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Mandat de protection future : attention à l’inventaire et à la reddition de comptes

Justifie légalement sa décision de révoquer le mandat de protection future et d’ouvrir une mesure judiciaire de protection l’arrêt qui relève que le mandataire a manqué à son obligation de bonne gestion en produisant avec retard un inventaire lacunaire, en ne justifiant pas de l’utilisation des sommes importantes prélevées sur les comptes du mandant et en omettant de procéder à la déclaration d’ISF de ce dernier.

par Nathalie Peterkale 21 mai 2019

L’arrêt du 17 avril 2019 propulse, une nouvelle fois, sur le devant de la scène juridique la fragilité du mandat de protection future quant au respect des prévisions du mandant.

En l’espèce, un homme avait confié un mandat de protection future notarié à son épouse en secondes noces. Deux ans après la mise en œuvre du mandat, sa fille issue d’une précédente union a saisi le juge des tutelles d’une requête en vue de l’ouverture d’une mesure de protection judiciaire. La cour d’appel de Bordeaux a fait droit à sa demande et placé le mandant sous curatelle renforcée en désignant l’Union nationale des associations familiales (UDAF) curatrice aux biens et l’épouse de la personne protégée curatrice à la personne. Dans leur pourvoi, la mandataire et le mandant reprochaient à la cour d’appel d’avoir entaché sa décision de contradiction, en relevant tout à la fois que le mandat de protection future n’assurait plus la protection du mandant et en ayant désigné l’épouse en qualité de curatrice à la personne. Ils se fondaient, principalement, sur l’article 12 de la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées (CIDPH), selon lequel les mesures relatives à l’exercice de la capacité juridique doivent respecter les droits, la volonté et les préférences de la personne, si bien qu’un mandat de protection future ne peut être écarté qu’en cas d’atteinte effective et prouvée aux intérêts du mandant. Or, en l’espèce, d’après le pourvoi, une telle atteinte n’avait pas été caractérisée par les juges d’appel. Il s’appuyait, enfin, sur la subsidiarité de la protection judiciaire par rapport au mandat de protection future. Le seul retard de la transmission de l’inventaire, son caractère incomplet, les variations sur les comptes bancaires, le manque de précision des comptes de gestion, l’existence d’un redressement fiscal à l’ISF ne suffisaient pas établir, selon le pourvoi, en quoi les intérêts patrimoniaux du mandant étaient compromis par l’exécution du mandat de protection future.

Sans surprise, la haute juridiction balaie cet argumentaire en se retranchant derrière les constatations souveraines des juges du fond.

Selon l’arrêt, « il résulte de l’article 483, 4°, du code civil que la révocation du mandat de protection future peut être prononcée par le juge des tutelles lorsque son exécution est de nature à porter atteinte aux intérêts du mandant ; qu’aux termes de l’article 485, alinéa 1er, du même code, le juge qui met fin au mandat peut ouvrir une mesure de protection juridique […] que l’arrêt relève que l’inventaire des biens de M. B… effectué par la mandataire a été établi avec retard et qu’il est lacunaire, en l’absence de précisions quant aux engagements financiers souscrits ; qu’il énonce que celle-ci a manqué à son obligation de bonne gestion en omettant de procéder à la déclaration de l’impôt de solidarité sur la fortune de 2015 et 2016, ce qui a donné lieu à un redressement fiscal ; qu’il ajoute que la situation de l’un de ses biens immobiliers est inconnue et que les placements, les revenus financiers, les mouvements des divers comptes et les dépenses ne sont pas clairement exposés ni accompagnés de pièces justificatives ; qu’il constate encore que des sommes conséquentes ont été utilisées ou débitées des comptes sans qu’il soit justifié de leur utilisation ; que, de ces constatations et énonciations, la cour d’appel a souverainement déduit que les intérêts patrimoniaux de M. B… n’étaient pas suffisamment préservés par le mandat de protection future auquel il devait dès lors être mis fin au profit d’une curatelle renforcée, Mme Mireille B… étant désignée en qualité de curatrice à la personne, au regard des soins apportés à son conjoint ; qu’elle a ainsi, sans se contredire ni inverser la charge de la preuve, légalement justifié sa décision ».

L’arrêt appelle au moins une double observation.

Outre qu’il tend à reléguer au rang de vœu pieux le primat du mandat de protection future sur tout autre dispositif de protection consacré par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation et de réforme pour la justice (C. civ., art. 428), il laisse dans l’ombre la question de l’impact du régime matrimonial sur les pouvoirs du mandataire, toutes les fois que ce dernier est le conjoint du mandant. Les motifs retenus par l’arrêt pour justifier l’éviction du mandat de protection future ne valent qu’autant que le mandataire et le mandant sont mariés, comme c’était le cas en l’espèce, sous un régime séparatiste. En communauté, les pouvoirs de gestion des biens communs que le mandataire tient de son régime matrimonial conduisent à émousser la critique puisque, en pareille hypothèse, le mandataire en gérant la communauté gère aussi ses biens. C’est dire qu’en cas de défaillance dans sa gestion, la révocation du mandat de protection future est, à elle seule, impuissante à protéger le mandant et que le relais des mesures de sauvegarde conjugales du régime de communauté ou du régime primaire sera le plus souvent nécessaire (C. civ., art. 1426, 1429 et 220-1).

Les motifs retenus par les juges pour fonder la révocation du mandat de protection future contrastent, surtout, puissamment avec le recul du contrôle des comptes de gestion. À l’heure où l’autocontrôle des organes de protection est érigé en principe (C. civ., art. 512) et où l’habilitation familiale autorise la personne habilitée à esquiver – au moins pendant la mesure – l’obligation de rendre compte, la révocation du mandat de protection future à raison du caractère lacunaire de l’inventaire et du compte rendu de gestion suscite un certain malaise. Il est bien sûr incontestable que ce mandat impose au mandataire la triple obligation de dresser un inventaire du patrimoine de la personne protégée lors de sa prise d’effet, d’en assurer l’actualisation et de rendre compte de sa gestion (C. civ., art. 486 et 490). Le bien-fondé de ces obligations est tout aussi incontestable, dès lors que le mandat de protection future confère au mandataire le pouvoir de gérer le patrimoine d’autrui par voie de représentation. Là n’est donc pas la question.

Celle-ci gît dans le hiatus créé dans la protection par les différents régimes offerts par le Code civil. Il est pour le moins malaisé de comprendre qu’une situation conduise à la révocation d’un mandat de protection future alors qu’elle n’aurait pas nécessairement débouché sur celle d’une habilitation familiale. Il est vrai que cette dernière implique le constat judiciaire de la bienveillance des proches du majeur et que le juge des tutelles peut être désormais saisi par tout intéressé de ses dysfonctionnements et, par suite, la révoquer (C. civ., art. 494-10). Mais encore faut-il, en cas de rupture de l’entente familiale, que ces derniers soient mis à jour et portés à la connaissance du juge. Or, contrairement au mandat de protection future, aucun organe de contrôle – fût-il interne à la mesure de protection – n’est prévu en habilitation familiale.

Finalement, l’arrêt souligne en creux le manque de cohérence auquel aboutit la multiplication par touches successives des dispositifs de protection. Il montre, incidemment, que le mandat de protection future, si souvent décrié, s’avère, lorsqu’il est notarié, un outil plus protecteur des intérêts patrimoniaux de la personne vulnérable que ne l’est l’habilitation familiale. L’avenir dira ce qu’il en sera des nouvelles modalités de contrôle des mesures judiciaires de protection.