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Majeur protégé, succession et assurance de personne : précisions

L’autorisation du juge des tutelles n’empêche pas la réintégration à la succession des primes manifestement excessives au regard des facultés du souscripteur.

par Nathalie Peterkale 22 février 2018

L’importance des enjeux que soulève l’arrêt de la première chambre civile du 7 février 2018, justifie qu’il soit appelé à une très large diffusion (FS-P+B+I).

Un juge des tutelles avait autorisé une Union départementale des associations familiales (UDAF) à placer sur un contrat d’assurance vie souscrit au nom d’un majeur en tutelle le prix de vente d’un immeuble. Au décès du tutélaire, ses quatre enfants ont reçu chacun leur quote-part du capital de l’assurance vie. Quatre mois après l’ouverture de la succession, la caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (la CARSAT), a fait opposition à la liquidation de la succession afin d’obtenir le remboursement des prestations servies au tutélaire au titre de l’Association de solidarité aux personnes âgées (ASPA). Elle a ainsi réclamé la réintégration à l’actif successoral du montant des primes d’assurance vie versées par l’UDAF après le 70e anniversaire du majeur sous tutelle et demandé à chaque héritier la somme de 11 500 € correspondant à sa quote-part.

L’une des filles du majeur a contesté cette demande. Déboutée en appel, elle a fait valoir devant la Cour de cassation, d’une part, que « lorsque la souscription d’un contrat d’assurance vie et les primes versées à ce titre ont fait l’objet d’une autorisation du juge des tutelles, qui les a estimées conformes aux intérêts du majeur protégé, ces primes ne peuvent jamais être considérées comme manifestement exagérées et souscrites en fraude des droits des créanciers » et, d’autre part, le jeu de la décharge prévue à l’article 786, alinéa 2, du code civil de tout ou partie d’une dette successorale que l’héritier avait des motifs légitimes d’ignorer, au moment de l’acceptation, lorsque l’acquittement de cette dette aurait pour effet d’obérer gravement son patrimoine personnel, l’endettement devant s’apprécier à la date à laquelle le juge statue.

La Cour de cassation rejette cette double argumentation au motif, d’abord, que « l’autorisation donnée par le juge des tutelles à un tuteur de placer, sur un contrat d’assurance sur la vie, des capitaux revenant à un majeur protégé, ne prive pas les créanciers du droit qu’ils tiennent de l’article L. 132-13 du code des assurances de revendiquer la réintégration, à l’actif de la succession, des primes versées par le souscripteur qui sont manifestement excessives au regard de ses facultés » et, ensuite, « que la décharge prévue à l’article 786, alinéa 2, du code civil ne s’applique qu’aux dettes successorales, nées avant le décès et qui sont le fait du défunt ; que les sommes servies au titre de l’allocation de solidarité aux personnes âgées, qui peuvent être récupérées après le décès du bénéficiaire sur une fraction de l’actif net, en application de l’article L. 815-13 du code de la sécurité sociale, ne constituent pas des dettes successorales mais des charges de la succession, nées après le décès de l’allocataire ».

Sur le premier point, la solution de l’arrêt paraît, de prime abord, surprenante. En effet, l’appréciation de l’excès manifeste des primes, au moment du versement de celles-ci, repose sur le triple critère de l’âge, de la situation familiale et patrimoniale du souscripteur (Cass., ch. mixte, 23 nov. 2004 (4 arrêts), AJDA 2004. 2302 , obs. M.-C. Montecler et P. Seydoux ; D. 2005. 1905 , note B. Beignier ; RDI 2005. 11, obs. L. Grynbaum ; RTD civ. 2005. 88, obs. R. Encinas de Munagorri ; ibid. 434, obs. M. Grimaldi ). Pour autant, ces critères et notamment celui tiré de l’âge impliquent de rechercher, pour apprécier l’excès manifeste des primes, l’utilité du contrat pour l’assuré (Civ. 1re, 4 juin 2009, n° 08-15.050 ; 17 juin 2009, n° 08-13.620, Bull. civ. I, n° 136 ; Dalloz actualité, 3 juill. 2009, obs. A. Huc-Beauchamps isset(node/131758) ? node/131758 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>131758 ; Civ. 2e, 17 sept. 2009, n° 08-17.040, RGDA 2009, p. 1227 (1re à 3e esp.), note L. Mayaux ; 19 mai 2016, n° 15-19.458, RGDA juill. 2016, 113r0, p. 375, note L. Mayaux).

Dès lors, l’autorisation du juge des tutelles paraît faire obstacle à leur réintégration à l’actif successoral. On conçoit malaisément, en effet, que le juge des tutelles permette le versement de primes sur le contrat de la personne protégée sans vérifier, au préalable, la conformité de ce dernier à ses intérêts. Les articles 415, alinéa 3 et 510, qui érigent l’intérêt et l’utilité de l’opération en critères de l’autorisation judiciaire, fournissent un puissant argument en sens. Il n’en demeure pas moins que l’utilité de l’acte ne doit pas conduire à gommer les autres critères de l’excès manifeste des primes. Tel est l’enseignement de l’arrêt. En l’espèce, la Cour de cassation relève que « l’autorisation du juge résulte de la nécessité d’assurer la gestion des ressources du majeur protégé en permettant au tuteur, soit de procéder au placement des fonds, ouvrant ainsi à la CARSAT la possibilité de récupérer les sommes versées au titre de l’allocation de solidarité aux personnes âgées, après le décès, dans les conditions fixées à l’article L. 815-13 du code de la sécurité sociale, soit d’affecter les fonds à l’entretien du majeur protégé, renonçant ainsi au bénéfice de cette allocation ; que la cour d’appel en a exactement déduit que l’autorisation judiciaire du placement ne faisait pas obstacle à la demande en réintégration à l’actif successoral des primes manifestement excessives au regard des très faibles ressources de P. B. ».

C’est dire que s’il est utile pour le majeur parce qu’il permet, soit de lui constituer un capital, soit de lui procurer une épargne dans laquelle puiser des liquidités pour dégager des ressources, le montant des primes n’en peut être pas moins excessif au regard de ses facultés. Or, ici, les primes versées atteignaient la somme de 46 000 €, cependant que les ressources du tutélaire étaient inférieures, à la date de la souscription de l’assurance vie, à 591 € par mois et que le montant total des sommes versées au titre de l’ASPA s’élevait à 50 606 €.

Sur le second point, la Cour de cassation prend soin de délimiter, d’une manière remarquablement didactique, les contours de la décharge prévue à l’article 786, alinéa 2. Ce dernier confère au juge un « pouvoir modérateur » de l’obligation ultra vires successionis, en lui permettant de procéder à la décharge de tout ou partie de l’obligation à une dette successorale que l’héritier acceptant pur et simple avait des motifs légitimes d’ignorer au moment de l’acceptation, lorsque l’acquittement de cette dette aurait pour effet d’obérer gravement son patrimoine personnel. Soumise à de strictes conditions, la mise en œuvre du texte implique que le passif dont l’héritier demande à être exempté corresponde à une « dette » de la succession et non pas à une charge. Cette dernière recouvre non pas les dettes souscrites par le de cujus mais celles nées après l’ouverture de la succession puisant leur source dans le décès ou les nécessités du règlement de celle-ci. Si l’assimilation des charges au passif successoral repose sur le souci de faire bénéficier les dépenses indispensables au décès du régime des dettes de la succession, elle trouve ses limites notamment à l’article 786, alinéa 2. L’exclusion des charges du domaine du texte tient ici à ce que leur fait générateur a pris naissance postérieurement à l’ouverture de la succession. L’héritier ne peut donc pas prétendre les avoir légitimement ignorées au moment de l’exercice de l’option (F. Terré, Y. Lequette et S. Gaudemet, Droit civil. Les successions. Les libéralités, 4e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2014, nos 900 et 918). Dans le cas des charges « lato sensu » découlant de la récupération sur la succession des prestations sociales versées au de cujus (C. Brenner, J.-Cl. civ., art. 870 à 877, fasc. 10, n° 96), l’application de l’article 786, alinéa 2, conduirait en outre à faire échec la solidarité nationale et familiale qui dicte cette récupération toutes les fois que la succession du bénéficiaire est, grâce à la réintégration des primes, excédentaire.