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Maurizio Cattelan, père de ses œuvres

Le tribunal judiciaire de Paris a jugé vendredi irrecevable la demande du sculpteur Daniel Druet, qui revendiquait la paternité des droits d’auteur sur les œuvres modelées pour l’artiste conceptuel Maurizio Cattelan, faute d’avoir assigné ce dernier en personne.

par Pierre-Antoine Souchard, Journalistele 12 juillet 2022

Les spéculateurs peuvent respirer. Il n’y a qu’un père, et qui n’est pas aux cieux, des œuvres de l’artiste conceptuel Maurizio Cattelan : lui-même. La cote de cet artiste provocateur – sa banane scotchée sur le stand de la galerie Perrotin à la Art Basel Miami en 2019 s’est vendue 120 000 $ – ne risque pas de dégringoler après la décision rendue le 8 juillet par le tribunal judiciaire de Paris.

La 3e chambre, 2e section, spécialisée en propriété intellectuelle, a déclaré irrecevables les demandes en contrefaçon de droits d’auteur formulées par le sculpteur Daniel Druet, 81 ans, sur huit œuvres de cire réalisées pour le compte de l’artiste conceptuel.

Daniel Druet a commencé en 1999 sa collaboration avec Maurizio Cattelan. Ancien Grand prix de Rome, modeleur pour le musée Grévin, il va réaliser neuf sculptures pour l’artiste, dont certaines des plus emblématiques : le pape écrasé par une météorite, Nona Ora, deux policiers américains sur la tête, Frank and Jamie, ou Him, un enfant, de dos, agenouillé et dont le spectateur, après s’en être rapproché, découvre le visage d’Hitler, sans oublier Now représentant John Fitzgerald Kennedy dans un cercueil.

Qualité d’auteur

Si l’origine du litige est incertaine (une part d’ego à l’écho artistique surdimensionné de Cattelan ?), son objet est plus clair : la paternité de certaines des œuvres. Au sens de l’article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle (CPI) : « L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ».

Ce jugement met un terme, sans doute provisoire, à cette procédure dans laquelle le principal intéressé, Maurizio Cattelan, n’a pas été assigné par le demandeur, M. Druet. En défenderesses, la galerie Emmanuel Perrotin et la Monnaie de Paris, organisatrices de l’exposition « Cattelan, not afraid of love » d’octobre 2016 à janvier 2017.

L’artiste conceptuel s’est retrouvé attrait de façon incidente à la procédure par la Monnaie de Paris, sur le seul fondement de la responsabilité contractuelle, pour les quatre œuvres exposées sur lesquelles M. Druet revendiquait la titularité des droits.

Or, relève le tribunal, cet appel en garantie simple, exercé par la Monnaie de Paris à l’encontre de Maurizio Cattelan, ne crée de lien juridique qu’entre cet établissement public et l’artiste, et non entre M. Druet et l’artiste conceptuel.

« La qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’œuvre est divulguée », selon l’article L. 113-1 du CPI. L’auteur est donc légalement présumé être celui ayant divulgué l’œuvre pour la première fois sous son nom et, en tant que tel, dispensé d’apporter la preuve de sa qualité.

M. Druet revendique « la titularité des droits à titre exclusif » de huit œuvres : « La Nona Ora », « La Rivoluzione Siamo Noi », « Sans titre », « Him », « Frank and Jamie », « Stephanie », « Betsy » et « Now ». Titres donnés à ces pièces par Maurizio Cattelan, dont la mise en scène a été pensée par lui seul.

Directives précises

« Maurizio Cattelan fait à juste titre valoir que les œuvres litigieuses ont toutes été divulguées sous son seul nom, aussi bien dans la presse, où il est systématiquement présenté comme leur unique auteur, qu’à l’occasion des expositions lors desquelles elles ont été mises en contact avec le public », note le tribunal, qui relève que « les directives précises de mise en scène des effigies de cire dans une configuration spécifique, tenant notamment à leur positionnement au sein des espaces d’exposition visant à jouer sur les émotions du public (surprise, empathie, amusement, répulsion, etc.), n’ont émané que de lui seul, Daniel Druet n’étant nullement en mesure – ni du reste ne cherchant à le faire – de s’arroger la moindre participation aux choix relatifs au dispositif scénique de mise en situation desdites effigies (choix du bâtiment et de la dimension des pièces accueillant tel personnage, direction du regard, éclairage, voire destruction d’une verrière ou du parquet pour rendre la mise en scène plus réaliste et plus saisissante) ou au contenu du message éventuel à véhiculer à travers cette mise en scène ».

Comment désigner le père des œuvres si celui qui bénéficie de la présomption de titularité n’est pas partie à la procédure ? Réponse claire du tribunal : « Dès lors, faute d’avoir assigné en personne Maurizio Cattelan, auteur présumé, au préjudice duquel il revendique la titularité des droits sur les œuvres en cause, Daniel Druet doit être déclaré irrecevable en toutes ses demandes en contrefaçon de droits d’auteur ».

Le tribunal a donc condamné M. Druet à verser 10 000 € au titre des frais irrépétibles à la Monnaie de Paris et à la galerie Perrotin, soit 20 000 €. « C’est une décision qui va s’appeler “la jurisprudence Perrotin” », se félicite l’avocat du galeriste, Me Pierre-Olivier Sur. Que fera M. Druet ? Appel du jugement ou nouvelle assignation ? Rien n’était décidé, selon son avocat, Me Jean-Baptiste Bourgeois.

Quant à Maurizio Cattelan et son galeriste, ils peuvent afficher la banane.

 

Sur ce procès, voir également :

• L’art de rien, une reconnaissance en paternité artistique, par Pierre-Antoine Souchard, le 17 mai 2022.