d’autres, elle aurait conseillé de commettre des attentats en France. Enfin, elle aurait joué les entremetteuses pour djihadistes esseulées, qui lui a valu le sobriquet médiatique de « marieuse de Daech ».

Maeva S., 24 ans, c’est une vie de fuite et de recherche. « Je suis née à Nice, ma mère avait 20 ans, mon père était militaire casque bleu, il revenait de Bosnie, il était traumatisé et ne parlait que des horreurs qu’il avait vu. Ma mère, apeurée, lui a dit de partir. Personne ne l’a jamais revu. » Elle n’a aucun souvenir de lui, ce qui la hante encore. Le compagnon suivant de sa mère (un autre militaire), avec qui elle vit, dans le Var, de quatre à dix ans, l’élève : « Déjà, ma mère ne s’occupait pas de moi », rapporte-t-elle. Sa mère le quitte en 2003 et la dépose chez ses grands-parents paternels : « Elle m’a dit, c’est chez ta grand-mère ou à la DDASS, puis elle est partie. J’ai eu là-bas une éducation à la dure : ça m’a forgée. »

Mais voilà que la mère fuyante, en 2007, décide de l’arracher à cette éducation, à cette stabilité, pour l’installer dans l’appartement qu’elle partage avec son nouveau compagnon, au Mans. Elle travaille à Orléans et Maeva est souvent seule avec cet homme. Fred est un militaire – encore –, un homme ombrageux qui aime imposer des « programmes » : « Il mène la vie comme des interrogatoires. Le soir, il est là, en caleçon, et il me frappe. Il m’infligeait des sévices », relate Maeva, en tremblant. Fred la frappe devant sa mère, qui s’en moque. « J’ai alors compris que j’étais en danger, j’ai alerté mes amies et j’ai fui. » S’en suit une année où Maeva survit dans un appartement qu’elle loue elle-même (« Je n’ai pas vraiment mangé pendant un an, je buvais de l’eau sucré et du thé »). Puis son grand-père maternel, à la rescousse, ce vieil homme qui aujourd’hui tend l’oreille du fond de la salle d’audience, vient la chercher et l’accueille chez lui, près de Draguignan. « Ça se passe mal, je ne me sens pas à ma place, je fais une première tentative de suicide. » Elle déménage chez sa grand-mère.

Du hidjab au jilbeb, de Draguignan à la Syrie

Elle se convertit à l’Islam à l’été 2010 – elle a presque dix-sept ans. « Je m’instruis toute seule, sur internet et dans les livres. » Elle met le voile, un simple hidjab, à partir d’août 2011. Bien qu’elle l’ôte au lycée, le conseiller d’orientation la convoque et l’interroge sur sa pratique religieuse, qu’il n’apprécie guère. Elle décide de quitter le lycée et de rejoindre une amie dans la Sarthe, où elle travaille dans le commerce pendant plusieurs mois, jusqu’en décembre 2012. Son employeur ferme boutique, elle rentre dans le Sud.

« En 2013, j’ai commencé à me tourner plus vers la religion » : Maeva est une jeune adulte qui découvre la foi. Elle passe au « jilbeb », un voile plus couvrant, au printemps 2013. Les amies musulmanes qu’elle fréquente sont salafistes, elle, non, ce qui l’isole. À la maison, ça ne se passe très bien avec le tonton raciste, qui la traite de « sale arabe », de « chauve souris ». Maeva se renferme. « J’étais dans mes livres et sur internet, tout le temps », prémices de sa radicalisation. Un jour, un certain Abou Zahra l’ajoute sur Facebook. Elle fait la connaissance virtuelle de ce Français, installé en Syrie depuis quelques mois, qui vante cette terre d’Islam et l’incite à faire sa « hidjra », son émigration. Maeva est séduite par cet homme, Ziyeid Souied de son vrai nom, qui lui fait miroiter un mariage prospère et la sensibilise davantage encore aux souffrances du peuple syrien, bombardé par le régime. Et puis, rien ne la retient en France : elle est malheureuse et se sent rejetée.

Elle achète le nécessaire : des sous-vêtements, un fer à cheveux, le parfum « La vie est belle » de Nocibé, saugrenus accessoires pour une zone de guerre, mais révélateur de la béatitude qui l’habitait alors : « moi, j’étais heureuse, je partais simplement rejoindre mon futur époux, et c’est comme cela que je me voyais, comme une bonne épouse », rapporte-t-elle simplement. Le 13 mai 2014, elle rejoint la Turquie via Marseille, puis se rapproche de la frontière. Des passeurs l’attendaient, « un barbu et une femme en niqab ». Elle entre en Syrie le 14 mai. Le 15, elle épouse Abou Zahra et devient « Oum Zahra ».

C’était le nom de son profil Facebook, celui que contacteront plusieurs très jeunes filles ultra radicalisées pour tenter de rejoindre la Syrie. Maeva est désormais ce qu’il est convenu d’appeler une djihadiste : elle est l’épouse d’un combattant, qui agit sous la férule de l’émir Khattab, un puissant leader égyptien, qui lui intime l’ordre de rejoindre les rangs de Daech.

Oum Zahra la « recruteuse »

Particulièrement soucieuse de n’oublier aucun détail, avec une aisance verbale singulière dans ce box généralement dévolus à des discours plus limités, la prévenue est parfois coupée par la présidente qui tente de comprendre « l’état d’esprit » et les intentions qui en réalité animent une jeune femme qui rejoint un combattant en zone de guerre. C’est important, car Maeva S. se présente aujourd’hui en repentie, et affiche un remarquable détachement quand elle relate son séjour sur zone.

Dès juillet 2015, dit-elle, elle veut rentrer chez elle, terrorisée par les bombardements. La présidente lui oppose les SMS idylliques qu’elle envoie à ses grands-parents : « Ici, il n’y a pas de vol, pas de viol, pas de mal, en fait. On est tous droits. » Puis elle demande : « Si vous voulez rentrer, pourquoi aider d’autres filles à venir ? - Je ne sais pas, je ne comprends pas, je me rends compte que c’est très très grave », répond la prévenue.

Des jeunes filles de France l’abordent sur Facebook pour lui demander comment venir en Syrie. Aux enquêteurs, elle décrit son activité : « Il m’arrivait de me servir de mon compte pour aider des gens francophones qui se trouvaient en France ou en Tunisie à venir en Syrie. Moi, j’aidais les sœurs à venir, tandis que mon mari aidait les hommes. » Elle ajoute : « Je leur expliquais le trajet, de prendre l’avion jusqu’à Istanbul, puis prendre le bus ou l’avion jusqu’à Gaziantep et après je pouvais leur fournir un numéro de passeur que j’avais eu par mon mari. » Maeva S. poursuit : « en fait, elles me demandaient de l’aide et je les aidais à venir […] Je suis incapable de vous dire combien de femmes j’ai aidées. Il y en a eu beaucoup. Je ne sais pas s’il y avait des mineures, de toute façon on ne parlait pas d’âge. » Il y en avait : plusieurs d’entre elles, mises en examen dans la même information judiciaire, ont été jugées fin février par le tribunal pour enfants.

Maeva aurait en outre incité par messages une jeune française à commettre des attentats en France : « C’est quelqu’un d’autre, probablement mon mari, qui a utilisé mon compte Facebook. » Quant à son rôle de « marieuse », il n’est que très peu étayé par les investigations. Elle a trouvé un homme à une certaine Laura D., qui en avait besoin pour quitter la zone, rentrer en France. Une autre fois, elle aurait aidé l’émir Khattab à trouver une nouvelle épouse.

Vient le désenchantement. Maeva ne supporte plus les bombardements. Quand elle n’est pas terrée chez elle - une propriété de l’émir Khattab qu’il a mis à la disposition d’Abou Zahra, désormais membre de la police Islamique – elle erre dans les rues, pourvue d’une kalachnikov (les rues d’Al Bab ne sont plus sûres) pour apporter de l’aide aux blessés. Elle est de surcroît en mauvaise santé, opérée d’un sein. Alors enfin, Maeva fuit. Elle contacte les autorités françaises en janvier 2015, avant de quitter la zone de guerre. Elle rejoint la Turquie puis la France en juillet 2015, se montre coopérative avec la justice, parle des nombreux djihadistes (dont Émilie Koenig et Axel Baeza) cotoyés en Syrie et exprime avec véhémence sa condamnation de Daech et sa honte d’y avoir pris part. Elle répète à l’audience, souvent en tremblant, qu’elle « assume tout ce qu’elle a fait », mais pas tout ce qu’on lui reproche, ce qui signifie, pour le parquet, qu’elle ne se repent pas tout à fait.

La troisième Maeva, après l’enfant meurtrie qu’elle fut et la djihadiste qu’elle devint, est présentée comme une naissance : une femme assagie qui cherche la rédemption. Elle est placée sous contrôle judiciaire en janvier 2016, assignée à résidence 20 heures sur 24 (« ça ne vous change pas beaucoup de la Syrie, où vous ne sortiez guère de chez vous », fait remarquer la présidente). Elle suit des cours, est suivie par un psychologue, retrouve un travail. La présidente note qu’elle n’honore pas tous les rendez-vous avec sa CPIP, que son JAP est particulièrement compréhensif. Maeva se tend dans son box et semble s’agacer qu’on accueille cette pénitence avec prudence, et que le tribunal, méfiant – et sourd, croit-elle – se focalise sur les détails qui l’accablent.

D’un djihadiste à l’autre

Un de ces détails a semble-t-il ébranlé la bonne volonté de la justice, qui n’est déjà pas encline à la naïveté dans l’examen des dossiers de djihadistes. Courant 2017, Maeva S. s’est rapprochée, puis s’est mise en couple avec un homme, condamné en 2017 par la cour d’appel à huit ans d’emprisonnement pour s’être rendu en Syrie. Elle vient le visiter là où il est détenu, ce qui a fini par la renvoyer en détention à la fin de 2017, car Maeva S. avait pour obligation de ne pas fréquenter d’autres personnes « membres de l’État islamique ». Aujourd’hui, elle l’appelle « mon chéri », évoque leurs futures noces « franco-marocaines », après le mariage civil – que son conseil qualifiera facétieusement « d’allégeance aux lois de la République ». Elle a dans le regard l’inébranlable conviction qu’une nouvelle vie, après les ténèbres, s’ouvre à eux, les repentis de la barbarie obscurantiste.

Le procureur, qui n’est pas intervenu dans les débats, croit ce qu’il voit (les charges matérielles) et doute qu’elle soit sur une bonne voie. « Elle s’étonne, Maeva S., qu’on ne la croit pas, elle qui a été si ondoyante, si duplice et ambiguë durant toute la procédure. » Pour lui, Maeva c’est autant de vérités que de mensonges, ce sont des efforts mais aussi des preuves accablantes d’une radicalisation extrême. Il n’envisage pas la réinsertion de Maeva S. dans ces conditions : « La société peut attendre autre chose qu’un schéma où des individus qui ont été radicalisés, se remettent ensemble. »

Me Bruno Vinay, en défense, décrit une jeune femme « sous l’emprise de son mari » et de la religion, qui n’a agi qu’au regard des directives de son mari. « Maeva est suivie par un psychologue : elle souffre de troubles post-traumatiques, elle souffre aussi d’hystérie. Abandonnée par son père, puis par sa mère, abusée par son beau-père, c’est une fugitive du trauma », explique l’avocat. « Redouane est le seul qui peut la sortir de sa situation. Qui aujourd’hui voudrait se marier avec une djihadiste condamnée par la justice ? Ils forment un couple atypique, mais personne d’autre ne peut mieux la comprendre. »

Après une après-midi d’audience, alors que le parquet avait requis six ans d’emprisonnement, le tribunal a condamné Maeva S. à huit ans d’emprisonnement, assorti d’une peine de sûreté des deux tiers. Elle a interjeté appel.