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Majeurs protégés : portée de la règle de l’intangibilité des comptes bancaires

L’article 427 du code civil exige l’autorisation du juge des tutelles pour la modification ou la clôture des comptes ou livrets par la personne protégée assistée de son curateur, ainsi que pour l’ouverture d’un autre compte ou livret auprès d’un établissement habilité à recevoir des fonds du public.

par Nathalie Peterkale 18 décembre 2018

L’avis du 6 décembre 2018 est particulièrement riche d’enseignements, ainsi qu’en témoigne la mention P+B+I dont il est revêtu.

En l’espèce, un homme avait été placé sous curatelle renforcée pour une durée de cinq ans. Le service mandataire judiciaire à la protection des majeurs, désigné en qualité de curateur, avait demandé au juge des tutelles qu’il l’autorise à assister le majeur protégé pour ouvrir un nouveau compte auprès d’un établissement bancaire autre que sa banque d’origine avec laquelle le curatélaire rencontrait des difficultés pour se faire verser ses fonds. Le juge des tutelles a alors saisi la Cour de cassation d’une demande d’avis portant sur la question de savoir si « l’article 427 du code civil exige […] l’autorisation du juge des tutelles pour l’ouverture, la clôture ou la modification d’un compte bancaire par une personne protégée assistée de son curateur ».

La Cour de cassation lui répond que « l’article 427 du code civil exige l’autorisation du juge des tutelles pour la modification ou la clôture des comptes ou livrets par la personne protégée assistée de son curateur, ainsi que pour l’ouverture d’un autre compte ou livret auprès d’un établissement habilité à recevoir des fonds du public », au motif que « ce texte situé dans la première section du chapitre du code civil consacré aux mesures de protection juridique des majeurs, et contenant les dispositions générales communes à l’ensemble des mesures de protection, s’applique notamment aux mesures de curatelle. Il vise “la personne chargée de la mesure de protection”, et non pas seulement le tuteur ou mandataire spécial. Ce texte institue, comme le fait l’article 426, pour ce qui concerne le logement de la personne protégée et les meubles dont il est garni, une protection particulière et renforcée pour les comptes et livrets bancaires ouverts au nom de la personne protégée. Il s’ensuit que le curateur ne peut concourir, en assistant la personne protégée, à l’ouverture, la modification ou la clôture d’un compte bancaire par celle-ci sans l’autorisation du juge des tutelles ».

L’avis de première chambre civile apporte un double éclairage à la matière particulièrement sensible de la protection des comptes bancaires et des avoirs du majeur protégé, en précisant le domaine de celle-ci quant aux mesures de protection puis quant aux actes.

Sur le premier point, l’avis de la Cour de cassation ne surprendra personne. Il est admis, en effet, par la doctrine et la Chancellerie (circ. DACS CIV/01/09 : Application des dispositions législatives et réglementaires issues de la réforme du droit de la protection juridique des mineurs et des majeurs) que la règle de l’intangibilité des comptes bancaires de la personne protégée s’applique sous toutes les mesures de protection juridique, à l’exception de l’habilitation familiale où elle peut être néanmoins réintroduite par le juge (C. civ., art. 494-7). Pareille universalité de la protection bancaire se prévaut, à l’instar de celle du logement, d’un double argument. Celui, d’abord, de l’emplacement de l’article 427 au sein du code civil. Ainsi que le souligne la Cour de cassation, le texte relève, comme l’article 426 voué à la protection du logement, du chapitre du code civil consacré aux « mesures de protection juridique des majeurs », plus précisément de sa section première relative aux « dispositions générales ». Il en résulte, sans conteste, que la protection bancaire bénéficie, en l’absence de dispositions particulières telles que l’article 494-7 sous l’habilitation familiale, à tous les majeurs protégés, qu’ils soient sous tutelle, curatelle, sauvegarde de justice avec mandat spécial (C. civ., art. 437), dès lors que ce dernier couvre la gestion des comptes bancaires, ou mandat de protection future. L’universalité de la protection des comptes bancaires découle, ensuite, de la ratio legis de l’article 427. Ainsi que le fait très justement observer le parquet général, les comptes et livrets de la personne protégée ont été considérés par la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007, au même titre que le logement, les meubles qui le garnissent ainsi que les souvenirs et les objets à caractère personnel, comme des repères personnels fondamentaux de l’intéressé (avis av. gén. C. Marilly). La protection vise aussi à bannir la pratique, longtemps décriée, des comptes pivots consistant pour le mandataire de plusieurs majeurs protégés à encaisser les revenus de ceux-ci sur un compte qui lui est propre avant de les redistribuer aux intéressés. Afin d’y mettre un terme, l’article 427 interdit au protecteur, quelle que soit la nature de la mesure, d’ouvrir un autre compte ou livret auprès d’un établissement bancaire ou de modifier un tel compte sans y avoir été au préalable autorisé par le juge. Le protecteur est tenu, en principe, sous réserve des aménagements judiciaires de la mesure, de gérer les revenus et les fonds de la personne protégée sur un compte ouvert à son seul nom (N. Peterka et A. Caron-Déglise, Protection de la personne vulnérable, 4e éd., Dalloz action, 2017-2018, 2017, nos 212.21 à 212.26).

Pour autant, ces arguments valent-ils toujours lorsque, comme en l’espèce, le curatélaire et le curateur sont d’accord pour que le premier clôture son compte bancaire et ouvre un nouveau compte auprès d’un autre établissement avec l’assistance du second ? Quelle est, en d’autres termes, la plus-value de l’intervention du juge en l’absence d’opposition entre la personne protégée et la personne en charge de la mesure de protection ? L’interrogation prend tout son relief à la lumière de l’article 469, alinéa 1er, du code civil, selon lequel « le curateur ne peut se substituer à la personne en curatelle pour agir en son nom ». Elle en prend d’autant plus à l’aune du rapport de la mission interministérielle sur la protection des majeurs, défendant la mise en place d’un cadre juridique plus respectueux de l’autonomie et des choix de la personne (A. Caron-Déglise, Rapport de mission interministérielle. L’évolution de la protection juridique des personnes, sept. 2018). Si l’avis de la haute juridiction – qui maintient en pareille hypothèse la règle de l’autorisation judiciaire – peut a priori surprendre, il trouve appui à mieux y regarder sur de puissants arguments. D’une part, la limitation de l’article 427 aux seuls cas de désaccord du majeur en curatelle et du curateur conduirait à ériger le texte en un doublon, spécifique aux comptes bancaires, du pouvoir du curateur de solliciter du juge l’autorisation ponctuelle de représenter l’intéressé lorsque ce dernier compromet gravement ses intérêts par ses actions ou son inertie (C. civ., art. 469, al. 2). D’autre part, l’intervention du juge contribue en réalité, ici, à favoriser l’autonomie de la personne. Non seulement cette dernière doit pouvoir retrouver ses repères bancaires à la suite de l’allègement ou de la mainlevée de la mesure. Mais, encore, la conservation de ses repères permet d’aménager le fonctionnement de ses comptes afin de soutenir sa marge d’autonomie en fonction du degré d’altération de ses facultés. Le juge pourra ainsi autoriser la personne à faire fonctionner seule un ou plusieurs comptes ou livrets, selon des modalités qu’il fixe. La soumission de la modification des comptes bancaires à un contrôle judiciaire effectué en amont permet de s’assurer que celle-ci n’est pas de nature à entraver la réserve de capabilités restant à la personne.

Il n’est dès lors pas étonnant, sur le second point, que la protection s’étende à tous les actes relatifs au compte de la personne protégée. Qu’il s’agisse de la modification de ses comptes ou livrets et de l’ouverture d’un autre compte, expressément visées par l’article 427, alinéa 2. Il en est de même de la clôture du compte, laquelle est incluse au demeurant dans la modification (N. Peterka et A. Caron-Déglise, op. cit., n° 212.21 ; M. Couturier, Le compte en banque de la personne vulnérable, JCP N 2008. 1270). Outre que l’« on voit mal ce qui pourrait justifier une plus grande protection de l’ouverture d’un deuxième compte ou la modification d’un compte, que la clôture d’un compte », le décret n° 2008-1434 du 22 décembre 2008 qualifie expressément d’actes de disposition tant l’ouverture d’un autre compte, que la modification et la clôture du compte bancaire du majeur protégé », même s’il « n’opère un renvoi à l’article 427 du code civil que s’agissant des deux premiers (en ce sens, égal., v. avis av. gén. préc.). Au demeurant, la Cour de cassation a déjà appliqué l’article 427 à la clôture d’un compte, en imposant aux juges du fond d’« expliquer en quoi l’intérêt de la personne protégée commandait de procéder à la clôture de ses comptes bancaires » (Civ. 1re, 28 janv. 2015, n° 13-26.363, D. 2015. 1569, obs. J.-J. Lemouland, D. Noguéro et J.-M. Plazy ; AJ fam. 2015. 231, obs. V. Montourcy ; RTD civ. 2015. 357, obs. J. Hauser ). La solution mérite d’être pleinement approuvée tant il est vrai que l’exclusion de la clôture des comptes déjà ouverts avant la mise en place de la mesure conduirait à vider la protection organisée par l’article 427 d’une grande partie de sa substance. Une souplesse pourrait être en revanche introduite, ainsi que le suggère le rapport Caron-Déglise, pour celle des comptes ouverts pendant son fonctionnement (A. Caron-Déglise, préc., p. 67, prop. n° 8, p. 96).