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Le maire de Sanary, la promotion de sa maîtresse et la maison dans la pinède

Ferdinand Bernhard, 68 ans, est jugé par le tribunal correctionnel de Marseille pour six infractions, délits de favoritisme, prise illégale d’intérêt et détournements de fonds publics. Ce mardi, il s’est expliqué sur la promotion douteuse attribuée à sa maîtresse, un délit de favoritisme et une prise illégale d’intérêts dans le cadre d’un projet immobilier.

par Julien Mucchiellile 10 juin 2020

Une femme blonde se tient derrière la barre du tribunal correctionnel de Marseille. « Je me pose souvent des questions. Qu’est-ce que j’ai fait de mal ? Avec du recul, je me suis dit, “c’est pas possible”. — Je vous arrête tout de suite », dit la présidente, « la question qui se pose, c’est plutôt de savoir si vous n’avez pas été choisie, disons, pas pour les bonnes raisons. — Je considérais que je méritais ce poste », répond la prévenue Sybille B…, 49 ans.

Aux gendarmes, elle avait dit qu’elle ne pensait pas qu’elle était à la hauteur du poste. « Non, je parlais de mes diplômes », corrige-t-elle ce mardi 9 juin, devant les trois juges qui examinent les charges qui pèsent contre elles, de recel de prise illégale d’intérêts et de recel de détournement de fonds publics, pour avoir rempli les fonctions de directrice générale des services (DGS) de la commune de Sanary-sur-Mer, alors qu’elle ne remplissait pas les conditions de diplômes, ce qui intéresse la loi, et qu’elle était la maîtresse du maire Ferdinand Bernhard, poursuivi pour six infractions dans cette affaire, ce qui intéresse les juges. Au tribunal, Sybille B… explique qu’elle a été nommée en août 2009, et que sa relation a débuté en septembre. Une quasi-concomitance qui ne permet pas d’ôter le soupçon, car Sybille B… a bénéficié d’une promotion spectaculaire : de contrôleuse de gestion, elle est passée collaboratrice de cabinet, puis, conservant ce statut, elle est devenue la DGS, de facto, avec le salaire (environ 1 000 € de plus par mois).

Son mari lui avait pourtant dit : « Ce qui intéresse le maire, c’est de t’avoir à ses côtés. » Elle avait même concédé devant les gendarmes, en 2015, que, avec le recul, il avait sans doute raison. En juin 2020, avec plus de recul encore, elle ne pense pas devoir ce poste à sa relation.

Alors qu’il n’était pas interrogé à ce propos, Ferdinand Bernhard s’enflamme : « Je trouve indécent, surtout par les temps qui courent, de penser qu’une femme doit nécessairement une promotion à ses relations personnelles.

— Vous avez raison, convient la présidente, mais la question est de savoir si c’est vrai ou non. Vous n’avez pas craint qu’une confusion puisse naître du fait que vous attribuiez une promotion à votre maîtresse ?

— Très sincèrement, non, mais manifestement c’était le cas.

— Ce qui peut étonner, c’est le peu de recul que vous aviez sur son travail et sa personne et la vitesse à laquelle elle a été promue. Pour quelle raison avez-vous poussé sa rémunération au maximum ?

— Quand je suis satisfait d’un collaborateur, je fais en sorte qu’il reste.

— Qu’est-ce qu’elle devait faire, exactement ? Avait-elle un réel poste de collaborateur, délimité ?

— Elle a fait le travail d’un collaborateur de cabinet, avec des tâches administratives (qui incombent normalement à un DGS). J’ai toujours confié à mes collaborateurs des tâches qui allaient au-delà de leurs fonctions. »

Le fait qu’elle n’ait pas le pouvoir de signature ne posait-il pas de problème « dans le fonctionnement quotidien de la mairie ? », demande le procureur. Le maire prévenu répond que le cas de figure s’était déjà présenté dans le passé, mais que de toute façon il n’avait pas eu le choix car, à ce moment, il était « seul, seul, seul, seul », se lamente-t-il, sans personne parmi les 220 employés de la mairie pour occuper les fonctions stratégiques que Sybille S… a, semble-t-il, remplies sans démériter – il n’est aucunement reproché aux prévenus que l’emploi ait pu être fictif.

Il n’est pas non plus reproché à Ferdinand Bernhard d’avoir octroyé un contrat fictif à Geneviève G…, qui a bien rempli le bulletin municipal d’articles élogieux sur la ville de Sanary, mais qui n’a tout d’abord pas été mis en concurrence au prétexte qu’elle était la seule à pouvoir s’acquitter de cette mission (C. marchés, art. 35), prétexte fallacieux pour les juges et pour Éric B…, responsable des marchés publics débarqué en 2009, qui s’est empressé de rappeler les règles qui régissent la commande publique et d’ordonner que la rédactrice du bulletin soit désormais désignée par un marché public (à procédure adaptée), ce qui fut fait. Ferdinand Bernhard dit s’en être remis aux services de sa mairie, mais sa signature figure au bas du contrat et il doit répondre du chef de délit de favoritisme.

La dernière affaire se passe en bord de mer, tout près de la pinède, dans un terrain enclavé dont le maire a fait l’acquisition. C’est une affaire d’urbanisme aux multiples rebondissements, qui peut être résumée ainsi : le 29 juin 2009, Ferdinand Bernhard signe un compromis de vente pour l’acquisition d’une parcelle, enclavée, peu onéreuse de ce fait. Le 10 novembre 2009, il dépose une demande de permis de construire. Mais il ne peut pas construire, car il lui faut obtenir une servitude de passage, qui ne sera consentie par un voisin que le 22 décembre, par un acte signé sous seing privé, qui n’est pas opposable aux tiers. Entre-temps, il a lancé les travaux, avant même d’acquérir le bien, et avant même l’expiration du délai légal de contestation du permis (deux mois), qui a débuté le 23 novembre, date à laquelle ses services, diligents, l’ont validé. Cette validation pose problème, car elle a été faite par l’habituel délégataire, alors que s’agissant des affaires du maire, la loi impose une délibération municipale spéciale. Pourtant, Ferdinand Bernhard a demandé à tout le monde, y compris « des amis spécialistes en droit administratif », pour être certain que même « le plus tordu des tordus » ne trouverait rien à redire. « Personne ne savait ! », déplore le maire devant le tribunal, en se tamponnant les pommettes avec un mouchoir. D’une voix calme, l’assesseur lui indique : « C’était dans l’article 422-7 du code de l’urbanisme depuis deux ans », ce qui laisse entendre que Ferdinand Bernhard est soit versé dans la malice, soit très rétif au droit administratif.

En 2010, les travaux sont lancés. L’affichage du permis de construire n’est pas visible depuis la voie publique ? Peu importe, il a été « attaqué cinq fois, je n’ai jamais vu ça en trente et un ans ! » L’acte de vente est signé le 21 avril 2010 et, peu après, Ferdinand Bernhard obtient une autre servitude de passage, consentie par acte authentique, cette fois-ci. Le 28 juillet, le conseil municipal se réunit, afin d’approuver la création d’une voie de liaison entre deux chemins, qui intéressaient, selon l’accusation, le projet du maire, car cela lui aurait permis d’avoir un accès sur la voie publique. « Je n’ai plus besoin de cet accès, conteste-t-il, car j’ai un droit de passage ! — Vous estimez que remplacer le droit de passage par une servitude, c’est satisfaisant ? — Non », admet le prévenu. Quant au conseil du 28 juillet : le maire a exposé le projet, quitté la salle pour le vote, et est revenu pour signer le procès-verbal. « Soit ça ne vous concerne pas et vous restez, soit ça vous concerne et nous n’assistez à rien », l’informe le juge assesseur, déconcerté. La présidente résume simplement : « Est-ce que vous ne seriez pas arrivé à vos fins ? C’est ça la question. »

Réquisitoire et plaidoiries, ce mercredi.