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Médias sociaux des personnalités politiques : la CEDH renforce leur responsabilité

Le 15 mai 2023, la grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que la condamnation d’un homme politique pour ne pas avoir promptement retiré des commentaires illicites publiés par des tiers sur son « mur » Facebook n’est pas contraire à l’article 10 de la Convention.

Le requérant, élu local et candidat aux élections législatives pour le Front national, a été condamné pénalement pour provocation à la haine ou à la violence à l’égard des personnes de confession musulmane, faute pour lui d’avoir promptement supprimé deux commentaires publiés par des tiers sur le « mur » de son compte Facebook, librement accessible au public, lors de sa campagne électorale. Il a été condamné en qualité de producteur, étant celui qui a ouvert ce forum de discussion publique. Les deux auteurs des commentaires ont été condamnés comme complices.

Le cadre juridique. - La loi du 29 juillet 1881 sur la presse écrite et la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, applicable à Internet, contiennent des dispositions particulières déterminant les responsables pénaux des infractions commises par ces médias, dans un système dit « en cascade », dont l’objectif est qu’il y ait toujours une personne pénalement responsable. Sur Internet, le responsable principal est le directeur de la publication, sauf « s’il est établi qu’il n’avait pas effectivement connaissance du message avant sa mise en ligne ou si, dès le moment où il en a eu connaissance, il a agi promptement pour retirer ce message » (Loi n° 82-652 du 29 juill. 1982, art. 93-3, dernier alinéa). À défaut, sont responsables l’auteur ou le producteur (défini comme celui qui a pris la responsabilité d’offrir un forum de discussion aux internautes sur des thèmes donnés, Crim. 8 déc. 1998, n° 97-83.709 P, D. 1999. 54 ; RSC 1999. 607, obs. J. Francillon ), dont le régime de responsabilité a été aligné sur celui du directeur de publication (Crim. 16 févr. 2010, n° 08-86.301 et 09-81.064 P, D. 2010. 2206 , note E. Dreyer ; ibid. 1653, chron. P. Chaumont, A. Leprieur et E. Degorce ; ibid. 2011. 780, obs. E. Dreyer ; AJ pénal 2010. 285 ; Légipresse 2010. 152, comm. A. Fourlon ; RSC 2010. 635, obs. J. Francillon ; Cons. const. 16 sept. 2011, n° 2011-164 QPC, D. 2011. 2444 , note L. Castex ; ibid. 2012. 765, obs. E. Dreyer ; AJ pénal 2011. 594, obs. S. Lavric ; Légipresse 2011. 532 et les obs. ; ibid. 688, comm. A. Fourlon ; RSC 2011. 647, obs. J. Francillon ; Crim. 31 janv. 2012, n° 11-80.010 P, D. 2012. 1249, obs. A. Astaix , note C. Ravigneaux ; ibid. 2343, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny ; ibid. 2013. 457, obs. E. Dreyer ; Légipresse 2012. 215 et les obs. ; 30 oct. 2012, n° 10-88.825 P, D. 2013. 160 , note E. Dreyer ; ibid. 160 ; ibid. 457, obs. E. Dreyer ; AJ pénal 2013. 157, obs. G. Royer ; Légipresse 2012. 674 et les obs. ). Les deux lois réservent également la possibilité de condamnation de complices de droit commun (au sens des art. 121-6 et 121-7 c. pén.).

Une question inédite. - La question tranchée par la grande chambre était inédite. Cependant, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a été amenée à se prononcer sur des enjeux similaires concernant non des particuliers, mais des sociétés commerciales ayant un intérêt économique dans les publications, dont les principes ont été repris dans cet arrêt.

Dans l’arrêt Delfi c/ Estonie (CEDH 16 juin 2015, n° 64569/09, RTD eur. 2016. 341, obs. F. Benoît-Rohmer ), la Cour a jugé conforme à l’article 10 de la Convention la condamnation civile d’un portail internet pour diffamation, pour ne pas avoir retiré sans délai des commentaires haineux, au motif notamment que le portail internet avait autorisé la diffusion de commentaires et n’avait pas pris de mesures pour les retirer sans délai après leur publication.

L’arrêt de chambre. - Dans l’arrêt Magyar c/ Hongrie (CEDH 2 févr. 2016, n° 22947/13, Dalloz IP/IT 2016. 216, obs. E. Derieux ), la CEDH a conclu, à l’inverse, à la violation de l’article 10 du fait de la condamnation d’un organe d’autorégulation des prestataires de service de contenus sur Internet et d’un portail d’actualité du fait de commentaires injurieux critiquant des pratiques commerciales trompeuses de sites web. La Cour a notamment jugé, à la différence de l’arrêt Delfi, que les commentaires ne constituaient pas un discours de haine et concernaient une question d’intérêt public, que la responsabilité des auteurs de commentaires n’avait pas été mise en balance avec celle des requérants, qui avaient pris des mesures générales pour empêcher la publication de commentaires diffamatoires.

Dans son arrêt du 2 septembre 2021, la chambre avait conclu, par six voix contre une, à la non-violation de l’article 10, considérant que la condamnation du requérant reposait sur des motifs pertinents et suffisants, eu égard à la marge d’appréciation de l’État défendeur.

Dans son opinion dissidente, la juge Mourou-Vikstromv (élue au titre de Monaco) estimait que la condamnation du requérant, particulier, constituait un risque pour la liberté d’expression, le titulaire d’un tel compte pouvant être incité à censurer les propos écrits sur son mur.

L’arrêt de la Grande chambre. - À titre liminaire, la grande chambre rappelle que si les États ont une marge restreinte dans le cadre du discours politique, fondamental dans une...

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