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Mandat d’arrêt européen : absence de décision de remise aux autorités judiciaires françaises

Une personne remise à la France en exécution d’un mandat d’arrêt européen et qui n’a pas renoncé au principe de spécialité ne peut faire l’objet d’une mesure de détention provisoire pour une infraction autre que celle qui a motivé sa remise avant que son consentement ait été obtenu.

par Margaux Dominatile 18 octobre 2021

En l’espèce, dans le cadre d’une information judiciaire, un individu fait l’objet d’un mandat d’arrêt, en date du 27 juin 2019, mis à exécution par mandat d’arrêt européen le lendemain. Le 30 mai 2021, il est interpellé à Lisbonne. Le 11 juin de la même année, il est remis aux autorités judiciaires françaises par les autorités judiciaires portugaises, est présenté à un juge d’instruction et est mis en examen des chefs de direction d’un groupement ayant pour objet le trafic de stupéfiants, infractions à la législation sur les stupéfiants, blanchiment, blanchiment en bande organisée, association de malfaiteurs et importation de produits stupéfiants en bande organisée. Par une ordonnance du 16 juin 2021, le juge des libertés et de la détention a écarté son argumentation prise de la violation du principe de spécialité́ en raison de l’absence au dossier de la procédure de la décision de remise des autorités portugaises et a ordonné́ son placement en détention provisoire. Le prévenu forme appel de cette ordonnance. Le 25 juin 2021, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris rend un arrêt confirmatif. En substance, cette décision considérait qu’il résultait du procès-verbal de notification du mandat d’arrêt que l’intéressé avait été mis en examen exclusivement pour les faits pour lesquels le mandat d’arrêt européen avait été délivré (§ 14 de la présente décision). Il forme alors un pourvoi contre cette décision. Il considère en effet que la décision de remise aux autorités françaises ne figurait pas au dossier. Autrement dit, il soutient que le mandat d’arrêt émis à son encontre ne comportait pas l’intégralité des faits pour lesquels il avait été délivré, ces derniers n’étant « aucunement de nature à suppléer l’absence – non contestée – au dossier de la procédure de toute décision de remise permettant de s’assurer du respect de cette règle [de spécialité] » (§ 7).

Le mandat d’arrêt européen est une « décision judiciaire émise par un État membre de l’Union européenne, appelé État membre d’émission, en vue de l’arrestation et de la remise par un autre État membre, appelé État membre d’exécution, d’une personne recherchée pour l’exercice de poursuites pénales ou pour l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privative de liberté » (C. pr. pén., art. 695-11). Il est issue de la décision-cadre n° 2002/584/JAI du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (JOCE, n° L 190, 18 juill.), et fait figure de proue dans la coopération judiciaire pénale mise en œuvre par les États membres de l’Union européenne. Du fait de son succès, le mandat d’arrêt européen apparaît aujourd’hui comme la forme d’extradition la plus aboutie et constitue, à ce titre, un modèle d’intégration juridique (v. not., Rép. pén., Mandat d’arrêt européen, par J. Lelieur, n° 1).

Pour que le mandat d’arrêt européen émis par les autorités françaises puisse produire ses effets, celles-ci doivent veiller au respect des termes du mandat d’arrêt lui-même (v. not., B. Aubert, Mandat d’arrêt européen, RSC 2021. 531 ; J. Pradel, Le mandat d’arrêt européen, un premier pas vers une révolution copernicienne dans le droit français de l’extradition, D. 2004. 1392 ; D. Commaret, Le mandat d’arrêt européen, RSC 2005. 326 ; S. Enderlin, Le mandat d’arrêt européen et son application en Europe, AJ pénal 2006. 24 ; v. égal., V. Malabat, Observations sur la nature du mandat d’arrêt européen, Dr. pénal 2004. Étude 17). Ainsi, selon l’article 695-18 du code de procédure pénale, « le mandat ne peut conduire à poursuivre en France une personne livrée par un autre État membre que pour les faits ou les peines visées par ledit mandat » (v. not., Rép. pén., Mandat d’arrêt européen, par C. Mauro, n° 60). Autrement dit, le pays d’émission du mandat d’arrêt européen ne peut pas poursuivre le justiciable pour des faits distincts et antérieurs à ceux visés par le mandat (v. not., Rép. pén., Mandat d’arrêt européen, préc., n° 181). Cette règle, dite de « spécialité », dispose d’une importance fondamentale, certains l’ayant même qualifié de « principe », voire de « principe d’ordre public » (Crim. 29 nov. 2016, n° 15-86.712, Dalloz actualité, 12 déc. 2016, obs. S. Fucini ; D. 2016. 2465 ; ibid. 2017. 2501, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; AJ pénal 2017. 96 ; Dr. pénal 2017, n° 32, obs. P. Conte ; 2 déc. 2015, n° 13-80.751).

Toutefois, cette règle n’est pas absolue, puisque l’article 27 de la décision cadre n° 2002/584/JAI du Conseil du 13 juin 2002 et les articles 695-18, 695-19, 695-21 du code de procédure pénale en prévoient des exceptions (v. K Mariat, Le principe de spécialité du mandat d’arrêt européen dans la jurisprudence de la chambre criminelle, AJ pénal 2021. 189). En effet, selon le premier de ces textes, « le consentement de la personne remise doit être demandé […] et obtenu s’il y a lieu de faire exécuter une peine ou une mesure privatives de liberté́. La personne remise peut être poursuivie et condamnée pour une telle infraction avant que ce consentement ait été obtenu, pour autant qu’aucune mesure restrictive de liberté́ n’est appliquée au cours de la phase de poursuite ou de jugement relative à cette infraction » (§ 8 ; CJCE 1er déc. 2008, Artur Leymann, aff. C-388/08 PPU, Dalloz actualité, 11 déc. 2008, obs. C. Girault ; RSC 2009. 197, obs. L. Idot ; Europe, févr. 2009. Comm. F. Kauff-Gazin, n° 73). Selon l’article 695-18 du code de procédure pénale, ensuite, « lorsque le ministère public qui a émis le mandat d’arrêt européen a obtenu la remise de la personne recherchée, celle-ci ne peut être poursuivie, condamnée ou détenue en vue de l’exécution d’une peine privative de liberté́ pour un fait quelconque antérieur à la remise et autre que celui qui a motivé́ cette mesure, sauf dans l’un des cas énumérés audit article » (§ 9).

En l’espèce, l’intéressé avait certes consenti à sa remise, et avait été notifié de manière « élémentaire » de son mandat d’arrêt (§ 7). De plus, les faits avaient bénéficié d’une qualification pénale (v. not., Rép. pén., Mandat d’arrêt européen, préc., n° 154). Pour autant, la décision de remise aux autorités françaises ne figurait pas au dossier du mandat d’arrêt européen. Et c’est là que le bât blesse. Car la chambre de l’instruction soutenait que la notification suffisait à démontrer qu’il avait « été bien mis en examen exclusivement pour les faits pour lesquels le mandat d’arrêt avait été délivré ». Or, selon l’intéressé, cette notification ne suffisait pas à suppléer l’absence de la décision de remise du dossier.

Faisant preuve de pragmatisme, la chambre criminelle répond à cette problématique selon la formule mentionnée ci-après : « une personne remise à la France en exécution d’un mandat d’arrêt européen et qui n’a pas renoncé́ au principe de spécialité́ ne peut faire l’objet d’une mesure de détention provisoire pour une infraction autre que celle qui a motivé́ sa remise, avant que son consentement ait été obtenu, sauf si cette mesure privative de liberté́ est légalement justifiée par les autres chefs d’accusation figurant dans le mandat d’arrêt européen » (§ 11).

Par ailleurs, au visa de l’article 593 du code de procédure pénale, la chambre criminelle censurait ici la réponse apportée par la chambre de l’instruction (§ 15). En effet, celle-ci devait s’assurer du respect du principe de spécialité. Or, en se bornant à constater l’existence de la notification du mandat d’arrêt à l’intéressé, celle-ci s’était prononcée par des motifs inopérants. Elle aurait du « demander le versement au dossier [de la décision de remise des autorités judiciaires en cause], une telle demande constituant une vérification au sens de l’article 194, alinéa 4, du code de procédure pénale » (§ 13). « [Puis, elle aurait dû] rechercher [si l’intéressé] avait été placé en détention provisoire pour des chefs d’accusation pour lesquels ces autorités avaient ordonné́, au moins pour partie, sa remise » (§ 16).

Le lecteur ne saurait s’étonner de la solution adoptée. En effet, la chambre criminelle ne fait pas souvent œuvre d’indulgence lorsque sont en cause le principe de spécialité et le mandat d’arrêt européen (par ex., Crim. 1er juin 2021, n° 21-82.663, Dalloz actualité, 17 juin 2021, obs. M. Recotillet ; D. 2021. 1136 ; AJ pénal 2021. 432 et les obs. ; 18 déc. 2013, n° 13-87.755, Dalloz actualité, 17 janv. 2014, obs. F. Winckelmuller ; RTD eur. 2014. 465, obs. B. Thellier de Poncheville ; 3 nov. 2011, n° 11-83.578, Dalloz actualité, 17 nov. 2011, obs. C. Girault ; RTD eur. 2012. 515, obs. B. Thellier de Poncheville ; v. contra, Crim. 11 août 2021, n° 21-84.361, Dalloz actualité, 14 sept. 2021, obs. M. Recotillet). Encore moins lorsqu’il s’agit de vérifier la légalité d’un placement en détention provisoire (Crim. 14 oct. 2020, n° 20-82.961, Dalloz actualité, 23 nov. 2020, obs. D. Goetz ; D. 2020. 2014 ; ibid. 2021. 1564, obs. J.-B. Perrier ; AJ pénal 2021. 27, note J. Boudot ; RSC 2020. 967, obs. J.-P. Valat ; Dr. pénal 2020. Comm. 214, obs. A. Maron et M. Haas). Dès lors, cet arrêt a le mérite de rappeler une nouvelle fois l’office de la chambre de l’instruction s’agissant d’un placement en détention provisoire subséquent à l’exécution d’un mandat d’arrêt européen : le contrôle de la légalité du placement ou du maintien en détention (Crim. 9 févr. 2021, n° 20-86.339, Dalloz actualité, 5 mai 2021, obs. M. Recotillet ; AJ pénal 2021. 154 ). L’intéressé qui connaît un grief du fait de la légalité de sa remise à l’autorité judiciaire française doit donc pouvoir bénéficier de toutes les vérifications nécessaires, celles-ci devant être ordonnées par la chambre de l’instruction avant d’être, le cas échéant, placé en détention provisoire (v. not. Rép. pén., Mandat d’arrêt européen, préc., n° 183).