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Majeurs protégés : capacité commerciale de la personne en curatelle

Aucun texte n’interdit à la personne en curatelle d’exercer le commerce, celle-ci devant toutefois être assistée de son curateur pour accomplir les actes de disposition que requiert l’exercice de cette activité. Aucun texte n’interdit donc à une personne en curatelle d’exercer une activité d’« apporteur d’affaires en agence immobilière » sous le régime de la micro-entreprise.

par Nathalie Peterkale 20 décembre 2018

L’avis du 6 décembre 2018 revêt, à l’instar de celui rendu le même jour relatif à la protection des comptes bancaires de la personne protégée, une importance cruciale pour la protection juridique des majeurs (Civ. 1re, avis, 6 déc. 2018, n° 15016 P+B+I). Il illustre, de manière particulièrement remarquable, l’attraction de la matière vers un système de protection plus respectueux des droits fondamentaux de la personne fragile, dont la liberté du commerce et de l’industrie fait partie.

En l’espèce, une personne en curatelle envisageait d’exercer une activité d’« apporteur d’affaires en agence immobilière » sous la forme de la micro-entreprise. Le juge des tutelles a alors saisi la Cour de cassation pour avis en lui demandant si « un majeur bénéficiant d’une mesure de protection judiciaire d’assistance (curatelle simple ou renforcée) peut (…) exercer une activité commerciale, artisanale ou libérale sous la forme d’auto-entreprise ».

La Haute juridiction lui répond qu’« aucun texte n’interdit à la personne en curatelle d’exercer le commerce, celle-ci devant toutefois être assistée de son curateur pour accomplir les actes de disposition que requiert l’exercice de cette activité. Aucun texte n’interdit donc à une personne en curatelle d’exercer une activité d’« apporteur d’affaires en agence immobilière » sous le régime de la micro-entreprise ». L’avis tranche ainsi, dans un sens favorable, la question de la capacité commerciale du majeur en curatelle. La solution appelle une double remarque, sur le terrain de cette capacité (1) puis, au-delà, sur celui de sa capacité civile (2).

1. S’agissant de la capacité commerciale, il convient de préciser d’emblée que la reconnaissance de celle-ci est indépendante de l’obligation faite à la personne protégée de régler les cotisations résultant de l’affiliation à un régime spécial d’assurance vieillesse des commerçants. Celle-ci ne dépend pas, en effet, de la capacité d’exercer le commerce de l’assuré mais de l’exercice effectif par ce dernier d’une activité professionnelle comportant l’inscription au registre du commerce et des sociétés (Civ. 2e, 20 janv. 2012, n° 10-27.127, Bull. civ. II, n° 17 ; D. 2012. 370 ; ibid. 2699, obs. D. Noguéro et J.-M. Plazy ; AJ fam. 2012. 149, obs. T. Verheyde ; RDSS 2012. 395, obs. T. Tauran ; Dr. fam. 2012, no 51, note Maria ; LEFP mars 2012. 3, obs. G. Raoul-Cormeil). Ainsi que l’observe la première chambre civile, « le code de commerce ne contient aucune disposition relative à l’exercice du commerce par les majeurs protégés et le code civil n’en contient aucune sur l’exercice du commerce par un majeur en curatelle ». Le droit des majeurs protégés se distingue ici des textes relatifs à l’administration légale, lesquels permettent au mineur âgé de seize ans révolus d’accomplir seul, avec l’autorisation de son ou ses administrateurs légaux, les actes d’administration nécessaires à la création d’une entreprise individuelle à responsabilité limitée ou d’une société unipersonnelle (C. civ., art. 388-1-2). L’article L. 121-2 du code de commerce prévoit, par ailleurs, que « le mineur émancipé peut être commerçant sur autorisation du juge des tutelles au moment de la décision d’émancipation et du président du tribunal de grande instance s’il formule cette demande après avoir été émancipé ». L’article 509, 3°, du code civil dispose, en revanche que « le tuteur ne peut, même avec une autorisation, […] exercer le commerce ou une profession libérale au nom de la personne protégée ». Il en résulte, selon la Cour de cassation, que « la personne en tutelle ne peut jamais être représentée par son tuteur pour exercer le commerce ». Se posait, dès lors, la question de savoir si l’article 509, 3°, qui interdit au tuteur même autorisé par le juge de représenter le tutélaire pour l’exercice d’une telle activité, conduit à prohiber au curateur d’assister le curatélaire pour accomplir les actes de disposition afférents à l’exercice d’une activité commerciale ou d’une profession libérale.

Pareille interrogation fait l’objet d’une vive controverse doctrinale. En faveur de la transposition au curateur des interdictions faites au tuteur, il est possible d’invoquer la ratio legis de l’article 509, lequel repose sur la dangerosité des actes qu’il énumère ou l’opposition d’intérêts qu’ils véhiculent. Par ailleurs, plusieurs opérations listées par l’article 509 sont expressément autorisées sous la curatelle, ce qui suggérerait en creux que les actes ne faisant pas l’objet de dispositions spéciales demeurent interdits sous ce régime. Seules seraient alors exclues des interdictions faites au curateur la constitution d’une fiducie (C. civ., art. 468, al. 2) ainsi que la mainlevée d’hypothèque sans paiement, laquelle est qualifiée – bien qu’étant interdite sous la tutelle – d’acte de disposition par le décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008 (annexe 1, col. 2, I). On peut ajouter à cette argumentation le renvoi global effectué par l’article 467, pour la détermination des pouvoirs du curateur, au modèle de la tutelle. Ce dernier argument est, il est vrai, rejeté par la Cour de cassation mais la réfutation est bien trop molle pour emporter la conviction. Au-delà de ces arguments généraux, plusieurs justifications propres à l’exercice d’une activité commerciale peuvent être avancées. Outre le caractère personnel que présentent ces activités, la nécessité de protéger l’intéressé contre un passif professionnel menaçant son patrimoine personnel n’est pas des moindres (N. Peterka, A. Caron-Déglise, Protection de la personne vulnérable, 4e éd., Dalloz Action, 2017-2018, 2017, nos 343.101 et 355.31). En effet, le curateur ne dispose pas toujours du talent ou l’habileté requis pour éviter un tel passif.

Il n’en reste pas moins qu’en dépit des arguments susceptibles d’être invoqués en faveur de l’extension des interdictions de l’article 509 à la curatelle, une telle solution ne convainc pas et, cela, pour au moins deux raisons. D’abord, elle marque une rupture avec la solution retenue sous l’empire des dispositions anciennes, lesquelles étaient favorables à l’exercice du commerce par le majeur en curatelle à la condition qu’il fût assisté, pour chaque acte de commerce, par le curateur (J. Massip, Les incapacités. Étude théorique et pratique, préf. J. Carbonnier, Defrénois, 2002, n° 734 ; comp. J. Massip, Tutelle des mineurs et protection juridique des majeurs, Defrénois, 2009, n° 458, se prononçant néanmoins en faveur de l’application de l’article 509, 3° sous la curatelle ; comp. A. Gosselin-Gorand, L’incapacité commerciale après la réforme de la protection des majeurs protégés, JCP N 2008. 1289). Ensuite, elle heurte l’esprit de la réforme du 5 mars 2007, laquelle a entendu renforcer la gradation et l’individualisation des mesures de protection. Or, ces principes directeurs paraissent favorables à l’éligibilité des actes énumérés par l’article 509 à l’assistance du curateur (J.-Cl. Civ. Code, art. 503 à 509, par N. Peterka, n° 164). On ajoutera que la prohibition faite au curateur d’apporter son concours à la personne protégée pour l’accomplissement des actes visés par ce texte conduirait à interdire ici un allègement de la curatelle sur le fondement de l’article 471. Si, en effet, les actes visés par l’article 509 étaient considérés comme dangereux au point d’interdire au curateur d’assister la personne protégée, il ne serait pas cohérent de maintenir ou de restituer à cette dernière la capacité de les accomplir seule. L’éviction de l’article 509 sous la curatelle permet, au contraire, de conserver une souplesse suffisante dans le fonctionnement de la mesure de protection (N. Peterka et A. Caron-Déglise, op. cit., n° 343.102). Le raisonnement de l’avis décidant que, « dans le silence ou l’ambiguïté des textes, (les actes interdits au tuteur) doivent être interprétés dans un sens favorable à la capacité de la personne protégée », mérite donc d’être approuvé. Cela d’autant plus que, comme il le souligne, cette capacité s’exerce sous le contrôle du curateur, lequel peut saisir le juge des tutelles afin qu’il l’autorise à représenter ponctuellement la personne protégée si cette dernière compromet gravement ses intérêts (C. civ., art. 469, al. 2), et avec son assistance pour les actes de disposition sans préjudice d’un éventuel allègement ou élargissement de la curatelle (C. civ., art. 471). C’est dire que le curatélaire peut faire seul les actes d’administration et, avec l’assistance du curateur sous la réserve d’un allègement judiciaire de la mesure, les actes de disposition relatifs à l’exploitation d’un fonds de commerce ou d’un fonds d’exercice libéral. Il peut, avec l’assistance du curateur, entrer ou se maintenir dans une société de personnes, qu’il s’agisse d’une société en nom collectif ou d’une société en commandite simple ou par actions dans laquelle il est commandité. L’assistance sera néanmoins tributaire, pour la réalisation de l’apport, d’une éventuelle requalification de l’acte (Décr. n° 2008-1484 du 22 déc. 2008, annexe II, col. 2, II).

2. L’éviction de l’article 509, 3°, sous la curatelle doit-elle être étendue aux autres actes interdits au tuteur ? Convient-il, en d’autres termes, de considérer que le curateur peut assister la personne protégée pour l’ensemble des actes énumérés à l’article 509 ou d’interpréter isolément chaque alinéa du texte ? La question revêt une importance cruciale à l’heure où sont envisagées la suppression des mesures de protection judiciaire au profit d’une mesure unique d’assistance et l’ouverture à l’assistance de l’habilitation familiale et du mandat de protection future (AN, 15e législature, n° 1503, PLPJ, 13 déc. 2018 ; A. Caron-Déglise, Rapport de mission interministérielle. L’évolution de la protection juridique des personnes, sept. 2018). Sont ici en jeu les actes qui emportent une aliénation gratuite des biens ou des droits de la personne protégée sauf ce qui est dit à propos des donations, tels que la remise de dette, la renonciation gratuite à un droit acquis, la renonciation anticipée à l’action en réduction visée aux articles 929 à 930-5, la constitution gratuite d’une servitude ou d’une sûreté pour garantir la dette d’un tiers (C. civ., art. 509, 1°), l’acquisition d’un tiers d’un droit ou d’une créance que ce dernier détient contre la personne protégée (C. civ., art. 509, 2°), l’acquisition de ses biens ainsi que leur prise à bail ou à ferme, sous réserve des dispositions de l’article 508 (C. civ., art. 509, 4°). Deux séries d’actes méritent ici d’être isolés. D’abord ceux prévus à l’article 509, 2° et 4°. Le curateur étant par hypothèse en opposition d’intérêts pour l’accomplissement de ces opérations, l’interdiction doit pouvoir être levée à la faveur de la désignation d’un curateur ad hoc dans les conditions de l’article 455. La solution résulte, pour le curateur familial, des dispositions de l’article 508, alinéa 2, auquel renvoi l’article 467. L’éthique des mandataires professionnels conduit, en revanche, à mettre obstacle à ce qu’ils procèdent à de telle acquisitions. Vient, ensuite, la constitution gratuite d’une sûreté pour garantir la dette d’un tiers. Écartée sous l’administration légale par l’ordonnance n° 2015-1288 du 15 octobre 2015 (C. civ., art. 387-2), rien ne paraît plus justifier le maintien de cette prohibition notamment sous la curatelle. Cela d’autant plus que l’interdiction est susceptible dans bien des cas de se retourner contre la personne protégée, en mettant obstacle à la souscription d’un emprunt par le protecteur en vue de l’acquisition d’un immeuble indivis avec la personne protégée. Ici aussi, la protection de l’intéressé doit pouvoir être assurée par une meilleure régulation des conflits d’intérêts. Une homogénéisation des solutions serait donc souhaitable. Il n’en est pas moins incontestable que l’esprit de confiance baignant l’administration légale ne se retrouve pas avec la même vivacité, loin s’en faut, sous les mesures de protection judiciaire des majeurs, y compris en cas d’exercice familial. L’abrogation des immunités pénales dont bénéficiait le protecteur familial en est une parfaite illustration (C. pén., art. 311-12). Reste les interdictions de l’article 509, 1°, dont les contours sont pour le moins délicats à cerner (N. Peterka et A. Caron-Déglise, op. cit., n° 355.11). Là encore, le caractère péremptoire des interdictions – à l’exception de la prohibition de la renonciation anticipée à l’action en réduction mais non de la renonciation visée à l’article 924-4 – pourrait être atténué à la faveur de l’assistance de la personne protégée et la désignation d’un curateur ad hoc propre à purger un éventuel conflit d’intérêts.