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Manifestations pour la paix au Proche-Orient : l’intervention du juge du référé-liberté n’est pas justifiée

Le Conseil d’État confirme que les arrêtés d’interdiction successifs et les prises de position publique du préfet des Alpes-Maritimes en défaveur des manifestations de soutien à la population palestinienne révèlent une orientation générale. Il écarte néanmoins l’intervention du juge du référé-liberté.

Par cette ordonnance de tri du 4 décembre 2023, le juge du référé-liberté du Conseil d’État rejette définitivement, et sans audience, l’action engagée par la Ligue des droits de l’homme et d’autres associations pour mettre fin à la série d’interdictions des manifestations en faveur de la paix au Proche-Orient par le préfet des Alpes-Maritimes. En un mois, le Tribunal administratif de Nice avait été conduit à suspendre l’exécution de plusieurs interdictions similaires (TA Nice, 28 oct. 2023, nos 2305339 à 2305341 ; 4 nov. 2023, nos 2305437 et 2305438 ; 11 nov. 2023, nos 2305547 et 2305551 ; 18 nov. 2023, nos 2305676 et 2305677 ; 25 nov. 2023, nos 2305815 et 2305826 ; 29 nov. 2023, nos 2305895 ; 2 déc. 2023, nos 2305974 et 2305979), dont il a souligné le « caractère systématique incompatible avec le principe de la liberté fondamentale de manifester pacifiquement sur la voie publique » (TA Nice, 18 nov. 2023, nos 2305676 et 2305677, préc.). Refusant néanmoins de reconnaître l’existence d’une « décision non formalisée dans un acte administratif d’interdire par principe toute manifestation ayant pour objet la paix au Proche-Orient, indépendamment de toute préoccupation de sauvegarde de l’ordre public », il a toutefois rejeté les demandes tendant à sa suspension (TA Nice, 25 nov. 2023, nos 2305815 et 2305826, préc. et 2 déc. 2023, nos 2305974 et 2305979, préc.). Le Conseil d’État confirme ici la solution, estimant que les requêtes sont manifestement infondées faute d’une situation juridique ou matérielle entrant dans le champ de l’article L. 521-2 du code de justice administrative.

Le juge du référé-liberté admet que les interdictions préfectorales systématiques associées aux déclarations publiques du représentant de l’État traduisent une « orientation générale que ce préfet entend suivre en matière de maintien de l’ordre public dont il a la charge dans le département, en lien avec les manifestations relatives au conflit israélo-palestinien ». Pour autant, ces éléments « ne révèlent ni l’existence d’une décision administrative, qui serait d’ailleurs illégale, interdisant de manière générale et absolue et par anticipation, toute manifestation de soutien à la population palestinienne ou appelant à l’arrêt des hostilités au Proche-Orient, ni une décision ayant des effets notables sur les droits ou la situation d’une personne, notamment sur les associations qui peuvent librement déclarer les manifestations sur la voie publique qu’elles entendent organiser ».

Ce faisant, l’ordonnance confirme l’approche fonctionnelle des décisions révélées qui domine en jurisprudence. Mais le juge perd aussi une occasion d’un rappel au(x) droit(s).

Une « orientation générale » ne révélant pas une décision suffisant à justifier le référé-liberté

Si le préfet des Alpes-Maritimes n’a pris aucune décision formelle portant une interdiction générale des manifestations en faveur de la population palestinienne, la réitération et le caractère systématique des interdictions opposées aux associations joints à ses déclarations publiques ne laissent guère planer le doute sur ses intentions. Opposé à de telles manifestations, le préfet considère que leur organisation « ne favorise pas la paix et l’ordre public » (Dépêche AFP – Le Parisien, 29 nov. 2023) et a plusieurs fois annoncé que « sa ligne de conduite ne bougera[it] pas » (Nice-Matin, 12 nov. 2023 et Dépêche AFP ; Le Parisien, 29 nov. 2023) malgré les suspensions successives de ses arrêtés d’interdiction.

Non sans logique, les requérantes considéraient que ces éléments suffisaient à établir l’existence d’une décision informelle d’interdiction systématique de ces manifestations dont les arrêtés successifs n’étaient que la déclinaison. La jurisprudence admet de longue date les recours dirigés contre des décisions purement verbales (CE 9 janv. 1930, Abbé Cadel, Lebon ;  26 nov. 1976, Soldani et autres, Lebon ; 25 juill. 1980, n° 17844, Sandre, Lebon ; 14 déc. 1994, Confédération helvétique, n° 156490, Lebon ; AJDA 1995. 56 , concl. C. Vigouroux ; D. 1995. 179 , obs. F. Julien-Laferrière ; RFDA 1995. 109, obs. H. Labayle ; ibid. 396. Chron. D. Ruzié ; 29 déc. 1995, Mme Laviolle, n° 157501) ou celles dont l’existence est révélée par les circonstances. Ainsi, des décisions peuvent-elles être déduites de déclarations orales (CE 29 sept. 1995, Assoc. Greenpeace France, n° 171277, Lebon ; AJDA 1995. 749 ; ibid. 684. Chron. J.-H. Stahl et D. Chauvaux ; ibid. 1996. 376. Chron. J.-F. Flauss ; D. 1996. 205 , note S. Braconnier ; RFDA 1996. 383. Chron. D. Ruzié ; JCP 1995, IV, 2412 ; 15 mars 2017, Assoc. « Bail à part, tremplin pour le logement », n° 391654, Dalloz actualité, 21 mars 2017, obs. M.-C. de Montecler ; Lebon ; AJDA 2018. 53 , note C. Blanchon ; ibid. 2017. 601 ; D. 2017. 1149, obs. N. Damas ; AJDI 2017. 282 , obs. F. de La Vaissière ; Constitutions 2017. 280, chron. L. Domingo ; JCP 2017, 541, note O. Mamoudy ; Dr. Adm. 2017. Comm. 36, note J.-S. Boda) ou de communiqués de presse (CE 13 déc. 2017, Société Bouygues Télécom, n° 401799, Dalloz actualité, 5 janv. 2018, obs. J.-M. Pastor ; Lebon avec les concl. ; AJDA 2018. 571 , note L. de Fontenelle ; ibid. 2017. 2497 ; RTD com. 2018. 67, obs. F. Lombard ; JCP A 2017. Actu. 868) ou bien être révélées par certains comportements, tels qu’un autre acte (CE 27 juill. 1990, Université Paris-Dauphine, nos 65180 et 65181, Lebon ; AJDA 1991. 151 , obs. J. Chevallier ; 20 mars 1974, Assoc. de sauvegarde de St-Martin du Touch, n° 90212, Lebon ; AJDA 1974. 201. Chron. Franc et Boyon ; D. 1974. 653, note Gilli ; RDP 1974. 924, note de Soto) ou de simples agissements (CE 12 mars 1986, Mme Cuisenier, Lebon ; AJDA 1986. 258, concl. Massot ; D. 1986. IR 357, obs. Llorens ; 6 oct. 2000, Assoc. Promouvoir, n° 216901, Association Promouvoir, Lebon ; AJDA 2000. 1060 , concl. S. Boissard ; D. 2000. 268 ; RFDA 2000. 1311, obs. J. Morange ; 1er avr. 1998, Mme Nsondé, n° 172973, Jolivet, Lebon ; D. 1998. 128 ; AJDA 1998. 737 , note F. Mallol et K. Bouderbali ; JCP 1998. I, n° 181, chron. Petit ; Quot. jur. 1998, n° 53, note Pellissier). Le juge du référé-liberté a toutefois estimé que « l’orientation générale » ainsi traduite ne permet ni de révéler une décision administrative, ni de caractériser « une décision ayant des effets...

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